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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

romans

Le sang des innocents, de S.A. Cosby

Publié le 11 Mars 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mars 2024 

S.A. Cosby avait quarante-cinq ans lorsque sa première nouvelle a été publiée, puis primée, en 2018. Depuis, les romans s’enchaînent avec succès et il a pu abandonner son job alimentaire dans le funérarium de son épouse. Enfant, Cosby avait connu la misère, la vraie, dans la vieille caravane où il avait vécu avec son frère et ses parents.

S.A. Cosby est issu du Sud profond américain, un territoire où des Noirs sont, comme lui, à jamais hantés par les conditions d’esclavage imposées à leurs ancêtres, tandis que certains Blancs continuent à dénier la défaite des Confédérés dans la guerre de Sécession et restent nostalgiques d’une époque qu’ils glorifient, ne serait-ce que pour affirmer leur suprémacisme ou pour provoquer les militants progressistes, partisans des droits civiques. Le Sud profond est marqué par des décennies de crimes et de vengeances atroces. Son sol est imbibé du sang d’innocents et des larmes qui l’accompagnent. Aujourd’hui encore, la violence peut exploser au moindre incident.

Cette violence latente est présente dès les premières pages du roman. Titus Crown est le premier Noir à être élu shérif du comté de Charon, en Virginie. Après douze ans de service au FBI, il est revenu sur sa terre natale avec l’intention de faire respecter les droits démocratiques de chacun, sans concessions. Il est inévitablement considéré comme illégitime par la frange la plus extrémiste de la population blanche. En même temps, il inspire une sorte de méfiance aux Noirs et aux progressistes, qui craignent qu’il ne finisse par s’incliner devant les arguments des puissants.

Le roman commence par une alerte malheureusement récurrente outre-Atlantique, une fusillade dans un lycée. Un adolescent noir a ouvert le feu et tué un professeur blanc estimé de tous. Le meurtrier est abattu quelques minutes plus tard par deux adjoints blancs du shérif. Ce dernier les suspend immédiatement, conformément aux procédures… Les conditions sont en place pour que chaque communauté s’en vienne à tour de rôle au bureau du shérif crier à l’injustice.

L’affaire va s’avérer plus complexe et plus sordide, qu’elle n’en a l’air. Les premiers éléments de l’enquête vont révéler au shérif Crown des pratiques monstrueuses de tortures et d’assassinats d’enfants noirs, puis l’existence d’un serial killer, ordonnateur de ces pratiques : un criminel psychopathe et mystique.

Mystique, le tueur n’est pas le seul à l’être, sur le territoire de Charon. Noir ou Blanc, chacun semble avoir été nourri d’enseignements bibliques et les avoir revisités à la sauce des prédications émises dans l’église évangélique qu’il fréquente. Certains se livrent même à leur propre interprétation et ce n’est jamais sans risque. D’autres ont pris du recul et fait la part des choses, comme le shérif Titus Crown himself. Cela ne supprime pas les sentiments de culpabilité diffuse, qui amènent chacun à chercher sa rédemption où il le peut.

Le sang des innocents est un thriller assez classique dans sa construction et dans ses péripéties, tant pour les éclaboussures d’hémoglobine, qui n’impressionnent plus personne, que pour les rebondissements, qui ne m’ont pas surpris. Les quatre cents pages du livre forment un tout cohérent et bien rythmé, qui se lit sans déplaisir, même si l’on n’est pas un amateur idolâtre de ce genre de littérature. La scène finale est, comme il se doit, ultraviolente et sanglante. Les pages qui la suivent et qui clôturent le roman font redescendre en douceur la tension.

L’élément attachant de l'ouvrage est son personnage principal, le shérif Titus Crown. Droit dans ses bottes, confiant en ses valeurs, en ses méthodes et en sa détermination, Titus n’en a pas moins ses failles et un secret qui l’honorent, l’humanisent, mais le fragilisent. En le créant, l’auteur a certainement projeté ses propres espérances d’Afro-Américain du Sud.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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La Sentence, de Louise Erdrich

Publié le 11 Mars 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mars 2024,

De Louise Erdrich, j’avais lu il y a deux ans Celui qui veille, roman qui avait obtenu le Pulitzer de la fiction. Personnellement, j’avais trouvé le livre un peu ennuyeux. Avec La Sentence, auréolé à l’automne dernier du Femina étranger, ne risquais-je pas de me retrouver dans la même situation ?

Louise Erdrich est une écrivaine atypique. D’origine amérindienne, elle puise son inspiration dans la vie, l’histoire et les cultures des peuples autochtones, auxquelles elle est indissolublement liée. Les fictions qu’elle imagine se déroulent précisément là où s’étendaient jadis les territoires des tribus sioux. Elle confronte ses principaux personnages à l’actualité et à l’histoire des Etats-Unis, dans des épisodes qui les concernent plus ou moins spécifiquement.  

Ces personnages portent en eux les traces d’une civilisation disparue, ainsi que les stigmates des drames de leurs ancêtres, massacrés ou chassés de leurs terres lors de la conquête de l’Ouest. Des fantômes qui les aident à supporter ou à expliquer des difficultés au quotidien. N’en étant pas moins citoyens américains, ils assument de surcroît une sorte de culpabilité collective plus ou moins consciente pour des failles personnelles dues à des situations sociales précaires : vols, violence, alcoolisme, drogue, prostitution, mensonges en tout genre.

Tout cela ressort de la narration de Tookie, personnage principal de La Sentence. A quarante ans, elle a bénéficié d’une remise de peine après dix ans de prison, à la suite d’une condamnation à soixante ans pour avoir participé, à l’insu de son plein gré, à des faits délictueux. Une sentence absurde pour une conduite absurde : gag cocasse ou outrance dialectique ? Tookie évoque aussi son enfance tragique, sa toxicomanie compulsive. Ses dix ans d’emprisonnement semblent ne mériter que quelques pages.

L’histoire qu’elle raconte commence lors de son retour à la vie civile. Elle a décidé de s’acheter une conduite. Elle épouse Pollux, le flic (tribal) qui l’avait arrêtée dix ans plus tôt — encore un gag ? — et qui, depuis, était devenu entrepreneur et commerçant.

En prison, Tookie avait découvert le pouvoir des mots, des phrases — sentence in english — et des livres. Sa capacité à les lire, à les comprendre et à les assimiler lui vaut d’être embauchée dans une petite librairie de Minneapolis, dont la propriétaire n’est autre que Louise Erdrich, qui apparaît en filigrane dans la fiction.

Tookie adore son métier et les contacts qu’il lui procure, mais après le décès d’une cliente, elle se sent hantée par l’esprit de cette femme. La divagation s’étend et alimente des débats sans fin avec son mari et ses collègues. De très longs passages, où s’entremêlent lyrisme et surnaturel, mais que mon cartésianisme occidental un peu hermétique au symbolisme amérindien aura eu du mal à supporter.

Je me suis senti plus accroché par la deuxième moitié du livre, où Tookie et ses proches se trouvent confrontés à deux événements dramatiques survenus en 2020.

En mai, la mort à Minneapolis de l’Afro-Américain George Floyd, étouffé sous le genou d’un policier, déclenche une série de manifestations, d’émeutes et de destructions urbaines. Tookie et cie sont bouleversés par le meurtre perpétré et par les dégâts commis, tout en en commentant les circonstances avec un certain fatalisme. Voilà qui donne matière à réflexion.

Survient aussi la pandémie de la Covid, les inquiétudes initiales, les interrogations sur la contagion, les rumeurs vraies ou fausses, la recherche désespérée de masques réglementaires. Je ne sais pas si tu te reconnaîtras, lectrice, lecteur, mais tu reconnaîtras sûrement des proches ; rétrospectivement, c’est plutôt drôle. Moins drôles sont les hospitalisations d’urgence en détresse respiratoire, les longs séjours en soins intensifs sous oxygène, et le martyr des proches, privés d’informations fiables et d’autorisation de visites. Peut-être en avais-tu souffert. On n’évoquera pas les issues plus graves.

La richesse narrative de Louise Erdrich et la poésie de son écriture sont très agréables à lire, mais les trop nombreuses pages consacrées aux états d’âme et aux fantômes de Tookie ne m’ont pas fait vibrer, pas plus que son érudition littéraire. D’ailleurs, j’ai lu bien peu de livres de sa bibliothèque idéale.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Qui après nous vivrez, de Hervé Le Corre

Publié le 20 Février 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Février 2024, 

Figure reconnue de la littérature policière française, Hervé Le Corre a été primé à maintes reprises pour ses romans. Leurs intrigues se nouent généralement au cœur de faits divers tragiques, survenant dans des univers sociaux de misère et de souffrance, inspirés de la réalité sociale ou historique. Des rapports de force particulièrement violents et sordides exposent des personnages faibles et fragiles à d’autres, puissants et malveillants.

Qui après nous vivrez n’est pas un polar, c’est une dystopie, un roman d’anticipation pessimiste, dans lequel l’auteur a imaginé un monde auquel il apporte ses codes habituels de noirceur, de terreur, d’horreur, de mort, tout en s’inspirant des pires prédictions survivalistes d’effondrement de la civilisation.

En 2050, tout saute. Plus d’électricité et donc plus d’éclairage, plus d’appareils, plus de réseaux, plus d’industrie ! Une mégapanne ? Bon ! C’est déjà arrivé, on attend que ça reparte… Mais là, ça ne repart pas. Ça tombe mal, quand le quotidien est déjà plombé par les pénuries, les épidémies, les incendies, les guerres de gangs, sous un soleil brûlant alternant avec des pluies glacées.

Fin de la civilisation technologique, telle que nous la connaissons. Retour progressif à des conditions de vie pratique qui ressemblent à celles du Moyen-Age. Ce saut en arrière s’accompagne en parallèle d’une perte de sens de l’humain et de la société, au profit de luttes individuelles ou en clans pour survivre, tous les coups étant permis. Retour en même temps, et peut-être encore plus rapidement, à une certaine forme de bestialité, qui réinstalle l’homme dans son rôle de domination, de prédation et d’asservissement de la femme.

Les chapitres du livre entremêlent — dans un désordre auquel il faut s’habituer — les aventures traversées entre les années 2050 et 2120 par un lignage de quatre personnages féminins, Rébecca, Alice, Nour et Clara. Elles se transmettent, de mère en fille, la volonté de survivre jour après jour. Au fil des générations, leurs environnements sont de plus en plus hostiles. Mais l’espèce humaine a du ressort et s’efforce de s’adapter. Ce qui compte, c’est le lendemain. Pour après, on verra ! Parfois se présente ce qui ressemble à un havre de paix, où l’on peut se poser quelque temps. Il faudra toutefois repartir. L’humanité retrouve des habitudes de nomadisme. On se remet en route, en quête d’on ne sait trop quoi.

Comment en est-on arrivé là ? s’interrogent les personnages. L’auteur a des convictions politiques claires : ce sont les riches et les puissants qui ont mené le monde à la catastrophe. Il faut bien désigner des coupables, même si l’auteur déclare aussi que cela faisait des décennies que chacun était prévenu et pensait pouvoir s’adapter.

 L’on peut à bon droit être impressionné par le travail d’imagination et d’écriture déployé pour décrire, avec autant de détails, la nature qui retourne à l’état primaire et les ruines de ce que furent des maisons, des quartiers, des villes. Des visions cauchemardesques, entrecoupées de scènes insoutenables de brutalités, de meurtres, de guerres, de viols. Un texte d’une poésie macabre et fangeuse, qui rappelle qu’Hervé Le Corre révère Lautréamont.

L’auteur sait mettre en tension sa narration, y introduire du suspens. On s’attache à Rébecca, à Alice, à Nour et à Clara, qui, en dépit des agressions et des sévices, placent l’amour au-dessus de tout. Quel destin l’auteur leur a-t-il réservé ?

Les sentiments humains n’ont pas tous disparu. Dans les moments d’espoir ou de désespoir apparaissent des gestes d’entraide, de solidarité. Quelques épisodes sont très émouvants. L’amour maternel pourrait-il sauver l’espèce ? Un éclair réconfortant dans une lecture plutôt démoralisante.

Une lecture en même temps éprouvante, car d’un chapitre à l’autre, il n’est pas facile de saisir dans quelle génération l’auteur nous invite. Cela donne par moment l’impression de relire des descriptions et des péripéties déjà entrevues.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Et c'est ainsi que nous vivrons, de Douglas Kennedy

Publié le 20 Février 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Février 2024, 

Douglas Kennedy est un homme de lettres éclectique et expérimenté. C’est aussi un observateur critique de la société américaine, tellement critique qu’il ne compte pas que des admirateurs outre-Atlantique. Ne mâchant jamais ses mots lorsqu’il s’exprime sur Donald Trump et sur la frange la plus conservatrice du Parti républicain, il n’épargne pas non plus l’emprise des GAFAM, les abus de la finance et les absurdités de la cancel culture.

Ecrire un roman est, selon lui, une excellente méthode pour philosopher sur l’évolution du monde. Concevoir une fiction est l’occasion d’y insérer ses analyses, ses réflexions, ainsi que ses inquiétudes ou ses fantasmes, afin de les partager. En l’occurrence, il observe avec lucidité la société américaine se fissurer entre deux extrémismes, l’un traditionaliste et populiste, l’autre progressiste et figé dans les codes de bien-pensance qu’il a édictés.

A partir de là, pas difficile de se projeter dans un futur à vingt ans. La fissure est devenue fracture. Dans Et c’est ainsi que nous vivrons, les Etats-Unis n’existent plus. Une sécession a eu lieu, à l’initiative des Etats des côtes Est et Ouest, sous l’impulsion de leurs « élites » et d’un multi-milliardaire de la « tech ».  La République unie (RU) est née. Les autres Etats, ceux de l’Amérique profonde, au centre du pays, que l’on appelle les Etats fly-over parce que les « élites » ne font que les survoler – fly over est le titre original du livre –, se sont constitués en Confédération unie (CU).

Cette dernière est devenue une théocratie absolue, administrée par douze Apôtres. Bigoterie, puritanisme et valeurs chrétiennes intégristes sont à l’honneur. La condition des femmes a fait un bon d’un siècle en arrière. Les relations sexuelles hors mariage, l’avortement et le blasphème sont punis de mort. De son côté, la RU a réussi à conjuguer objectifs financiers, écologiques et technologiques, tout en garantissant une totale liberté des mœurs. L’enjeu suppose une adhésion sans réserve aux valeurs nationales. Pour éviter toute déviance, toute velléité d’opposition, les citoyens sont équipés d’une puce qui surveille leurs actes et leurs propos.

De chaque côté, la justice est expéditive ; pas de temps à perdre, peu importent les doutes, les pertes collatérales… Que choisir, entre le totalitarisme de Big Brother et la dictature de l’Inquisition ?

Depuis la sécession, RU et CU sont des ennemies irréductibles. Les haines entre leurs ressortissants sont implacables, comme si leur Histoire commune n’avait jamais existé. C’est la guerre, une guerre qui n’a rien avoir avec la guerre de Sécession du XIXe siècle. Les armes sont technologiques. Les champs de bataille sont l’espionnage, le sabotage, l’assassinat ciblé par drone. Une zone neutre, située dans le Minnesota, permet toutefois quelques échanges… mais aussi des fuites et des infiltrations.

Pour l’auteur, il fallait que l’ouvrage soit un roman, un thriller, même. Il a donc concocté un scénario comportant, comme il se doit, suspense, meurtres, trahisons, etc. Il a imaginé le personnage de l’agent Samantha Stengel, au service secret de la RU. Sa mission, qu’elle a acceptée, est de s’infiltrer en CU afin de neutraliser une ennemie… qui n’est pas n’importe qui.

DK a de l’imagination à revendre et la plume facile. Mais je n’ai pas accroché aux intrigues, qu’une prolifération de détails tire en longueur. Je n’ai pas été sensible aux rebondissements de situations à répétition. En surfant sur de possibles technologies numériques de demain et leur intelligence artificielle, on rend crédible n’importe quelle mascarade.

Enfin, malgré ses doutes, ses états d’âme et sa grande maîtrise de soi, l’agent Stengel ne m’a pas inspiré d’empathie ; je n’ai donc pas tremblé ni vibré pour elle.

Reste la description très intéressante et convaincante de ce qui pourrait attendre les Américains, en poussant à l’extrême les tendances des clivages actuels. Sans oublier que les mêmes menaces existent en France et en Europe.

DIFFICILE     oo   J’AI AIME… UN PEU

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Et vous passerez comme des vents fous, de Clara Arnaud

Publié le 23 Janvier 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2024, 

Nature writing à la française ! Clara Arnaud est ce qu’on appelle une écrivaine voyageuse. Depuis qu’elle est toute jeune, elle bourlingue en solitaire dans les montagnes du monde, où elle s’adonne à l’écriture. Dernier domicile connu, le haut pays ariégeois ; elle y écrit Et vous passerez comme des vents fous, une trilogie qui t’emmènera, lectrice, lecteur, directement « into the wild », dans les montagnes sauvages des Pyrénées centrales, le pays des ours. En France, c’est là qu’on trouve des ours en liberté — quelques dizaines —, depuis que l’espèce, menacée de disparaître, a été volontairement régénérée dans les années 90, dans le cadre d’une politique d’encouragement de la biodiversité.

L’ours fascine. Capable comme l’homme de se tenir debout, il a toujours occupé une place symbolique majeure dans les imaginaires. Il est une créature mythique, pour laquelle l’homme éprouve une sorte d’affection enfantine, tout en sachant qu’un face à face avec cet animal sauvage et brutal représenterait une menace mortelle. Dès son plus jeune âge, l’homme verrait bien en l’ours un compagnon, mais pour concrétiser cette attirance, il sait qu’il doit accéder à un rapport de maître à esclave.

Jusqu’au début du XXe siècle, des hommes sont ainsi parvenus à élever des oursons et à les dresser, pour en faire plus tard leurs partenaires dans des spectacles de montreurs d’ours. Tombée en désuétude, cette pratique, décriée de nos jours comme moralement indigne, apportait à l’époque une forme de gloire populaire à ces saltimbanques de fêtes foraines.

Aujourd’hui, le rapport de l’homme à l’ours reflète toujours un double sens. La protection des ours en tant qu’espèce oppose des gens bien intentionnés en matière de biodiversité et de respect animalier, à des éleveurs qui, soucieux de préserver leur gagne-pain quotidien, considèrent l’ours comme une menace pour leurs troupeaux. Une expression parmi d’autres de l’antagonisme traditionnel : citadins vs ruraux.

Telles sont les réflexions ayant amené l’autrice à concevoir les trois fictions qui s’entremêlent dans Et vous passerez comme des vents fous. La première raconte le parcours de Jules, un jeune homme de la région, qui, à la fin du XIXe siècle, capture un ourson pour le dresser. Sa carrière de montreur d’ours le mènera outre-Atlantique pour le meilleur et surtout pour le pire.

La deuxième fiction est consacrée à Gaspard, un berger. Il garde huit cents brebis ne lui appartenant pas dans des prés, en altitude, pendant les quatre mois de la période estivale. Il vit avec son troupeau et veille à son intégrité, malgré les maladies, les intempéries, les risques de chutes… et malgré l’ours. Doux, tourmenté par un passé tragique, Gaspard est pacifique. Mais parmi les modestes éleveurs qui lui confient leur patrimoine, quelques-uns ne seraient-ils pas enclins à sortir leur fusil ?

Alma est chercheuse en biodiversité. A l’instar de l’autrice, dont elle est un double, elle a l’expérience de la proximité des ours… en Alaska. Elle défend l’idée qu’une meilleure connaissance de l’ours permet d’anticiper son comportement vis-à-vis des troupeaux et même d’influer sur lui. Dans la troisième fiction, qui se déroule en contrepoint de la deuxième, elle tente de mettre ses principes en pratique.

L’autrice est possédée par la montagne, une montagne hostile, belle comme l’enfer : embûches des pentes, des forêts, des roches, des à-pics ; exposition à la canicule, aux orages, à la grêle, dans des conditions de vie primitives. Au travers des personnages, on ressent son goût pour l’aventure en solitaire, entrecoupée de moments de relâchement festif en société. C’est aussi ce qui ressort de son écriture, dense, touffue, impressionnante par le détail des observations, par la diversité des descriptions, et dont l’expression semble sortir des tripes.

L’aspect documentaire du livre m’a passionné. Mais la montagne de Clara Arnaud et ses personnages ne m’ont pas fait vibrer. Je suis un citadin ; à la montagne, je ne suis qu’un citadin en vacances. Qu’importe ! Le livre, comme la montagne, est éternel ; et moi, sans être un vent fou, je ne fais que passer.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Personne ne meurt à Longyearbyen, de Morgan Audic

Publié le 23 Janvier 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2024, 

Prof d’histoire-géo à la ville, Morgan Audic est aussi auteur de thrillers. Il imagine des crimes barbares commis dans des contextes géopolitiques troubles et troublés. J’avais apprécié son précédent ouvrage, De bonnes raisons de mourir, dont l’essentiel de l’intrigue prenait place, pendant la guerre du Donbass, dans la zone irradiée de Tchernobyl, retournée à l’état sauvage après l’explosion de la centrale.

Son dernier roman, Personne ne meurt à Longyearbyen, m’a embarqué en plein hiver pour le Svalbard, un archipel norvégien, situé bien au-delà du cercle arctique. L’été, on peut y apercevoir le fameux Spitzberg ; l’hiver, on ne peut espérer contempler que des aurores boréales. Le territoire bénéficie d’un statut diplomatique spécial, car il est tenu pour stratégique par plusieurs pays, et tout particulièrement par la Russie. On y trouve des centres de recherche d’avant-garde en biologie marine. Les conditions climatiques, la configuration désertique et la présence d’ours blancs représentent de telles difficultés dans la vie courante, que les autorités locales sont très attentives à la sécurité et au bien-être de chacun. Tout est fait pour qu’on ne meure pas au Svalbard.

Et pourtant l’on y découvre le corps d’une jeune femme à moitié dévorée par un ours blanc ; une thésarde, qui étudiait l’impact de l’activité humaine sur le comportement des mammifères marins. Accident ? C’est ce que voudraient croire les autorités et la petite équipe de police locale. Dans un thriller, c’est toutefois peu probable. Ce n’est pas non plus l’avis d’une jeune inspectrice récemment installée à Longyearbyen pour se ressourcer, loin de la trépidation stressante des grandes villes.

Une deuxième intrigue se développe dans un autre archipel, plus au sud, à proximité des côtes norvégiennes. Les îles Lofoten ont longtemps vécu de la pêche. Puis le tourisme a pris de l’ampleur, dopé par les superbes paysages de fjords et de reliefs rocheux, ainsi que par la curiosité pour les évolutions des baleines, des bélugas et des orques. Une ex-journaliste de guerre vient de s’y installer, en vue d’une reconversion dans le tourisme marin.

Elle est retrouvée morte, noyée. On pense qu’elle s’est jetée à l’eau. Dépression ou quelque chose comme ça. Bien sûr, un journaliste, ancien partenaire de la victime, n’en croit rien et il investigue.

Deux enquêtes, donc. Convergeront-elles ?

Dans ces régions du Nord profond, on imagine aisément des tempéraments humains sages, réglo, respectueux. Il n’en est rien. Les pêcheurs de saumons, de cabillauds, de baleines n’en font qu’à leur tête. Ils pestent et se rebellent contre les règlements européens et contre les défenseurs de la cause animale. Ceux-ci surveillent ceux-là et n’hésitent pas à dénoncer les nombreuses transgressions. De menaces en provocations, tout peut survenir.

Sans compter que dans certaines bases militaires, on a appris à dresser des cétacés à des fins de reconnaissance sous-marine.

Ce thriller très documenté m’a passionné pendant 45 chapitres (sur un total de 53). J’ai suivi avec plaisir et curiosité les pérégrinations de la policière et du journaliste, deux personnes abimées par la vie, qui enquêtent avec détermination, parcourant sans relâche des territoires nocturnes, glacés et sauvages, pour interroger les suspects. Au bout du compte, on trouve au Svalbard des êtres humains ni meilleurs ni pires qu’ailleurs, qu’ils agissent par intérêt personnel ou pour le compte d’une grande puissance.

Les huit derniers chapitres m’ont un peu déplu. Non pas sur le fond ! Je regrette une espèce de naïveté dans la narration, tant pour les scènes de lutte préalable à l’arrestation du criminel, que pour les trop longues révélations apportées ultérieurement. Mais cela n’efface pas ma bonne impression générale.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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La vie en fuite, de John Boyne

Publié le 1 Janvier 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2024,

Eh bien oui ! Il est possible de fonder un roman au ton léger sur les horreurs de la Shoah, sans qu’il soit pour autant choquant ou insultant à l’égard de sa Mémoire. John Boyne, un écrivain irlandais connu pour ses ouvrages conçus pour la jeunesse, s’y était déjà attelé en 2006, avec Le garçon en pyjama rayé, un grand succès de librairie. Il récidive des années plus tard avec la publication de La vie en fuite, un roman plus long, destiné cette fois-ci aux adultes. L’auteur en a confié la narration à Gretel, l’une des protagonistes du précédent livre.

Les deux ouvrages se lisent toutefois indépendamment l’un de l’autre, sans le moindre problème.

De très nombreuses années ont passé. Dans La vie en fuite, Gretel est âgée de quatre-vingt-onze ans. Veuve, propriétaire depuis plusieurs décennies d’un grand appartement au sein d’une petite résidence située dans un quartier chic de Londres, elle vit un nouvel épisode mouvementé d’une vie longue et tourmentée. Non seulement sa voisine de palier, plus jeune de vingt-trois ans, semble perdre la boule, mais il se passe des choses bizarres dans l’appartement du dessous. Gretel a des principes, notamment sur la responsabilité des parents envers leurs enfants. Faudra-t-il intervenir ?

Les nouvelles aventures de Gretel alternent avec d’anciennes pages de son existence, ayant compté pour elle ; à Paris, dans les mois qui ont suivi la capitulation de l’Allemagne ; à Londres et jusqu’en Australie, au début des années cinquante, face à des hommes qu’elle a aimés, un Juif tchèque dont la famille avait été déportée puis anéantie, et un ancien sous-officier nazi plus préoccupé d’oubli qu’envahi de regrets. Apparaissent en filigrane des souvenirs de ce qu’elle appelle l’Autre Endroit, de son père, de sa mère et surtout de son petit frère.

Gretel est née allemande en 1931 et l’on comprend dès le premier chapitre que, pendant la Seconde Guerre mondiale, son père avait dirigé, en Pologne, le plus sinistrement célèbre camp de concentration et d’extermination nazi. La famille vivait sur place. Gretel était alors une préadolescente. Une tragédie personnelle l’avait profondément marquée en 1943. Mais pour le reste, que savait-elle, que comprenait-elle ? Qu’aurait-elle pu faire, sur le moment ? Et plus tard, qu’aurait-elle pu ou dû faire ?… Et nous-mêmes, qu’aurions-nous dit ou fait à sa place ?

Les thèmes sous-jacents principaux du livre sont la culpabilité, la responsabilité, la complicité, en particulier la complicité passive, celle qui consiste à ne rien dire, à ne pas réagir face à des situations inacceptables. Des problèmes de conscience qui auront poursuivi Gretel toute sa vie et auxquels, lectrice, lecteur, des événements peuvent te confronter à tout moment. Elle finira par les régler en tranchant dans le vif d’une manière inattendue, dont je ne te conseille pas de t’inspirer.

J’ai souvent dit et écrit qu’écouter les victimes de tragédies criminelles suscitait une empathie et une émotion irrépressibles, mais que cela ne permettait pas de comprendre comment ces tragédies avaient pu survenir. Pour essayer d’en saisir les principes actifs, il est préférable de s’intéresser aux bourreaux ou, comme dans le cas présent, aux spectateurs restés passifs. Chez certaines personnes, le sentiment de culpabilité ne peut pas être indéfiniment refoulé.

La construction romanesque de l’ouvrage est très originale et intelligente. Au-delà de leurs qualités indirectement didactiques, les expériences vécues et racontées par Gretel se lisent très agréablement, d’autant qu’elles sont enrichies d’anecdotes et de digressions plaisantes. Les péripéties s’articulent en toute cohérence, ce qui n’empêche pas les nombreux et courts chapitres d’apporter leur lot de surprises. Le ton de la narration est fluide, enlevé, avec une pointe d’humour british.

Voilà donc un roman excellent à tous points de vue. Aucun point faible. Une lecture accessible à tout le monde.

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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La Bibliothécaire d'Auschwitz, d'Antonio Iturbe

Publié le 1 Janvier 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans, témoignage

Janvier 2024,

Les histoires de bibliothèques m’intriguent toujours. Je me dis qu’un livre qui parle de livres ne peut être que plaisant et à chaque fois, je me fais avoir.

En l’occurrence, le mot plaisant est inapproprié. La Bibliothécaire d’Auschwitz est avant tout un livre sur Auschwitz, et plus précisément sur l’un des camps de l’immense complexe d’Auschwitz-Birkenau, celui qu’on appelle le camp familial, parce qu’y sont détenues des familles ; des Tchèques, femmes, hommes, enfants, juifs pour la plupart. L’un de ces détenus, un jeune éducateur sportif nommé Fredy Hirsch, convainc le haut commandement allemand de consacrer un baraquement, le bloc 31, à des activités pour enfants, afin d’améliorer la productivité du travail des parents. Qu’on soit clair ! Officiellement, pas question pour les nazis d’instruire des enfants juifs sans futur. Pourtant, les animations ludiques se transforment secrètement en sessions scolaires. Une jeune fille, Dita, prend même la responsabilité risquée de gérer clandestinement une pauvre et disparate bibliothèque de huit livres.

Sur cette histoire vraie, le journaliste et écrivain espagnol Antonio Iturbe a élaboré un récit plus ou moins romancé, inspiré de personnages authentiques. Il rend hommage à deux d’entre eux, Dita et Fredy Hirsch. L’ouvrage détaille sur près de cinq cents pages l’actualité quotidienne de Dita, bibliothécaire à Auschwitz. Le récit s’élargit à son enfance à Prague avant l’arrivée des nazis et à la construction de sa vie d’adulte après la guerre.

On comprendra qu’un tel livre comporte deux dimensions. L’une, littéraire, découlant de qualités romanesques et d’écriture. L’autre, historique, s’appuyant sur la rigueur documentaire et sa valeur de témoignage.

Pour être franc, il ne faut pas attendre de finesse littéraire dans la lecture de La Bibliothécaire d’Auschwitz. On peut même considérer que l'absence de fluidité, la rudesse du style, les redondances, les longueurs narratives sont en cohérence avec les règles, les brutalités, les privations, les angoisses supportées par les personnages et répétées jour après jour, indéfiniment.

Sous sa forme de roman, La Bibliothécaire d’Auschwitz est une enquête très documentée et détaillée sur les conditions concrètes de vie des Juifs déportés en camp de concentration et d’extermination. Au fil des chapitres, des milliers de détenus déferlent jour après jour sur Auschwitz ou en repartent pour d’autres camps. Des milliers de femmes, de vieillards et d’enfants sont orientés chaque jour vers les chambres à gaz. Des chiffres effrayants par leur ampleur, par leur monstruosité.

Mais les chiffres n’expriment que des faits secs, situés au-delà de l’émotion du lecteur. Celle-ci ne peut être atteinte que par la narration de cas particuliers. Quelques belles démonstrations d’humanité personnelle. De rares pertes d’humanité, mais qui ne sont que des preuves supplémentaires d’humanité ; qui pourrait se permettre de les juger ? Et surtout, chaque jour, pour chaque femme, pour chaque enfant, pour chaque homme, la crainte que ce ne soit le dernier, pour soi et pour ceux qu’on aime ; la lutte sur soi-même, pour que cela ne le soit pas, jusqu’à…

Les adolescents pourraient être les premiers touchés par les pauvres joies et les dérisoires déceptions quotidiennes de la jeune bibliothécaire. Avec en prime une leçon : pour espérer vivre ou survivre, il faut un projet, une tâche concrète qui oblige à se préparer pour le jour suivant.

La Bibliothèque d’Auschwitz n’est pas un livre qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Je ne lui donne donc pas de note. C’est le genre de livre que l’on doit s’astreindre à lire de temps en temps, pour perpétuer la Mémoire, quand elle existe ; ou pour la régénérer chez celles et ceux qui ignorent, qui oublient, qui relativisent.

 DIFFICILE              

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Les Aiguilles d'or, de Michael McDowell

Publié le 11 Décembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2023, 

La très honorable maison Monsieur Toussaint Louverture a réussi un joli coup d’édition, avec le lancement très remarqué de la « Bibliothèque Michael McDowell », collection constituée de l’adaptation française de la saga Blackwater et de quelques autres ouvrages de l’écrivain et scénariste américain. Mort en 1999 à l’âge de quarante-neuf ans, McDowell avait produit dans les années quatre-vingt une œuvre littéraire prolifique et variée, qui rencontra un grand succès populaire dans les librairies anglophones, avec de nombreuses rééditions en livres de poche.

Les réseaux sociaux ont beaucoup mentionné récemment Blackwater, ce qui a éveillé ma curiosité. Je n’ai pourtant pas eu envie de me lancer dans une série en six volumes et je me suis contenté de lire Les Aiguilles d’or, traduction d’un thriller social datant lui aussi de plus de quarante ans. Certaines publications de Monsieur Toussaint Louverture étant aujourd’hui disponibles en version numérique, j’ai pu lire Les Aiguilles d’or sur ma liseuse, étant toutefois privé de la magnifique couverture réalisée selon la tradition de l’éditeur, et dont je n’ai pu voir qu’une photo en noir et blanc.

L’histoire imaginée par l’auteur se situe à New York en 1882. Le livre aurait très bien pu être écrit à la même époque, tellement le style littéraire de l’ouvrage fleure bon celui des romans du XIXe siècle : une description très méticuleuse et détaillée des visages des personnages, de leurs expressions, de leurs vêtements ; même souci de précision pour l’agencement des locaux et pour l’atmosphère des quartiers dans lesquels se déroulent les actions, notamment les bas-fonds de New York. L’éditeur évoque d’ailleurs avec discrétion un esprit à la Dickens. On pourrait aussi citer Victor Hugo. Une conception littéraire qui incite le lecteur à mettre en scène dans sa tête les images des péripéties. Ecriture cinématographique, dirait-on aujourd’hui.

L’intrigue globale met aux prises deux familles, que tout oppose. Les Stallworth, luxueusement installés dans les beaux quartiers de Manhattan, sont de grands bourgeois fortunés, confits dans l’autoadmiration de leurs bonnes manières et dans la certitude de leur supériorité morale, qui devrait légitimer n’importe lequel de leurs projets. Les Shanks habitent un taudis, au cœur d’un secteur nommé le Triangle noir, où prolifèrent la misère, la dépravation et le crime. Ils vivent d’expédients illicites, ne pouvant compter que sur leur malice, leur absence de scrupules, leur esprit de solidarité et leur instinct de survie.

Face à face, manipulant avec autorité leur lignée d’enfants et de petits-enfants, se dressent l’implacable Juge Stallworth, qui conçoit de grandes ambitions pour les siens, et la redoutable mère-maquerelle Lena la Noire, qui pilote avec finesse les activités diverses d’un gang féminin efficace. Comme au théâtre de marionnettes, on se prend à ressentir plus de sympathie pour Guignol que pour le gendarme. Peu à peu, le roman évolue ainsi vers le conte moralisateur, avec une pointe d’humour noir. Mais les derniers chapitres et le dénouement, plutôt violents, ne sont pas à mettre entre les mains des petits enfants…

Les événements s’enchaînent avec fluidité. On découvre avec amusement les stratagèmes élaborés par les uns et les autres. Il n’est pas difficile d’imaginer, dès leur énonciation, ceux qui réussiront et ceux qui feront pschitt. Le livre se lit donc agréablement, sans vraiment de surprise. Un bon moment de lecture. Une littérature comestible, mais dont la dégustation s’oublie vite.

FACILE     ooo   J’AI AIME

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Trust, d'Hernan Diaz

Publié le 11 Décembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2023, 

Difficile, sans en dévoiler la substantifique moelle, de partager mon éclairage sur Trust, le roman de l’écrivain argento-américain Hernan Diaz, que le prix Pulitzer vient de récompenser. Je ne vois pas en effet comment en parler sans en parler ! Et je ne reconnais pas le livre dans la présentation qui en est donnée par l’éditeur en quatrième de couverture.

J’ai trouvé très intéressant le concept de base imaginé par l’auteur, de même que le principe constructif qui en résulte. Un principe constructif qui, selon le sommaire, structure l’ouvrage en quatre grandes séquences. En revanche, la manière de traiter les thématiques narratives choisies ne m’a pas plu ; j’y reviendrai.

Dans les deux premières séquences, un financier riche et célèbre, que des spéculations avaient encore enrichi lors du krach de 1929, croit se reconnaître dans le personnage central d’un roman titré « Obligations », qui raconte la vie d’un riche et célèbre financier fictif et de son épouse. Ulcéré par la relation de certains événements et par les portraits psychologiques brossés par le romancier, ce financier tente d’écrire lui-même l’histoire de sa vie, de son couple, donnant sa version personnelle de ce qu’il conteste, en profitant pour vanter ses principes d’action et ses valeurs morales de spéculateur. Troisième séquence : abandonnant son projet d’écriture, il recrute une jeune secrétaire, dont il attend qu’elle retranscrive ses souvenirs et ses commentaires au sein d’un ouvrage romanesque accessible au grand public ; rien ne se passera comme prévu. Une courte dernière séquence, tranchant par sa forme avec les précédentes, explicite l’ensemble.

Tu peux maintenant, lectrice, lecteur, aborder Trust, en sachant dans quoi tu t’engages. Peut-être pourras-tu ainsi aller sans t’ennuyer au bout du roman enchâssé — Obligations —, contrairement à moi qui en ai lu les presque cent trente pages de narration monotone ininterrompue, sans savoir de quoi il en retournait. Abandonner un livre n’est pas dans mon habitude, mais j’ai été à deux doigts de le faire. Je n’ai commencé à accrocher à ma lecture de Trust que dans sa troisième séquence. La curiosité de la jeune secrétaire a réussi à éveiller la mienne.

Quel est le sujet ? Benjamin Rask — alias d’Andrew Bevel — est présenté comme une sorte de surhomme, doté pour les affaires d’un flair hors norme, étayé par des aptitudes de mathématicien génial, et alimenté en multiples données compilées par une armée de statisticiens. En tant qu’investisseur ou spéculateur, il voit toujours juste, et en cas improbable d’erreur, il a encore la possibilité de « tordre la réalité, pour la faire coïncider avec son erreur », qui du coup n’en est plus une. Un principe général qui peut toujours s’énoncer, mais est-il pour autant crédible ?

Dans chacune des séquences, les récits semblent guidés par une vision désincarnée du monde de la finance ; un monde mythique, inspirant fascination/répulsion aux littéraires. Il serait possible, pour l’élite d’une élite, de concevoir des martingales, enclenchant ce que certains commentateurs appellent avec dédain un processus irréversible d’accumulation de richesses. Le cerveau d’un grand financier serait ainsi l’équivalent d’une intelligence artificielle et ses qualités de cœur seraient celles d’un ordinateur… Peut-être pourtant suffit-il d’observer attentivement le fonctionnement d’un téléscripteur !...

Tout aussi désincarnés sont les couples Benjamin/Helen et Andrew/Mildred.  Homme et femme sont dépeints comme surdoués et asociaux, affublés d’aptitudes et de handicaps de calculateurs prodiges. Des relations conjugales abstraites, même pas platoniques.

Bien sûr le mythe du surhomme et celui de l’homme protecteur sont finalement déconstruits. Ils le sont au profit d’un mythe en devenir, qui ne me surprend pas, parce que j’y crois. Il y a longtemps que je sais que la femme est l’avenir de l’homme.

DIFFICILE     oo   J’AI AIME… UN PEU

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