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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

romans

Ouragans tropicaux, de Leonardo Padura

Publié le 20 Novembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2023, 

A Cuba, les ouragans tropicaux annoncés font sensation, ils passent en provoquant quelques ravages, puis ils s’éloignent, sans que le paysage change fondamentalement. Même chose pour les événements exceptionnels. En 2016, visite de Barack Obama, président de la nation incarnant le mal absolu, puis concert des Rolling Stones, dont la musique occidentale contaminante a été longtemps bannie. Les plus naïfs espèrent y déceler les signes d’une ouverture du régime. Finalement, ce ne seront que « poussières dans le vent », clin d’œil de ma part au précédent opus de Leonardo Padura, l’immense écrivain cubain, qui vit à Cuba et ne craint pas d’écrire sur Cuba. Un écrivain lu et couvert d’éloges dans le reste du monde.

Conséquence de l’arrivée d’Obama et des Stones, la population est surexcitée. La police est sur les dents. A l’occasion d’un assassinat particulièrement sauvage, elle est contrainte de faire appel à l’un de ses anciens inspecteurs : Mario Conde est, depuis plus de trente ans, le personnage principal des romans policiers de Padura. Désormais âgé et usé par les difficultés matérielles, Conde observe les modes de vie de ses compatriotes avec une lucidité teintée d’humour et d’amertume. Ses pratiques d’enquêteur sont atypiques et efficaces, à l’instar de celles de tous les détectives de polars en série.

Il est donc chargé d’élucider le meurtre et la mutilation d’un ancien haut fonctionnaire du ministère de la Culture, un homme qui s’était jadis posé en commissaire-censeur, prétendant veiller à la pureté révolutionnaire du régime politique national. Il avait impitoyablement démoli la carrière de nombreux artistes, poussés à la misère et au désespoir. Il avait aussi profité outrageusement de sa position pour s’enrichir sans vergogne, sachant qu’à Cuba, la limite de ce qui est légal n’est pas définie par la loi, mais par les détenteurs de l’autorité. Une façon de dire qu’une certaine corruption reste impunie… tant que l’on ne s’est pas créé d’ennemi mortel.

Ouragans tropicaux est donc un vrai roman policier de série noire, intrigant, complexe et passionnant. Et cerise sur le gâteau, l’ouvrage comporte une deuxième affaire policière, d’un registre différent. Les narrations alternent, chapitre après chapitre.

La seconde histoire nous ramène au tout début du vingtième siècle. Cuba vient d’accéder à l’indépendance. A La Havane, faire la fête s’impose, d’autant plus que le prochain passage de la comète de Halley suscite l’inquiétude. Les rues chaudes sont très proches des quartiers élégants, fréquentés par les grandes familles et les riches touristes. Un jeune proxénète bien sous tous rapports se déclare prêt à tout pour devenir le roi de la vie nocturne et faire fortune grâce aux amours tarifées. Une ambition qui pourrait aller encore plus haut. Son ascension est météorique, mais elle pourrait mal finir !

A première vue, difficile de déceler un lien entre les deux affaires ! Il est toutefois possible qu’un objet ayant appartenu à Napoléon… Pour ceux qui ne connaissent pas La Havane, on y trouve étonnamment un superbe musée consacré à l’empereur français, pourtant dénoncé par certains comme un fossoyeur de révolution.

Lectrice, lecteur, au-delà de ses intrigues à suspense, Ouragans tropicaux te promènera dans les belles avenues et les rues tortueuses de La Havane d’hier et d’aujourd’hui. Il te fera contempler les façades des vieilles demeures aristocratiques et rencontrer des personnages de tout genre (au plein sens du terme). Un voyage fascinant, agrémenté par le mode d’écriture de Leonardo Padura, tantôt un peu bavard, tantôt un peu digressif, parfois aussi un peu redondant, mais jamais lassant. On éprouve même une forme de tristesse quand arrive le moment de refermer le livre d’un tel conteur.

GLOBALEMENT SIMPLE  ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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La dernière porte avant la nuit, d'Antonio Lobo Antunes

Publié le 20 Novembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2023, 

Né en 1942 à Benfica (Lisbonne), António Lobo Antunes a été médecin psychiatre avant de se consacrer à l’écriture. Il est considéré comme l’une des grandes plumes européennes actuelles. Ses admirateurs espèrent que le prix Nobel de littérature lui sera un jour attribué et ils parlent de lui avec une telle vénération, qu’il a bien fallu que j’ouvre un de ses livres. J’ai lu La dernière porte avant la nuit, son dernier roman, publié au Portugal en 2018, traduit en français l’année dernière.

 On ne m’avait pas suffisamment mis en garde, l’exercice est difficile. L’intrigue est pourtant simple, très simple, inspirée de la littérature policière du genre série noire. Cinq individus se sont concertés pour tendre un guet-apens à un homme d’affaires, l’ont tué et ont fait disparaître son corps, le mobile étant de profiter de circonstances favorables pour s’approprier son patrimoine et se le répartir.

Si l’intrigue du roman est simple, très simple, son déploiement est complexe. Lobo Antunes ne recourt pas à la narration classique. Il se place dans la tête des personnages, qui, comme toi et moi, émettent à flot continu toutes sortes de réflexions et de pensées. Chacun des vingt-cinq chapitres est l’expression d’un monologue mental de l’un des cinq assassins. A plusieurs reprises et à tour de rôle, en une phrase unique déstructurée dont la lecture prend une bonne vingtaine de minutes, chacun ressasse le crime, tout en digressant de façon désordonnée sur ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il ressent, ce qu’il craint, ce qu’il espère, ce dont il souffre ou a souffert… sans oublier quelques fantasmes.

Ce concept de phrase unique, hachée par des réminiscences jetées à l’emporte-pièce, m’a d’abord dérouté. Puis je me suis laissé séduire par la touche impressionniste et mystérieuse des propos que les personnages se tiennent à eux-mêmes et qui se lisent avec fluidité. Je ne me suis pas attardé sur les paroles les plus obscures, car j’ai compris qu’elles seraient répétées, ressassées, peut-être clarifiées. J’escomptais en savoir plus dans les chapitres à venir. Mais finalement, c’est là où le bât blesse. Comme je l’ai dit, tout est très simple, trop simple. Les pièces de puzzle apportées au fil des chapitres m’ont paru insignifiantes et je n’en ai pas eu besoin pour me faire une idée de l’image globale.

Lectrice, lecteur, tu reconstitueras facilement l’intrigue et le rôle de chacun des assassins. Des pieds nickelés qui connaissaient leur victime depuis l’enfance. De pauvres types, mal remis de frustrations infantiles, traînant des complexes physiques, réduits à une masculinité minable. Ils essaient désespérément de conjurer leur crainte d’être arrêtés, s’accrochant à des commentaires répétés comme des mantras, tels que « sans corps, il n’y a pas de crime » ou « si personne ne se met à table il n’y aura aucun problème ». Mais ne t’attends pas à un scoop dans les dernières pages.

António Lobo Antunes s’enferme dans un parti littéraire qui s’inscrit dans la ligne de William Faulkner, d’Albert Cohen ou de Thomas Bernhard. Il va même plus loin qu’eux. Dans Le Bruit et la Fureur et Belle du Seigneur, des récits classiques s’intercalaient et redonnaient à la lecture une assise que l’on ne trouve pas dans La dernière porte avant la nuit.

Le travail de composition est sans aucun doute colossal. L’auteur ne manque pas d’insérer quelques passages poétiques joliment tournés, mais peu crédibles dans la bouche des cinq personnages. En ce qui concerne ceux-ci, d’ailleurs, j’ai regretté qu’il ne soit pas possible de les différencier clairement. Ils sont nommés en tête de chapitre, leurs souvenirs d’enfance diffèrent, mais ils s’expriment de la même façon, éprouvent des rancœurs semblables, partagent des fantasmes du même acabit. Peut-être une manière pour l’auteur d’évoquer l’absurdité de la condition et du destin de l’Homme.

Reste à découvrir qui, des cinq gugusses ou de l’auteur, a été le plus fasciné par la sœur de l’homme tué, ses bijoux d’adolescente et sa manie de marcher sur la pointe des pieds.

TRES DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, de Wole Soyinka

Publié le 1 Novembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2023, 

Wole Soyinka est un dramaturge, poète et militant politique nigérian. Il a été le premier écrivain africain à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1986. A l’approche de ses quatre-vingt-dix ans paraît son roman Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde.

L’idée lui en était venue après la conclusion d’une enquête classant le Nigeria parmi les nations comptant la plus forte proportion d’habitants se déclarant heureux. Très critique des mœurs politiques de son pays, Wole Soyinka s’était demandé si seuls les gens affichant leur bonheur avaient eu droit à la parole. De quoi s’interroger sur les pratiques locales.

Sixième pays le plus peuplé du monde (220 millions d’habitants !), le Nigeria dispose de richesses naturelles importantes, dont du pétrole en abondance. Plusieurs secteurs de l’industrie et des services sont florissants. Malgré cette prospérité, près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté extrême. En cause, le niveau hallucinant d’une corruption endémique incontrôlable. Après plusieurs coups d’Etat ayant fait alterner des dictatures et des régimes d’apparence démocratique, le Nigeria est aujourd’hui une République fédérale, constituée d’une quarantaine d’états, qui sont autant de seigneuries largement dotées pour assurer le bonheur des gouverneurs et de leurs amis. « Les milliards alloués s’évaporaient continuellement, pour être réinjectés chaque année au moment du budget, sans oublier les enveloppes complémentaires ».

Ces privilèges sont difficiles à imaginer sans diffusion d’informations très contrôlées, vraies ou fausses, qu’il vaut mieux ne pas contester trop ostensiblement si l’on tient à sa peau. Car le pays brille aussi par l’insécurité : rivalités ethniques, règlements de comptes mafieux, élimination de concurrents, conflits religieux, sans omettre les massacres commis par la secte islamiste Boko Haram, qui trucide, éventre, décapite, mutile, viole, ce qui n’étonnera personne.

Dans ce Nigeria chaotique effrayant, le roman de Wole Soyinka met en scène de nombreux personnages, apparaissant sous différentes identités ou titres. Parmi les plus importants, Papa Davina, un prédicateur aspirant au statut de prophète et Godfrey Danfrere, le Premier ministre, aussi appelé Sir Goddie. Ils s’entendent comme larrons en foire. Comme le dit celui-ci à celui-là : « Vous c’est la face spirituelle ; moi c’est la politique. Le point de rencontre, c’est le business ». En l’occurrence, un trafic très lucratif d’organes, de membres amputés et de chair humaine en tous genres.

Deux autres personnages, mieux intentionnés, enquêtent sur ces pratiques et bousculent l’ordre établi : un ingénieur, Duyole Pitan-Payne, et un chirurgien, Kighare Menka. Une démarche à haut risque !

En dehors de la dénonciation d’un complot sordide, j’ai trouvé l’intrigue carrément loufoque. J’ai eu du mal à trouver dans le livre, qualifié de roman, la narration d’une histoire cohérente. Il me paraît plutôt s’apparenter à un recueil de chroniques — après tout, c’est son titre ! —, à une série d’anecdotes polémiques sur la corruption des pratiques et la perversion des esprits dans le Nigeria fictif ou non fictif dépeint par Wole Soyinka.

L’écriture, élégante, est très bavarde. L’auteur et son traducteur maîtrisent parfaitement toutes les possibilités syntaxiques de leur langue. Wole Soyinka explore les moindres occasions de digressions, autant de chemins de traverse qui contribuent à rendre le texte hermétique, d’autant plus que ses phrases sont interminables, qu’il utilise de nombreuses métaphores difficiles à décoder et qu’il pratique l’humour au deuxième, au troisième, voire au cinquième degré.

Pour conclure : un long, très long exercice de style — plus de cinq cents pages —, éclairé par quelques anecdotes croustillantes.

TRES DIFFICILE     oo    J’AI AIME… UN PEU

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Adieu Zanzibar, d'Abdulrazak Gurnah

Publié le 1 Novembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2023, 

Petit topo d’histoire-géo pour comprendre Abdulrazak Gurnah et son roman Adieu Zanzibar. Situé à une quarantaine de kilomètres de la côte d’Afrique de l’Est, l’archipel de Zanzibar a été soumis au cours des siècles à de multiples colonisations. Sa population est un melting-pot métissé de peuples originaires des quatre coins de l’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Inde et de l’Europe. Zanzibar a été un sultanat indépendant jusqu’en 1890, puis un protectorat britannique jusqu’à une nouvelle indépendance en 1963. Une indépendance éphémère : après un coup d’État communiste en 1964, Zanzibar est intégré au Tanganyika, au sud du Kenya. Le nouvel Etat a pris le nom de Tanzanie.

Né à Zanzibar, Abdulrazak Gurnah a quitté son île en 1968, à l’âge de vingt ans, pour suivre des études littéraires à Londres. Il est resté par la suite en Angleterre, où il a mené une carrière d’universitaire et d’enseignant. Auteur de plusieurs romans écrits en anglais, il était peu connu en 2021, lorsque le prix Nobel de littérature lui a été attribué. Adieu Zanzibar est la traduction récente en français d’un roman publié en anglais en 2005 sous le titre Desertion.

Le roman est divisé en trois parties. La première prend place en 1899, dans une petite ville côtière du Kenya. Tout semble délabré, à l’abandon. Un voyageur britannique blessé est recueilli par une famille locale modeste, dévouée, soumise, un peu obséquieuse. Faisant à l’inverse preuve de morgue et de suffisance, l’administrateur du protectorat prendra en charge son compatriote, désireux de lui offrir un confort digne d’un Européen. Mais les distances de classe et d’origine n’empêchent pas les romances…  

La deuxième partie se déroule à Zanzibar tout au long des années cinquante. L’île est resplendissante. Dans une famille locale, le père et la mère sont tous deux enseignants à l’école du protectorat. Pratiquant un islam fervent, ils se montrent aussi très soucieux de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. Ils élèvent avec ambition leur fille Farida et leurs deux fils, Amin et Rashid. Une petite bourgeoisie autochtone, cultivée mais rigoriste, résolue à n’entretenir aucune relation sociale avec la grande bourgeoisie coloniale, qui vit luxueusement.

La dernière partie est consacrée à Rashid, parti en Angleterre au début des années soixante pour des études de haut niveau. On comprend que Rashid est le double de l’auteur. Admis dans une université londonienne, il est confronté à la condescendance de ses condisciples à la peau blanche. Après l’obtention de son diplôme, il s’installera comme enseignant dans une petite ville du sud de l’Angleterre. L’accomplissement d’un enfant des colonies ?

Par le biais d’une correspondance tardive et affective avec son frère Amin, Rashid prendra connaissance des événements douloureux qui ont suivi l’indépendance de Zanzibar. Coup d’État, saccages, arrestations. Tensions et tueries raciales, exacerbées par les infiltrations et les manipulations exportées par l’ancien empire soviétique.

Amin révèlera aussi à Rashid son grand amour de jeunesse pour Jamila, une femme divorcée plus âgée que lui. Une relation clandestine torride dont tu auras lu les détails, lectrice, lecteur, dans la deuxième partie du roman. Un amour jugé inconvenant par les parents, en raison d’une liaison évoquée dans la première partie du livre et ayant fait scandale soixante ans plus tôt.

Un livre dont on ne perçoit le sens nostalgique que lorsqu’on arrive à la fin. Les deux premières parties se lisent agréablement, les personnages sont décrits dans toute leur sensibilité, mais j’ai eu du mal à comprendre où l’auteur m’emmenait. Abdulrazak Gurnah grave joliment et poétiquement les souvenirs d’une enfance heureuse, de promenades rêveuses autour de plantes luxuriantes et de vestiges d’anciennes civilisations.

Mais « il étouffait ici, disait-il : l’obséquiosité des rapports sociaux, la religiosité qui relevait d’un autre siècle, les mensonges sur l’histoire ». Il s’en veut toutefois d’être parti loin de ceux qu’il chérissait, de les avoir abandonnés. Une manière de désertion qui le hante.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Western, de Maria Pourchet

Publié le 11 Octobre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2023,

Parmi les romans, j’aime particulièrement les histoires fictives calquées sur le réel et inscrites dans le cadre d’une actualité authentique et sensible. Alors qu’on débat de ce que pourrait ou devrait être l’amour post #MeToo, Western relate la rencontre fortuite d’une femme et d’un homme, une rencontre qui les confronte chacun à leur passé. Maria Pourchet la raconte sans parti pris, sans condamnation personnelle, en s’inspirant simplement des grandeurs et des petitesses humaines. Des situations imaginatives, inattendues. Une plume exceptionnelle en rend la lecture particulièrement excitante.

La femme, c’est Aurore, la petite quarantaine, plutôt pas mal physiquement, élevant seule son fils de huit ans. Une vie privée et une vie professionnelle de middle class parisienne moderne, qui l’a menée au bord de la crise de nerfs. La vogue du télétravail lui a permis de se replier, avec son fils, dans une maison de famille vide, dans le Sud-Ouest. Au calme. Mais la crise de nerfs n’est jamais loin.

L’homme, c’est Alexis, la quarantaine avancée, un physique avantageux, une voix à nulle autre pareille. Comédien et acteur français réputé, il est censé jouer le rôle-titre dans une nouvelle programmation du Dom Juan de Molière. Mais voilà qu’un pressentiment l’incite à fuir, à disparaître. Il débarque dans la maison où Aurore est réfugiée. A priori, pas le genre à crise de nerfs, c’est en principe réservé aux femmes, à ses femmes, Olivia, Elisabeth, Chloé. Mais ça lui viendra…

Pourquoi Alexis débarque-t-il chez Aurore alors qu’ils ne se connaissent pas ? C’est la première surprise du roman qui en réserve d’autres. La femme et l’homme s’observent, se parlent, s’intéressent l’un à l’autre, se questionnent, se découvrent. Retour sur des circonstances vécues, tantôt subies, tantôt provoquées. Une façon comme une autre de se révéler à soi-même.

Alexis est brillant, talentueux, séduisant. Cet homme public sait de surcroît se rendre admirable. Il est Dom Juan… à la scène comme à la ville ! En langage post #MeToo, on dirait : un "connard"... Ce qu’il pressent survient. La chute. Pour nos hommes publics, les chutes ne s’arrêtent pas, elles accélèrent, elles n’en finissent pas. La presse, les réseaux sociaux, les rumeurs, les petites vengeances. Magnifique travail de construction littéraire dramatique, chapitre après chapitre ! La chute est terrifiante. A en préférer presque la mort rapide de Dom Juan, précipité dans les flammes de l’enfer.

Aurore est heurtée, déçue et même dégoûtée par ce qu’elle apprend. Cependant, elle s’introspecte. Vivre sans homme, sans amour, sans sexualité, ça va un temps. Pourrait-elle aimer un homme faible, inconsistant, un homme qui a peur, pour reprendre l’exergue pioché chez Musset ? Alors qu’un don Juan repenti, un connard qui se soigne, c’est porteur d’espoir. Femme ou homme, à plus de quarante ans, on ne peut pas renier son genre et les fantasmes qui vont avec. Et les mythes sont universels.

Où Maria Pourchet a-t-elle appris à écrire comme ça ? Une exubérance osée comme une parole spontanée. Une syntaxe maîtrisée comme un ouvrage fait main. Des variations de rythme haletantes. J’ai lu presque chaque page deux fois. Une fois à toute allure, parce que le tempo des révélations incite à se précipiter sur la page suivante. Une fois presque mot à mot, parce que chacun de ces mots était celui qu’il fallait, là où il était. Admirable ! Un peu de gêne avec la crudité du discours amoureux… et pas seulement du discours ! Que se passe-t-il donc à l’intérieur de la tête d’une femme ?

La narratrice est dans la tête d’Aurore, dans celle d’Alexis, elle parle pour eux, elle pense pour eux. Et son empathie est contagieuse. Pareil pour les autres personnages : un petit garçon astral touchant, une jeune comédienne désespérée émouvante. La narratrice, tel un chœur de théâtre grec, relie le tout par des commentaires décalés et pourtant dans l’air du temps. Souvent amusant, parfois cruel !

Je n’ai en revanche pas été convaincu par la symbolique du titre, sur laquelle l’autrice revient à chaque chapitre. Oui, le western est un genre qui a ses codes, même si Sergio Leone les a un peu brouillés. Oui, le genre humain fonctionne aussi sur des codes, sur des mythes… Alors, celui de Don Juan suffisait… Remarque personnelle, qui n’entache en rien mon coup de cœur pour ce roman !

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Humus, de Gaspard Koenig

Publié le 11 Octobre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2023,

Ce n’est pas le premier roman dont le lombric, communément appelé ver de terre, est le héros. Qualifié récemment de « poète aveugle de la glèbe » par le romancier islandais Jan Kalman Stefansson, dans l’excellent Ton absence n’est que ténèbres, le lombric voit désormais l’écrivain philosophe Gaspard Kœnig confirmer son rôle essentiel dans la transformation des déchets organiques en compost, un terreau quasi naturel équivalent à l’humus.

Dans son dernier roman, justement titré Humus, l’auteur imagine des aventures mettant en scène deux étudiants à AgroParisTech. Destinés à devenir ingénieurs agronomes, Arthur et Kevin prennent conscience qu’un élevage massif de lombrics permettrait de traiter d’immenses quantités de déchets, sans la moindre émission de carbone, tout en générant, en même temps, un volume de compost capable, sans engrais ni pesticides, de refertiliser des terres cultivables, dont la couche d’humus aurait pu être détruite par des décennies d’agriculture industrielle.

Un « en même temps » stratégique à l’heure où nul ne sait comment la Terre pourra préserver des conditions climatiques supportables par l’humanité, tout en produisant de quoi nourrir une population mondiale, dont une partie souffre encore de la faim. Nos deux agronomes en herbe croient détenir la clé susceptible de résoudre les problèmes économiques et écologiques majeurs à venir.

Mais Arthur et Kevin n’ont pas le même profil ni la même histoire personnelle. Ils n’auront pas la même approche du sujet et leurs parcours vont diverger. L’un s’orientera vers une expérience de terrain, privilégiant une agriculture paysanne de proximité, avec une tentation de radicalisation contre un monde capitaliste soutenant un agrobusiness honni. L’autre sera aspiré dans l’univers des entrepreneurs audacieux, des développeurs de start-up et des financiers créateurs de richesses mirobolantes, avec les risques afférents de dérapages incontrôlables.

Le plus ambitieux des deux ne sera pas forcément celui qu’on imagine. Mais l’ambition peut s’exprimer de diverses manières, conduire à une fuite en avant délétère et très mal se terminer. Les pérégrinations des deux personnages sont très réalistes, tout en présentant des rebondissements inattendus et captivants.

La lecture de Humus est vraiment plaisante. La plume de l’auteur navigue avec habileté et humour entre les formules langagières déconstruites des militants écolo-anticapitalistes et le sabir anglo-français inspiré de la « tech » et du business mondialisé. C’est très bien observé et j’ai trouvé savoureux certains passages.

Gaspard Kœnig commente souvent l’actualité politique avec un recul de bon aloi, même s’il est orienté par ses convictions personnelles. Il est aussi un observateur éclairé des mœurs et des pratiques de nos contemporains. Il ne s’exprime pas à la légère, même dans une fiction. Dans Humus, il étaye par des argumentations techniques très structurées les entreprises d’Arthur et de Kevin. Au risque parfois de rendre sa prose confuse — quoiqu’irréprochable — et de peut-être perdre en route quelques lectrices et lecteurs.

Comme il faut bien émettre une réserve, j’ai trouvé que les commentaires sur Le Petit Lutetia auraient pu être drôles sans être méchants. Dans cette brasserie se sont croisés pendant deux ou trois ans les mondes de la politique, des affaires, du showbiz et de la mode. Le spectacle était amusant, on y dînait pas mal. Gaspard Kœnig a probablement été un jour mal reçu. Le patron savait-il qu’il avait affaire à un futur postulant (ou presque) au poste suprême de la République ?

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

 

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L'enragé, de Sorj Chalandon

Publié le 18 Septembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Septembre 2023, 

Écrivain de talent, Sorj Chalandon avait été, dans les années quatre-vingt, correspondant de guerre en Ulster, au Liban et en Syrie. Il avait assisté à des scènes épouvantables. Elles lui avaient inspiré des romans brillants, récompensés par des prix littéraires. Il y montrait comment la peur, la douleur et la haine se nourrissent d’elles-mêmes en surenchères de violences. Des violences que chacun, tour à tour, pour son compte ou pour celui des siens, considère comme de justes vengeances.

 Dans son dernier roman, L’enragé, les violences sont confinées, moins sanguinaires, mais la rancœur, la haine, l’enchaînement des coups et des représailles sont de même nature. De quoi enrager !

Les événements de L’enragé se sont déroulés en 1934 à Belle-Ile-en-Mer, une terre isolée chantée par Laurent Voulzy. Un site jadis jugé idéal pour installer une prison, car comme l’avait mentionné une autrice italienne pour éclairer un titre de livre, il n’y a pas de mur Plus haut que la mer. Au fil des années, la vieille prison a été rebaptisée : Colonie pénitentiaire, établissement d’éducation surveillée, institut de réinsertion d’adolescents en difficulté. On sait ce que recouvrent ces dénominations politiquement correctes : une maison de corrections, où j’écris le mot au pluriel, car les enfants reclus, les « colons », y ont été maltraités, battus, violés au gré des envies de défoulement des surveillants. Des traitements qui achevaient de transformer en animaux sauvages, agressifs et… enragés, des adolescents sans repères, enfermés pour des vétilles ou coupables de simple vagabondage.

C’est le cas de Jules Bonneau, surnommé la teigne et fier de l’être. Ce jeune homme imaginé par l’auteur est enfermé depuis six ans. Il raconte son évasion et celle d’une cinquantaine de ses camarades, un événement réel, survenu lors d’une rébellion générale consécutive à une brutalité de trop. L’Administration fera appel à la population de l’île pour une méprisable « chasse aux enfants ». Ils seront quasiment tous repris. Qu’en sera-t-il pour Jules ?

Tout le long de sa narration, Jules s’exprime comme il parle. Des phrases courtes, un rythme haché, une retenue de respiration, comme lorsqu’on guette sans cesse autour de soi d’où viendra la prochaine menace. Un ton monocorde, parce qu’il faut dissimuler, aux autres et à soi-même, les bonnes et les mauvaises nouvelles, de même qu’il faut masquer le début de sympathie et de confiance que l’on peut éprouver pour quelqu’un.

Celles et ceux qui veulent du bien à Jules peineront à l’apprivoiser. La confiance ? Une inconnue pour lui. Il serre les poings dès qu’on l’approche. Il lui arrive même, lorsqu’il se sait en situation d’infériorité, d’enrager intérieurement et d’imaginer les violences dont il rêve de frapper son interlocuteur.

Pendant une bonne partie du livre, je me suis senti extérieur aux événements racontés. Peut-être trouvais-je trop lisible l’intention de l’auteur, sa volonté de m’émouvoir, de provoquer mon indignation ! Cela m’a incité à résister, à rester sur ma réserve. Plus tard, après l’évasion, tout au long de la cavale de Jules, j’ai laissé se développer mon empathie pour le personnage, j’ai craint ses réactions irréfléchies à l’égard de personnes bienveillantes, j’ai craint qu’il ne se fasse manœuvrer par d’autres, malintentionnées.

Belle performance d’écriture que de faire parler ce jeune homme à un tel rythme pendant quatre cents pages ! Sorj Chalandon prétend qu’il n’y serait pas parvenu s’il n’avait pas été battu, enfant. Mais moi qui ai lu Profession du père, je n’y avais pas trouvé l’enfant particulièrement enragé…

Le thème de l’ouvrage n’est pas neuf. Il m’a ramené à des romans de la fin du XIXe siècle, évoquant l’enfance malheureuse ou maltraitée, Sans famille, Poil-de-carotte, Oliver Twist, que l’on faisait lire autrefois dans les bonnes familles, pour que les enfants prennent conscience de leur sort heureux et qu’ils mangent sagement leur soupe, par égard pour ceux qui n’ont rien dans leur assiette.

FACILE     ooo   J’AI AIME

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Veiller sur elle, de Jean-Baptiste Andrea

Publié le 18 Septembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Septembre 2023, 

Je me suis précipité sur Veiller sur elle, le dernier roman de Jean-Baptiste Andrea, car j’avais été enchanté par Des diables et des saints, le précédent. J’ai relu ma critique de celui-ci, ce que je vous invite à faire aussi, parce que pour celui-là, je pourrais presque me laisser aller aux mêmes mots enthousiastes. La lecture de Veiller sur elle a déclenché à nouveau en moi « toutes sortes d’émotions négatives et positives, compassion, consternation, indignation et aussi espoir, soulagement, éblouissement, sans oublier de fréquents sourires et même quelques rires francs ».

Bien entendu, l’histoire de Mimo n’a rien à voir avec celle de Joseph, mais un air de famille saute aux yeux. Des destinées personnelles toutes deux sous-tendues par une référence artistique suprême. Pour succéder au pianiste obsédé par les sonates de Beethoven, l’auteur a cette fois-ci imaginé un sculpteur tourmenté par la Piéta de Michel-Ange. Il en porte d’ailleurs le prénom.

Dès sa naissance, le sort s’avère ingrat pour Mimo, dont le nom complet est Michelangelo Vitaliani. Pauvreté, et surtout achondroplasie ! En compensation, un visage séduisant, de la force musculaire, une personnalité charismatique ; et puis une détermination, une envie de revanche et un talent pour la sculpture qui touche au génie.

Mimo fait ses classes à Pietra d’Alba, un village situé sur un plateau rocheux de Ligurie, où la pierre a pris des teintes de lever de soleil. C’est là, adolescent, qu’il rencontre Viola Orsini, une fille de marquis. Elle a son âge, des yeux intenses, une allure androgyne, un cerveau brillant, caustique et hypermnésique. Ses passions, ses ambitions, ses exigences sont fantasques. Mimo éprouvera pour elle jusqu’à sa mort, une sorte de fascination mystique. Chez Andrea, les amours de jeunesse sont pures et éternelles.

Des errances mènent Mimo à Florence et à Rome, en un temps où l’Etat italien, récemment unifié, cherche avec peine à s’affirmer. Des choix perdants d’alliance pour les deux guerres mondiales. Entre les deux, l’aventure fâcheuse du fascisme ; violence, dictature et mondanités. L’Eglise catholique reste toute puissante ; bienveillance, combinaisons et… mondanités. Chez les Orsini, une famille prestigieuse, on a tout compris et on a beaucoup d’ambition pour les frères de Viola. L’ainé meurt presque au champ d’honneur, le cadet sera presque pape, le benjamin aura presque été ministre de Mussolini.

C’est sur son lit de mort, que Mimo fait défiler la partie active de sa vie, en Italie, depuis la Première Guerre mondiale jusqu’aux lendemains de la Deuxième. Sa narration est entrecoupée du récit de ses derniers instants, quarante ans plus tard, ainsi que de commentaires contextuels sur son œuvre et sur la sculpture du marbre.

Veiller sur elle est une fiction audacieuse et pleine de surprises. Elle pique la curiosité. L’envie de savoir qui veille sur qui ou quoi, et pourquoi ! Elle m’a enchaîné à ma lecture, chapitre après chapitre, presque à l’aveugle, car aucun de ces chapitres ne porte de titre ni de numéro, une habitude chez l’auteur. Cela pourra t’égarer, lectrice, lecteur, mais laisse-toi balader, tu trouveras ton plaisir. Les aventures vécues par Mimo s’inscrivent dans le cadre d’un mystère énigmatique, qui n’a pas été jugé digne des caves du Vatican, et dont la clé n’est dévoilée que dans les dernières pages.

Les péripéties sont relatées d’une plume fluide, imprégnée d’une pointe d’humour absurde. Une plume devenant lyrique pour dépeindre les couleurs changeantes des paysages de Ligurie, les déambulations dans les villes d’art italiennes, ou la beauté d’une sculpture semblant éclore d’un bloc de marbre. La richesse du vocabulaire et la grâce des métaphores sont éblouissantes.

Les sommets littéraires sont rares. Des diables et des saints en était un. Veiller sur elle en est un autre. Jean-Baptiste Andrea n’est pas le seul à les atteindre. Mais cela fait deux en l’espace de trente mois.

GLOBALEMENT SIMPLE   ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Sidi, d'Arturo Pérez-Reverte

Publié le 30 Août 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Août 2023, 

Il a bourlingué un peu partout sur la planète en tant que journaliste correspondant de guerre. Il est aussi l’auteur de nombreuses fictions historiques et policières, dont plusieurs ont été primées et portées à l’écran. Pour Sidi, son dernier roman, le troisième que j’aurai critiqué, Arturo Pérez-Reverte a réécrit l’épopée de Ruy Diaz de Vivar, surnommé Sidi (Seigneur en arabe), un personnage de la légende médiévale hispanique, qui avait inspiré le Cid à Corneille.

Les événements servant de cadre au récit datent de la fin du XIe siècle. Après la dissolution du califat de Cordoue, qui avait unifié une Andalousie mauresque (Al-Andalus), l’Espagne se retrouve morcelée en petits états indépendants ; dans la partie musulmane, une dizaine de royaumes (ou taïfas) ; dans la partie chrétienne, les royaumes de Castille, Navarre, Leon, Aragon et le comté de Barcelone. Les haines personnelles et les ambitions territoriales amènent les souverains à se faire la guerre, nouant à cet effet d’éphémères alliances, sans forcément d’exclusive religieuse.

Le roman relate un épisode de la vie du capitaine Ruy Diaz, ou Sidi, un chef de guerre indépendant, à la tête d’une compagnie de cavaliers lanciers, des mercenaires qu’il a réunis sous son étendard. Banni par le roi de Castille, Ruy Diaz cherche un souverain acceptant de l’engager pour un bon prix avec ses hommes. Rejeté avec mépris par le comte de Barcelone, Sidi signe un contrat avec le roi de la taïfa de Saragosse, un Maure pour lequel il va combattre.

Très documenté selon son habitude, l’auteur a incorporé au récit nombre de détails sur les mœurs de l’époque, qu’on est bien obligé de trouver barbares. Adeptes d’une solidarité virile et soumise à leur chef, les hommes s’en vont en guerre encombrés de harnachements lourds et d’armes à la technologie fruste. Les combats sont sans merci ; on tue pour ne pas être tué ; pas de prisonniers sur les champs de bataille ! Lors des razzias sur les villages et les fermes isolées, les hommes sont exécutés, les femmes et les enfants emmenés en captivité pour être vendus aux marchands d’esclaves.

L’emploi de dialogues bien tournés, un peu répétitifs toutefois, est une façon habile de présenter les stratégies et la psychologie du chef de guerre, ainsi que sa technique de motivation des hommes. Le récit s’enlise un peu — à mon goût — dans les longues pages guerrières décrivant les positions à attaquer, les préparatifs des hommes et de leurs chevaux, puis les charges, les corps-à-corps. Pérez-Reverte connaît d’expérience le sujet et il sait trouver les mots qui frappent. Mais je n’ai pas pris grand plaisir à lire des évocations du bruit des métaux s’entrechoquant, puis transperçant ou tranchant les chairs des hommes et des chevaux ; pas davantage à conceptualiser le sang qui gicle, les viscères qui se répandent, la poussière qui recouvre les visages des vivants et des morts.

L’auteur s’est attaché à ciseler avec minutie la personnalité de Ruy Diaz, son autorité, sa valeur martiale, son comportement héroïque. L’homme combat avec ses troupes et partage leur ordinaire. C’est un stratège astucieux, dur au mal, qui s’interdit toute faiblesse sentimentale, négocie comme un joueur de poker et sait régler ses comptes avec élégance — à cet égard, la scène finale avec le comte de Barcelone est savoureuse —. Mais il ne transige pas avec ses valeurs et l’honneur chevaleresque.

On retrouve les grands traits de ce personnage dans d’autres romans de l’auteur. Serait-ce parce qu’il lui ressemble ? Dans ses chroniques d’opinion, Arturo Pérez-Reverte témoigne d’un esprit clair, ferme sur les valeurs et indépendant de toute faction. Il est « bien chaussé » dans ses bottes, pourrait-on dire, en référence aux railleries subies par Sidi, au début du récit, à la cour du comte de Barcelone.

Et les femmes ? Unique personnage féminin, Rachida est une belle princesse brune au regard émeraude et au tempérament flamboyant. Elle apparaît très peu et l’on ne saura rien du face-à-face auquel Ruy Diaz s’expose. Pudeur de l’auteur ou volonté délibérée de laisser libre cours à l’imagination des lecteurs et des lectrices ?

GLOBALEMENT SIMPLE     ooo   J’AI AIME

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Le Romantique, de William Boyd

Publié le 30 Août 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Août 2023, 

Autrefois, quand le web n’existait pas, il était impossible, seul chez soi, de chercher des références de livres à lire. Quelques libraires faisaient connaître leurs recommandations, mais ils donnaient souvent le sentiment d’un choix limité et dicté par les éditeurs. Heureusement, il y avait la télé et Apostrophes, une émission que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître. Dans les années quatre-vingt, j’ai ainsi suivi un conseil inopiné de Bernard Pivot : j’ai acheté, lu et beaucoup aimé un livre d’un jeune écrivain britannique nommé William Boyd. Depuis, j’ai lu ses romans dès leur publication, une bonne quinzaine d’entre eux, en tout cas. Le Romantique est le quatrième que je critique.

Le Romantique est une fausse biographie. C’est une fiction, qui raconte la vie, en plein dix-neuvième siècle, d’un Anglo-Irlandais né en Ecosse, répondant au nom de Cashel Greville Ross ; un homme qui aura cherché fortune et bonheur un peu partout en Europe et sur trois autres continents. Il aura croisé quelques figures célèbres — Lord Byron, les époux Shelley — et aura été mêlé à des événements ayant marqué l’Histoire, comme la bataille de Waterloo, ou ayant un jour fait partie de l’actualité, comme une polémique fameuse ayant opposé des explorateurs sur la localisation des sources du Nil.

William Boyd est un excellent conteur et j’ai suivi agréablement les bonnes et les moins bonnes fortunes de Cashel, dans des pérégrinations subies ou choisies, menées depuis son enfance jusqu’au jour de sa mort à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Irrémédiablement idéaliste et naïf, il aura fait partie de ces hommes toujours prêts à se lancer dans des projets nouveaux étonnants et même détonnants. Des aventures qui souvent l’auront dépassé, mais dans lesquelles il aura chaque fois cru s’accomplir, jusqu’au moment où… Se tenant en haute estime, il aura eu tendance à sous-évaluer les écueils susceptibles d’advenir et à ne pas trop se soucier de ses responsabilités personnelles. Mais quoi qu’il lui en ait coûté, il s’en sera toujours tenu au principe d’écouter son cœur et non pas la raison.

Styliste talentueux, William Boyd est capable d’adopter différents partis littéraires. Dans Le Romantique, le texte fleure bon son dix-neuvième siècle ; une écriture tout à fait adaptée au genre du roman et traduite en français à la perfection.

Mais !… Mais si elles recèlent leurs lots de rebondissements et d’extravagances attestant de l’imagination débordante de l’auteur et de son humour, les aventures picaresques et amoureuses de Cashell Greville Ross ne sont pas suffisamment captivantes, pour que le roman puisse être considéré comme un chef-d’œuvre ou comme un « page turner ». Il m’a fallu supporter quelques détails longuets. J’ai parfois eu, avec regret, l’impression que l’auteur n’exploitait pas à fond les intrigues qu’il avait imaginées. C’est notamment mon sentiment pour l’histoire d’amour de Cashel et de Raffaella, qui prétend s’inspirer d’un épisode de La divine Comédie.

J’ai aussi éprouvé une sensation de déjà vu, un phénomène après tout normal quand on suit régulièrement un auteur. William Boyd avait déjà écrit un livre sur un personnage contraint à plusieurs reprises, par les circonstances, à fuir les lieux où il était installé et à abandonner ses proches (L’amour est aveugle). Et ce n’est pas non plus la première fois qu’il utilise des artifices pour faire croire que des personnages de roman ont vraiment existé et qu’ils ont participé activement à des événements réels (Les vies multiples d’Amory Clay).

Voilà donc les quelques raisons pour lesquelles la lecture de ce livre m’a inspiré une légère déception. Une réaction personnelle, un peu égoïste. Car Le Romantique a tout pour séduire celles et ceux qui souhaiteront découvrir William Boyd, son grand talent littéraire et sa maîtrise de l’art romanesque.

GLOBALEMENT SIMPLE     ooo   J’AI AIME

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