Mars 2019,
Jack London (1876-1916), c’était pour moi Croc-Blanc et L’appel de la forêt (titre original : The call of the wild). Je ne voyais en lui qu’un auteur de livres pour la jeunesse, un écrivain de la nature et des espaces sauvages. En m’intéressant à Martin Eden, un épais roman d’aventures publié en 1909, je découvre que Jack London était bien plus que cela et que sa propre vie a été un roman d’aventures et d’expériences détonnantes. D’où la question : Martin Eden serait-il un roman autobiographique ? Non, prétendait l’écrivain. Il présentait pourtant de flagrantes similitudes de parcours avec son personnage.
San Francisco, début du vingtième siècle. Né dans la misère et très tôt livré à lui-même pour survivre, Martin Eden, vingt ans, a bourlingué comme matelot sur la plupart des mers et des océans du globe. Son physique musculeux, son ouverture d’esprit et son caractère bonhomme lui valent un certain succès auprès des femmes et des hommes de son milieu social. Dur à la peine, amateur de bagarres et de beuveries jusqu’à plus soif, il se montre un compagnon joyeux, toujours prêt à faire la fête dans les bars des bas-fonds de San Francisco, comme dans les bouges des ports d’escale.
Inopinément introduit dans une famille de grands bourgeois, il tombe raide dingue de leur fille, Ruth, une étudiante en littérature dont la beauté éthérée, les manières élégantes et la culture raffinée le fascinent. Ruth n’est pas indifférente au physique viril de Martin, mais elle est choquée par ses frusques minables, ses manières gauches et sa façon grossière de s’exprimer. Tous deux prennent conscience du fossé social et culturel qui les sépare.
Qu’à cela ne tienne ! Martin dispose d’une incroyable confiance en ses capacités : rien ne lui paraît impossible. Résolu à conquérir Ruth, il décide d’apprendre les bonnes manières et d’atteindre un niveau de connaissances qui lui permettra de se fondre dans le monde de sa bien-aimée. Pendant des mois, il travaille d’arrache-pied, ratissant les bibliothèques, ingurgitant encyclopédies, dictionnaires, grammaires, dévorant tous types d’ouvrages, poésie, philosophie, économie, mathématique, sciences… Ruth est épatée par ses progrès, mais cela suffit-il ?
Prenant conscience de l’originalité de son vécu de bourlingueur, Martin se propose de le raconter par écrit. Voilà ! Son avenir est tout trouvé, il sera écrivain, une manière comme une autre de gagner sa vie. Mais pour l’heure, il loge dans une chambre insalubre et ne mange pas à sa faim.
Martin ne rencontre pas le succès naïvement escompté, ni auprès des revues littéraires auxquelles il soumet ses textes, ni auprès de Ruth qui lui suggère de trouver plutôt un métier lui permettant de fonder une famille. Il en faudrait plus pour décourager le jeune homme qui décide alors de s’investir totalement dans l’écriture, travaillant jour et nuit à la production de nouvelles, de romans, de contes, de poèmes, d’essais… Il vit dans la misère, mais comme un joueur croyant à son va-tout, il reste persuadé que le prochain ouvrage sera le bon.
Las, aucun résultat !... Toutes et tous finissent par se détourner de lui, d’autant plus que Martin, parvenu à un niveau de savoir et de culture hors du commun, constate l’insignifiance intellectuelle des notables proches de Ruth et n’hésite pas à leur clouer le bec.
Un jour, alors que lui-même n’y croit plus, l’un de ses textes est publié dans une revue. Les lecteurs sont enthousiastes, la revue en redemande, d’autres se manifestent, les éditeurs se précipitent. C’est le succès, immense. Gloire et fortune. Toutes et tous reviennent précipitamment vers lui…
Mais quelque chose est cassé chez Martin. Pourquoi toutes ces invitations, à quoi riment ces témoignages d’estime et d’admiration, que signifient ces déclarations d’amitié et d’amour ? « Il y a quelques semaines, j’avais faim et j’étais en haillons… et pourtant, j’étais le même ! » ne cesse-t-il de ressasser… C’est trop tard, tout cela ne l’intéresse plus…
La lecture de Martin Eden est très agréable. La personnalité du héros est attachante, son idylle avec Ruth est mignonnette. Sa critique du monde de l’édition et celle de la haute société citadine sont savoureuses. Un siècle plus tard, elles ne paraissent pas démodées.
Jack London fut l’un des premiers écrivains américains à faire fortune grâce à son œuvre. Mais déçu par la vanité et l’inconsistance des cénacles bourgeois qui prétendaient l’adouber, il resta fidèle aux combats politiques de sa classe sociale d’origine. Il est même devenu une icône du socialisme. Dans Martin Eden, Jack London voulait dénoncer l’individualisme forcené du self-made-man américain, dont il est pourtant lui-même une illustration. Des contradictions douloureuses qui ne seront pas sans incidence sur son alcoolisme, ses dépressions et une mort mystérieuse à l’âge de quarante ans.
GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT