Avril 2023,
J’ai d’abord besoin de me libérer de ce que je n’ai pu m’empêcher de ressentir. Ce livre est une performance littéraire : la vie quotidienne d’Irène, ses émotions, celles de ses proches et des personnes qu’elle démarche sonnent si juste, sont si crédibles, que j’ai eu l’impression de lire une histoire vécue, une sorte de récit autobiographique. Pourtant, en dépit des apparences, Le bureau d’éclaircissement des destins est un roman. Ses personnages sont tous fictifs, imaginés par l’écrivaine Gaëlle Nohant. Elle a aussi inventé Irène, française, enquêtrice à l’International Tracing Service.
Etabli dans une petite ville d’Allemagne, l’ITS est un authentique et important centre international d’archives et de recherches sur les victimes du nazisme. Car soixante-quinze ans après, on en recherche toujours. A l’ITS sont rassemblés des milliers d’objets trouvés lors de la libération des camps de concentration, des objets n’ayant pas de valeur marchande, mais ayant peut-être une signification affective et symbolique.
Nous sommes en 2016. Irène travaille à l’ITS depuis vingt-six ans. Son job actuel consiste à rechercher les familles des déportés auxquels ces objets ont appartenu, à tenter de les leur restituer… si ces familles existent toujours ! Car la guerre les a décimées, plusieurs dizaines de millions de personnes sont mortes, un grand nombre ont purement et simplement disparu, sans oublier qu’après-guerre, au moins deux millions d’entre elles se sont retrouvé déplacées, dont des enfants en bas âge ignorant leurs origines.
Parmi les objets qui retiennent l’attention d’Irène, un médaillon, dans lequel est caché le portrait dessiné d’un tout petit garçon, et un jouet, une marionnette en forme de pierrot, qui la conduisent sur les traces de Wita et de Lazar, une femme juive née à Varsovie et un homme juif né à Prague, des déportés dont elle apprendra qu’ils avaient fait preuve d’attitudes courageuses, héroïques, face aux bourreaux : Wita à Auschwitz et à Ravensbrück ; Lazar à Theresienstadt, à Treblinka et à Buchenwald. Irène enquête, se déplace, s’accroche à des traces sans trop savoir où elles la mèneront ; elle recueille des témoignages sur les camps, émanant d’anciens déportés, d’anciens gardiens, finit par identifier et localiser des descendants… Au hasard des rencontres s’entremêlent son parcours d’enquêtrice et sa vie de femme divorcée, mère d’un jeune homme.
Quand on recherche des survivants après tant d’années, on tombe très souvent sur des morts, quelquefois sur des vivants : des enfants, des petits-enfants, heureux de découvrir un objet ayant appartenu à un parent qu’ils n’ont pas connu, dont ils savent que le destin a été tragique, sans en connaître les circonstances. L’occasion de renouer les fils d’une histoire qui est aussi la leur… On tombe aussi parfois sur des épisodes sublimes, bouleversants d’héroïsme et de solidarité. Et de subtilité, car face à l’intention des nazis d’effacer les marques de leurs crimes, il fallait coûte que coûte parvenir à graver la mémoire des horreurs.
Dans Le bureau d’éclaircissement des destins, l’autrice (*) a imaginé des acteurs et des victimes d’épreuves inhumaines, sur lesquelles elle enquête elle-même par personnage interposé. Sa créativité s’accompagne d’une forte sensibilité empathique, car la fiction est très inspirée de faits réels. Gaëlle Nohant n’en est pas à son coup d’essai de romancière. Ce livre, qui lui a exigé trois ans de travail, devrait lui valoir la consécration.
Dans les contextes mémoriels touchant d’autres communautés, une polémique aurait pu apparaître à la publication d’un tel livre écrit par une personne extérieure à la communauté. Des esprits mal tournés auraient invoqué une appropriation culturelle. Personnellement, je trouve que le fait que Gaëlle Nohant ne soit pas juive donne encore plus de force émotionnelle à sa narration.
(*) : Malgré mes préventions, il faut bien que je m’habitue à ce mot, dont l’emploi semble désormais consacré.
GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT