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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

romans

Martin Eden, de Jack London

Publié le 5 Mars 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mars 2019, 

Jack London (1876-1916), c’était pour moi Croc-Blanc et L’appel de la forêt (titre original : The call of the wild). Je ne voyais en lui qu’un auteur de livres pour la jeunesse, un écrivain de la nature et des espaces sauvages. En m’intéressant à Martin Eden, un épais roman d’aventures publié en 1909, je découvre que Jack London était bien plus que cela et que sa propre vie a été un roman d’aventures et d’expériences détonnantes. D’où la question : Martin Eden serait-il un roman autobiographique ? Non, prétendait l’écrivain. Il présentait pourtant de flagrantes similitudes de parcours avec son personnage.

 

San Francisco, début du vingtième siècle. Né dans la misère et très tôt livré à lui-même pour survivre, Martin Eden, vingt ans, a bourlingué comme matelot sur la plupart des mers et des océans du globe. Son physique musculeux, son ouverture d’esprit et son caractère bonhomme lui valent un certain succès auprès des femmes et des hommes de son milieu social. Dur à la peine, amateur de bagarres et de beuveries jusqu’à plus soif, il se montre un compagnon joyeux, toujours prêt à faire la fête dans les bars des bas-fonds de San Francisco, comme dans les bouges des ports d’escale.

 

Inopinément introduit dans une famille de grands bourgeois, il tombe raide dingue de leur fille, Ruth, une étudiante en littérature dont la beauté éthérée, les manières élégantes et la culture raffinée le fascinent. Ruth n’est pas indifférente au physique viril de Martin, mais elle est choquée par ses frusques minables, ses manières gauches et sa façon grossière de s’exprimer. Tous deux prennent conscience du fossé social et culturel qui les sépare.

 

Qu’à cela ne tienne ! Martin dispose d’une incroyable confiance en ses capacités : rien ne lui paraît impossible. Résolu à conquérir Ruth, il décide d’apprendre les bonnes manières et d’atteindre un niveau de connaissances qui lui permettra de se fondre dans le monde de sa bien-aimée. Pendant des mois, il travaille d’arrache-pied, ratissant les bibliothèques, ingurgitant encyclopédies, dictionnaires, grammaires, dévorant tous types d’ouvrages, poésie, philosophie, économie, mathématique, sciences… Ruth est épatée par ses progrès, mais cela suffit-il ?

 

Prenant conscience de l’originalité de son vécu de bourlingueur, Martin se propose de le raconter par écrit. Voilà ! Son avenir est tout trouvé, il sera écrivain, une manière comme une autre de gagner sa vie. Mais pour l’heure, il loge dans une chambre insalubre et ne mange pas à sa faim.

 

Martin ne rencontre pas le succès naïvement escompté, ni auprès des revues littéraires auxquelles il soumet ses textes, ni auprès de Ruth qui lui suggère de trouver plutôt un métier lui permettant de fonder une famille. Il en faudrait plus pour décourager le jeune homme qui décide alors de s’investir totalement dans l’écriture, travaillant jour et nuit à la production de nouvelles, de romans, de contes, de poèmes, d’essais… Il vit dans la misère, mais comme un joueur croyant à son va-tout, il reste persuadé que le prochain ouvrage sera le bon.

 

Las, aucun résultat !... Toutes et tous finissent par se détourner de lui, d’autant plus que Martin, parvenu à un niveau de savoir et de culture hors du commun, constate l’insignifiance intellectuelle des notables proches de Ruth et n’hésite pas à leur clouer le bec.

 

Un jour, alors que lui-même n’y croit plus, l’un de ses textes est publié dans une revue. Les lecteurs sont enthousiastes, la revue en redemande, d’autres se manifestent, les éditeurs se précipitent. C’est le succès, immense. Gloire et fortune. Toutes et tous reviennent précipitamment vers lui…

 

Mais quelque chose est cassé chez Martin. Pourquoi toutes ces invitations, à quoi riment ces témoignages d’estime et d’admiration, que signifient ces déclarations d’amitié et d’amour ? « Il y a quelques semaines, j’avais faim et j’étais en haillons… et pourtant, j’étais le même ! » ne cesse-t-il de ressasser… C’est trop tard, tout cela ne l’intéresse plus…

 

La lecture de Martin Eden est très agréable. La personnalité du héros est attachante, son idylle avec Ruth est mignonnette. Sa critique du monde de l’édition et celle de la haute société citadine sont savoureuses. Un siècle plus tard, elles ne paraissent pas démodées.

 

Jack London fut l’un des premiers écrivains américains à faire fortune grâce à son œuvre. Mais déçu par la vanité et l’inconsistance des cénacles bourgeois qui prétendaient l’adouber, il resta fidèle aux combats politiques de sa classe sociale d’origine. Il est même devenu une icône du socialisme. Dans Martin Eden, Jack London voulait dénoncer l’individualisme forcené du self-made-man américain, dont il est pourtant lui-même une illustration. Des contradictions douloureuses qui ne seront pas sans incidence sur son alcoolisme, ses dépressions et une mort mystérieuse à l’âge de quarante ans.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Washington Square, de Henry James

Publié le 5 Mars 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mars 2019, 

Né américain en 1843 à New-York, Henry James est mort naturalisé britannique en 1916 à Londres, où il s’était établi après avoir longuement voyagé entre l’Amérique et l’Europe. Issu d’une famille riche, cultivée et puritaine, Henry James a voué sa vie à la littérature. Fasciné par le mystère des choses et la complexité des êtres, il a coutume de laisser ses personnages, qu’il considère comme imprévisibles, tracer tous seuls leur destinée.

 

Son livre le plus connu, Le tour d’écrou, que j’ai lu il y a longtemps, flirte avec le fantastique, un genre que je n’apprécie pas trop. L’œuvre d’Henry James est suffisamment vaste pour offrir des opportunités de lectures plus traditionnelles

 

Washington Square, publié en 1880, est l’un de ses premiers romans. Inspiré par le travail de Balzac dans la Comédie Humaine, Henry James dépeint la société new-yorkaise dans une comédie dramatique de facture réaliste, mettant en scène quatre personnages principaux : une jeune femme à marier, son père, une tante intrigante et un prétendant. Qui sont-ils ?

 

Commençons par le prétendant, un très bel homme d’une trentaine d’années. Morris Townsend ne manque pas de charme, d’entregent, ni de confiance en lui. Les manières sont avenantes, le verbe facile. Mais sans fortune, ni situation, il pourrait n’avoir pour projet que d’épouser une jeune femme riche. C’est en tout cas ce que semble être son ambition.

 

Catherine Sloper est la fille d’un médecin prospère, renommé à New-York. A vingt-deux ans, elle vit avec son père dans une belle maison de Washington Square, un quartier chic et tranquille. Elle est l’expression typique de ce qu’on appelle un beau parti. Mais c’est une jeune femme au physique banal, à l’intelligence moyenne, à la conversation insipide. Plutôt naïve, timide et effacée, elle n’a jamais été courtisée. Elle est donc vulnérable.

 

Le Docteur Sloper est un homme de principe, hautement conscient de son statut, de ses valeurs et de sa fortune. Ayant perdu très tôt sa femme et un petit garçon, il ne lui reste que Catherine. Lucide, il ne se fait guère d’illusions sur les attraits physique et intellectuel de sa fille, à qui il a la fâcheuse habitude de toujours adresser la parole sur un ton ironique. Mais qu’un homme puisse tenter de la séduire pour ce qu’on appelle ses espérances, est une idée qui le révulse.

 

Mrs Penniman – Tante Alvinia – est la sœur du Docteur Sloper. Veuve et désargentée, elle a été prise en charge par son frère et est hébergée à Washington Square. Soucieuse de se montrer utile, elle se targue d’avoir contribué à l’éducation de Catherine, à laquelle elle est très attachée. Romantique frustrée, elle ne cesse de s’interposer entre Catherine et Morris, s’efforçant de manipuler secrètement leur romance, souvent maladroitement et à contretemps.

 

En dépit des longueurs et de la lenteur des actions, j’ai suivi avec plaisir et intérêt – comme au théâtre ! – l’intrigue qui se développe entre les quatre personnages, me demandant s’ils arriveraient à briser l’espèce de carapace de verre dans laquelle l’auteur a enfermé leur personnalité. Il aurait peut-être suffi qu’un seul y parvienne, pour bousculer la destinée à laquelle, sinon, Catherine et Morris ne pouvaient pas échapper.

 

Parfaitement traduit, le texte est d’une limpide pureté syntaxique et d’une grande précision lexicale. La lecture est fluide. Les petites particularités des personnages sont décrites avec subtilité, l’humour étant sous-jacent du début à la fin.

 

L’auteur a choisi de confier la narration à ce qu’on appellerait un « observateur omniscient », un personnage invisible qui n’intervient pas dans l’intrigue, mais qui assiste à toutes les scènes, qui connaît le passé de chaque personnage actif, entend leurs pensées, ressent leurs émotions et note leurs stratégies. Le lecteur suit donc en direct les réactions de chacun.

 

Mais comme on l’a dit, les personnages d’Henry James restent imprévisibles et maîtres de leurs choix. Le narrateur n’est qu’un observateur. Comme le lecteur.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Face à face : Les Piliers de la Terre, de Ken Follett

Publié le 20 Février 2019 par Ode dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Février 2019,

En 2013, Ode publiait sur Babelio la chronique suivante :

 

Du haut de leur millier de pages, Les Piliers de la Terre (The Pillars of the Earth) ont remué les fondations du roman historique !

 

Fort de son expérience dans le domaine du roman d'espionnage et du thriller psychologique, Ken Follett signe en 1989 un ouvrage qui renouvelle les codes de la fiction historique, pour la populariser façon grand spectacle et tenir le lecteur en haleine de bout en bout. C'est le début d'un succès incontestable qui le fera devenir un des maîtres du genre.

 

Comme quelques écrivains du XIXe siècle, il choisit pour cette grande fresque une des périodes les moins connues du grand public, à savoir le Moyen Âge. C'est à la fois un risque, car le thème pourra rebuter certains, mais aussi un avantage, car peu d'auteurs s'y aventurent et rares sont les lecteurs capables de déceler des erreurs ou des anachronismes. Signalons toutefois que Ken Follett fait relire ses textes à des historiens, ce qui assoit sa crédibilité.

 

Pour ma part, j'ai justement choisi cet ouvrage parce qu'il traite du Moyen Âge – ma période de prédilection. Les piliers de la Terre sont en réalité ceux des cathédrales que les hommes du XIIe siècle érigent un peu partout à la gloire de Dieu. A travers le destin de Tom le bâtisseur, de Jack, son successeur, et du prieur Philip à l'origine de la cathédrale (fictive) de Kingsbridge, Ken Follett leur rend un formidable hommage. La rivalité entre le prieuré de Kingsbridge et le comté de Shiring est passionnante, et les personnages de Jack et Aliéna (la fille de l'ancien comte de Shiring) romanesques à souhait.

 

Si l'auteur ne nous épargne aucune violence sur l'époque (par exemple, le prologue s'ouvre sur une cruelle scène de pendaison...), il ne tombe pas pour autant dans les clichés. Cette dureté est contrebalancée par des élans spirituels et des protagonistes animés de préoccupations qui ne détonneraient pas dans notre monde moderne. Les luttes de pouvoir, intrigues politiques et courses à la richesse sont exercées par des religieux (comme le sournois Waleran Bigod), des seigneurs (tel l'infâme William Hamleigh) et des monarques qui, bien loin de protéger leurs sujets, ne cultivent que leurs intérêts personnels. Toutefois, et c'est un peu la marque de fabrique de Ken Follett, ses personnages demeurent manichéens : les gentils le restent désespérément et les méchants inexorablement, jusque dans la tombe.

 

L'influence des thrillers et des romans d'espionnage est palpable dans l'efficacité de l'intrigue qui ménage de fréquents rebondissements et changements de perspective afin d'attiser l'attention – et la tension – des lecteurs. Le style est vivant et la narration suffisamment élaborée pour permettre plusieurs registres de lecture : aventure, documentaire sur l'histoire d'Angleterre, précis d'architecture ou d'économie médiévale, roman d'amour, thriller politique... selon les goûts de chacun(e).

 

Les Piliers de la Terre ont donné lieu à une adaptation télévisée en plusieurs épisodes : je ne saurais que trop vous conseiller de privilégier le livre, bien plus riche et subtil à mon goût. Oui, c'est un pavé... mais bien petit à côté de tous ceux qu'il a fallu pour bâtir ces monuments célestes.

 

ooooo   ODE A AIME PASSIONNEMENT

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Face à face : Les Piliers de la Terre, de Ken Follett

Publié le 20 Février 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Février 2019,

En 2016, je publiais la chronique suivante:

 

N’ayant jamais lu Ken Follet, au grand dam d’amis amateurs inconditionnels de cet auteur, je m'étais lancé dans Les Piliers de la Terre.

 

Impressionnant par son épaisseur, le livre se présente comme une grande fresque romanesque, sur fond historique de guerre civile dans l’Angleterre du douzième siècle. Une sorte d’épopée inspirée par le projet de construction d’une cathédrale dans le petit bourg de Kingsbridge, et dont les péripéties, portées par un petit noyau de personnages principaux, se développent sur plusieurs décennies.

 

Parmi ces personnages, il y a Philip, le prieur du monastère, commanditaire du projet, véritable autorité locale tant spirituelle que temporelle, Tom dit « le bâtisseur », maître d’œuvre de la construction, Jack, qui lui succèdera, ainsi qu’Ellen et Aliena, deux femmes dont la beauté suscite désir et amour et dont la forte personnalité rayonne sur leur entourage. Tous ceux-là sont les « Bons ». Ils débordent de sentiments nobles ; ils sont bienveillants, justes (mais sévères !), francs, loyaux, courageux ; ils s’attachent au bonheur de leurs proches. Dans leurs luttes pour la réussite du projet et la survie de Kingsbridge, ils font parfois preuve de naïveté, mais avec le temps, ils progressent en lucidité et déjouent finalement la plupart des machinations ourdies contre eux...

 

En face, les « Mauvais », autour de William et de l’évêque Waleran. Opposés à la construction de la cathédrale, ils se montrent haïssables du début jusqu’à la fin. Ils n’obéissent qu’à de viles motivations : la cupidité, la vanité, la jalousie, la vengeance... Ils sont sournois, lâches, dénués de pitié (sauf envers eux-mêmes), dominés par des pulsions qu’ils sont incapables de dominer. Ainsi sont-ils fréquemment en train de blêmir, bouillir, bouillonner, écumer ou étouffer de fureur, de rage, de haine ou de honte... Le lecteur attend fébrilement qu’ils soient durement châtiés... Patience !...

 

L’ouvrage, très long, est d’une grande cohérence et le fil des péripéties très facile à suivre. L’écriture est claire et transparente. L’auteur en accélère habilement le rythme lors des moments dramatiques ; je m’y suis volontiers laissé prendre, ma tension augmentant avec l’amoncellement des épreuves et des menaces sur les « Bons », puis se détendant lors des passages plus paisibles. Mais l’intensité baisse avec la répétition. Dans la dernière partie, les offensives lancées par les « Mauvais » laissent un arrière-goût de déjà vu... Même plus peur !!...

 

Le livre – c’est l’un de ses mérites ! – offre une bonne évocation de la vie quotidienne au Moyen Âge, mais j’ai trouvé excessive et fastidieuse la profusion de détails documentaires sur l’architecture, le négoce ou l’artisanat. J’ai eu l’impression de lire des scripts collectant des indications descriptives de mises en scène...

 

J’ai été agacé par certains passages, notamment quand l’auteur explicite – et rabâche ! – la psychologie des personnages, leurs réflexions ou leurs états d’âme, avec tellement de détails simplistes évidents, que cela donne le sentiment qu’il dénie toute finesse à ses lecteurs au point de devoir coûte que coûte leur mettre les points sur les i !

 

Il manque pour moi, dans ce livre, un peu de poésie, de profondeur et de mystère. Au final, Les Piliers de la Terre est un bon gros livre d’aventures, qui se lit facilement avec une émotion et un intérêt réels, mais dont les effets s’atténuent graduellement au fil des chapitres.

 

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Grand frère, de Mahir Guven

Publié le 7 Février 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Février 2019,

Je ne suis pas du genre à tomber en extase à tort et à travers. Mais là, avec Grand frère, j’ai été bluffé ! Bluffé par l’effervescence étourdissante de ce roman social et psychologique, dont la fin est aussi haletante qu’un thriller. Bluffé dès les premières pages, car ce qui frappe au premier abord dans ce livre, c’est la langue.

 

Une langue qui explose à la figure, qui coupe le souffle. Une langue brutale, mais émouvante, car on n’y trouve nulle haine. Juste de la colère et de l’amour au bord de l’ébullition. Une langue inspirée de celle des jeunes des banlieues, des cités, celles du neuf-trois, car c’est là qu’ont été élevés les deux narrateurs du roman, deux frères franco-syriens. Un univers social que connaît bien l’auteur, Mahir Guven, né apatride à Nantes d’une mère turque et d’un père kurde, tous deux réfugiés.

 

Une vie en HLM, ça n’était pas vraiment ce qu’envisageait le père de nos deux narrateurs, lorsqu’il avait quitté sa Syrie natale, dans les années quatre-vingt, pour terminer ses études à Paris. Dans le contexte socio-économique que nous connaissons, il a malheureusement dû se contenter d’une carrière d’artisan taxi. Le daron – comme on dit dans la langue de ses fils – est un homme entier, pénétré de certitudes, profondément laïque malgré une éducation musulmane. Maman, une femme douce originaire de Saint-Malo, est morte subitement devant ses fils encore enfants. Dix-huit ans plus tard, c’est comme si c’était hier. Ce qui reste d’elle, hormis le chagrin, c’est l’amour.

 

L’amour de la famille ! La famille importe avant tout, même si le daron ne comprend rien à ses fils. Et entre ceux-ci, Grand frère et Petit frère, c’est à la vie à la mort. Depuis que maman est partie, rien ne compte plus pour l’un que l’autre. Ils se comprennent et savent ce que l’autre ressent sans se parler, sans même se regarder.

 

Grand frère est chauffeur VTC affilié à une plateforme, une trahison pour le daron, un plan B acceptable pour ceux qui, dans les quartiers, n’ont pu réussir dans le foot ou la musique. Dans les chapitres dont il est le narrateur, au volant de sa japonaise noire, il commente avec un humour teinté d’amertume le quotidien de précarité, de trafics, de prêches islamiques et de menaces policières dans lequel il zigzague avec ses potes. Il finit par dévoiler, au compte-gouttes, les turpitudes les plus inavouables de son passé et les lésions probablement irréversibles résultant de son addiction au bédo, au cône, au pilon, à l’oinj, au sbah, au spliff, au tonton…

 

Vous ne comprenez pas ?... Mais moi non plus, je ne savais pas qu’il y avait autant de mots pour dire « un joint ».

 

Petit frère est infirmier. Soigner les gens est une vocation pour cet idéaliste. Il travaillait en salle d’opération dans un grand hôpital parisien. Il raconte comment, à l’insu et au grand dam du daron et de son grand frère, il s’est engagé dans une ONG humanitaire musulmane, qui l’a fait passer en Syrie, là où sont ses racines. Son vœu : apporter ses services de soignant aux populations civiles martyrisées par les troupes de Bachar el-Assad. Mais les ONG se font phagocyter par l’état islamique et les deux parties s’entretuent au même cri d’Allahou Akbar. Petit frère, plus idéaliste que jamais, est désorienté par ce qu’il découvre. Que faire ? Lui est-il possible de rentrer en France ? Et comment ?

 

Le fait est qu’il est rentré, et Grand frère – on ne se refait pas ! – fera tout pour l’aider… jusqu’au moment où un doute terrifiant le saisit… 

 

Le roman vire au thriller, d’autant plus crispant et oppressant, que l’on ne le voit pas venir. Des retournements de situation à couper le souffle.

 

Et comment reprendre son souffle, si ce n’est en prenant conscience, dans les toutes dernières pages de ce livre génial, que tout est littérature ?

 

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Là où les chiens aboient par la queue, d'Estelle-Sarah Bulle

Publié le 7 Février 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Février 2019,

Nous avons tous des racines. Il arrive qu’elles soient ancrées très loin, sur une autre terre, sous un autre ciel, à des milliers de kilomètres de là où la vie nous a installés. Il arrive aussi qu’on porte sur soi l’image de ses racines. C’est le cas d’Estelle-Sarah Bulle, une jeune mère de famille, née en Île-de-France, où elle est vit et travaille comme consultante. Son père est guadeloupéen.

 

Il avait quitté son île natale à la fin de l’adolescence et retrouvé en région parisienne ses deux grandes sœurs, nommées curieusement Antoine et Lucinde, pour qui, depuis toujours, il n’a jamais été que « Petit-Frère ». Antoine, Lucinde et Petit-Frère n’ont jamais mené parcours commun, mais la vie les a tous trois conduits de Morne-Galant à Paris, avec entre-temps, une étape de plusieurs années à Pointe-à-Pitre.

 

Morne-Galant, voilà les racines d’Estelle ! Un lieu isolé en Guadeloupe, un lieu où perdurent les légendes créoles, un lieu où l’on dit que les chiens aboient par la queue, sans que cette expression ait une signification concrète. C’est là qu’Hilaire, le grand-père d’Estelle, une force de la nature fantasque et solitaire, choisira de rester jusqu’à sa mort à l’âge de cent cinq ans, subsistant grâce aux maigres ressources d’une petite plantation de canne à sucre et de l’élevage de quelques bovins.

 

Au cours des années, la nièce – c’est ainsi que la narratrice se présente – a fait parler ses tantes et son père. Elle a recueilli leurs souvenirs, leurs confidences, leurs versions personnelles des disputes qui les ont opposés. Une matière suffisante pour écrire un livre, histoire d’affirmer sa part d’identité antillaise et de graver dans le marbre la mémoire de la famille.

 

Les chapitres sont consacrés tour à tour à chacun. Mais seule la tante Antoine peut se prévaloir d’aventures véritablement romanesques. Cette grande et belle femme, peu soucieuse de son accoutrement vestimentaire, aura jalousement préservé son indépendance de célibataire. Particulièrement audacieuse et débrouillarde, elle saura toujours retomber sur ses pattes, n’ayant jamais hésité à « franchir la ligne jaune » si nécessaire, à chaque fois sans conséquence… heureusement pour elle ! Une absence de scrupules qui contraste étonnamment avec une piété profondément mystique.

 

Il n’y a pas d’intrigue romanesque globale dans Là où les chiens aboient par la queue. Au-delà de quelques anecdotes amusantes, on y trouve un digest de l’histoire moderne de la Guadeloupe.

 

Dans les années cinquante et soixante, tout a changé aux Antilles. Le développement du transport aérien les a rapprochées de la Métropole. L’économie, traditionnellement fondée sur la canne à sucre, l’agriculture fruitière et les industries de leur transformation, a basculé vers le tourisme. Les bidonvilles ont disparu au profit d’hôtels et de HLM, l’administration française ayant importé ses méthodes d’urbanisation. Elle s’est aussi efforcée d’imposer ses écoles, sa pensée et ses valeurs.

 

Mais la société locale est restée structurée en castes assises sur les origines et la couleur de la peau. Les inégalités sont flagrantes. Des manifestations sont durement réprimées. De nombreux jeunes Noirs, comme Antoine, Lucinde et Petit-Frère, préfèrent rejoindre la Métropole, où le pays qu’ils vénèrent, leur pays, la France, leur laisse entendre qu’ils trouveront de meilleures opportunités pour construire une vie heureuse. En fait, au plus fort des trente glorieuses, elle avait surtout besoin de main-d’œuvre.

 

L’écriture est fluide, plaisante, agrémentée d’expressions créoles qui confèrent au livre un ton chantant pittoresque, poétique, chaleureux. On y apprend des choses intéressantes sur la Guadeloupe et les Guadeloupéens, mais on ne peut pas parler de récit captivant.

 

Considérons que ce premier opus est un exercice de style réussi et qu’il faudra confirmer.

 

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Le portrait de Dorian Gray, d'Oscar Wilde

Publié le 23 Janvier 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2019, 

Il est inconcevable d’aborder Le portrait de Dorian Gray sans évoquer son auteur, Oscar Wilde, un intellectuel et homme de lettres anglais de la seconde moitié du XIXème siècle.

 

Cet homme brillant et talentueux, issu d’une grande famille irlandaise, s’était composé un personnage de dandy débordant de fantaisie. Il était devenu la coqueluche des milieux mondains et artistiques de Londres, tout en assumant une homosexualité que la très puritaine Angleterre victorienne considérait comme un crime. Cela lui valut deux années d’emprisonnement. Détruit, Oscar Wilde mourut dans la misère à Paris en 1900, à l’âge de quarante-six ans.

 

Unique roman d’Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray fait figure d’œuvre testamentaire et vaudra à son auteur de passer à la postérité. Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas le livre, en voici le canevas.

 

Dorian Gray est un jeune et riche aristocrate d’une grande beauté. Des traits très purs, le visage d’un ange. Personne, femme ou homme, ne peut résister à son charme. Au début du roman, un peintre, Basil Hallward, vient d’achever son portrait, un chef-d’œuvre censé rendre hommage à la beauté, à la jeunesse et à la pureté de l’âme.

 

En extase, Dorian prend conscience avec amertume que sous l’effet des années et des vicissitudes de la vie, sa jeunesse et sa beauté se flétriront, alors que l’image du tableau restera intacte. « Si seulement c’était l’inverse ? » songe-t-il. Une pensée aussitôt transformée en vœu.

 

Le vœu sera exaucé. Malgré les années qui passent, malgré les débauches dans lesquelles il se vautre, malgré les ignominies qu’il commet et qui iront jusqu’au meurtre, Dorian Gray conservera son apparence physique parfaite de jeune homme innocent, alors que les marques du temps et de ses turpitudes déformeront le portrait, reflet de l’âme corrompue de son modèle vieillissant. Une fiction fantastique qu’il faut lire en entier pour en découvrir la chute tragique.

 

Oscar Wilde s’est incarné dans cette œuvre mythique, que certains tiennent pour un chef d’œuvre. On le reconnaît dans le personnage de Lord Henry Wotton, un aristocrate plus âgé que Dorian Gray, dont il devient l’ami. Frivole, cynique et manipulateur, Lord Henry profère des observations amères sur l’air du temps de la fin du siècle, une époque de décadence marquée par les corruptions et les régressions. La désespérance devrait inciter chacun, selon lui, à profiter sans limite et sans exclusive des plaisirs de la vie. Son influence aura contribué à corrompre Dorian Gray et à le précipiter dans le stupre.

 

Son narcissisme conduit Oscar Wilde à s’émerveiller complaisamment des ors et trésors de la société dans laquelle il évolue. Il se laisse aller à vanter longuement les décors somptuaires dont s’entoure Dorian Gray dans sa riche demeure : tapisseries, tissus, broderies, bijoux, dont il souligne les correspondances avec les parfums et les musiques. L’écriture est lyrique, flamboyante, extatique.

 

A la lecture, il apparaît clairement que la perfection du travail du peintre consacrait son désir amoureux pour Dorian. Le livre fit donc scandale pour indécence lors de sa publication en 1890. Soucieux d’éviter de tomber sous le coup de la loi, les éditeurs avaient pourtant pris soin d’amender le manuscrit d’origine et l’auteur lui avait ajouté quelques chapitres anodins.

 

Je viens de relire l'ouvrage dans la traduction d’une version dite « non censurée », récemment publiée, proche de l’intention d’origine d’Oscar Wilde. De nos jours, on ne peut pas dire que le texte soit particulièrement choquant. Il donne plutôt une impression de désuétude.

 

Il n’empêche, par les messages qu'on est libre d'y lire, que Le portrait de Dorian Gray reste une œuvre qui compte dans l’histoire de la littérature occidentale.

 

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Rebecca, de Daphné du Maurier

Publié le 23 Janvier 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2019, 

Rebecca, Daphné du Maurier. Un titre et un nom qui frappent, qui résonnent dans les mémoires. Tant de gens en parlent ! Tu l’as forcément lu, me dit-on. Je me suis interrogé. Ai-je lu Rebecca, ce best-seller qui date de 1938 ? Un jour peut-être, il y a longtemps... Mais non. En le lisant ces jours-ci, je me suis rendu compte que non, c’était la première fois. Je ne crois pas non plus avoir vu le film d’Hitchcock.

 

L’atmosphère fantasmagorique d’une demeure majestueuse, enserrée dans une flore furieusement luxuriante, et dans les principaux rôles, une orpheline pauvre et gentille, un prince charmant (ou presque) et une méchante sorcière… Ne serions-nous pas dans un conte féérique ? J’exagère un peu. Certains parlent d’un livre d’inspiration gothique. S’ils le disent !...

 

Toujours est-il que la narratrice du roman est une jeune femme naïve, mal attifée, à peine mignonnette, tellement insignifiante qu’on n’en connaîtra pas le prénom. Elle accepte la surprenante et expéditive demande en mariage de Maxim de Winter, un richissime lord anglais de vingt ans plus âgé, veuf depuis à peine un an, qu’elle a rencontré quelques jours plus tôt. Elle se retrouve ainsi châtelaine à Manderley, une propriété somptueuse sur la côte ouest de l’Angleterre.

 

Châtelaine ? Pas si vite. Notre Cendrillon est dépassée par l’ampleur somptuaire du train de maison de Manderley, d’autant plus que plane le souvenir de Rebecca, la précédente Madame de Winter, une femme à la personnalité éblouissante, que personne ne peut oublier, à commencer semble-t-il par son mari. Son fantôme omniprésent étouffe les velléités d’exister de la narratrice qui multiplie les maladresses, les fautes de goût et les erreurs de jugement. Il est vrai qu’elle est manipulée sournoisement par l’ancienne gouvernante de Rebecca, une femme à l’allure sépulcrale, indissolublement attachée à sa maîtresse décédée.

 

Lectrice, lecteur, la majeure partie du récit te fera vivre auprès des riches aristocrates de Manderley. Tu partageras leur oisiveté ponctuée d’événements cérémonieux insignifiants, tel le fameux five o’clock tea servi chaque jour à quatre heures et demi pile. Tu t’agaceras des niaiseries et des fantasmes de la jeune Madame de Winter, pétrifiée par les sautes d’humeur de son mari et par les manigances fielleuses de la gouvernante. Tu arpenteras l’immense domaine, t’émerveilleras des massifs de fleurs multicolores butinées par les abeilles, te berceras du clapotis des vagues mêlé au cri des oiseaux, t’enivreras des effluves de l’air marin et des senteurs végétales imprégnées de pluie ou de soleil.

 

A moins que tu n’aies une passion pour les romances, tu pourrais trouver que le récit traîne en longueur. Ne t’y trompe pas ! Daphné du Maurier maîtrisait parfaitement son sujet et le rythme de développement des intrigues. A l’instar des résidents de Manderley oppressés par une chaleur lourde de fin d’été, tu seras peu à peu envahi(e) par le sentiment diffus d’un malaise, de l’inéluctabilité d’un événement imprévu. Peut-être partageras-tu les angoisses de la narratrice : pourquoi l’a-t-il épousée ?

 

Soudain, alors que l’orage approche et que tombent les premières gouttes, une surprenante révélation fait basculer l’ouvrage dans un registre différent, celui du roman noir à suspens. Les énigmes, les coups de théâtre et les renversements improbables de situation ne cesseront pas jusqu’à la dernière page. Mais Daphné du Maurier se voulait maîtresse des horloges. Alors que tu attends frénétiquement des réponses, tu dois patienter le temps d’une conversation banale, d’une digression sur le sens de la vie ou d’une contemplation bucolique.

 

Tu apprécies les romances et les thrillers ? Alors Rebecca pourrait être un de tes livres fétiches. Ma faible sensibilité à l’angoisse romanesque me prive du plaisir que tu y trouves, mais la qualité de l’écriture est incontestable et je reconnais avoir été captivé par l’incertitude des dernières pages.

 

La cohérence du récit apparaît rétrospectivement. L’auteure a toutefois pris un malin plaisir à ne pas lever certaines ambiguïtés, ce qui laisse libre cours à toutes sortes d’interprétations et de supputations. De quoi donner à Rebecca son image mythique de livre étrange et équivoque.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu

Publié le 6 Janvier 2019 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2019,

« Ho, Manu, tu descends ? – Heu, ouais, pourquoi faire ?... »

 

Non, ce n’est pas une nouvelle façon déplacée d’apostropher le Président. C’est un extrait de La ZUP, un sketch qui date de 1992, l’année même où s’ouvre l’extraordinaire roman de Nicolas Mathieu, lauréat du prix Goncourt et de bien d’autres récompenses amplement méritées. Les mots et les intonations des Inconnus me sont revenus en lisant, dans Leurs enfants après eux, les dialogues des ados désœuvrés : « On y va ? – Où ça ? – Ben, j’sais pas… »

 

Dans le nord de la Lorraine, le passé, celui des trente glorieuses, est visible partout : usines fermées, hauts fourneaux silencieux, tuyauteries rouillées reliant nulle part à nulle part. Il est aussi dans les têtes, gagne-pain et honneur perdus pour les adultes, foutaise pour les jeunes. Le futur ? Des projets d’investissements dispendieux auxquels personne ne fait mine de croire vraiment. Un avenir touristique européen pour les anciens sites miniers et sidérurgiques : faut-il en rire ou bien pleurer ?

 

Reste le présent. C’est le sujet du roman, où il s’étend sur six années. Tous les deux ans, en juillet, un chapitre dresse le tableau de la situation, des parcours personnels, des intrigues qui se nouent et se dénouent. Étonnamment captivant, l’ensemble s’achève en juillet 1998, … une date glorieuse restée dans les mémoires.

 

En été, à Heillange, la chaleur moite annihile ce qui reste d’énergie personnelle. L’école est finie, les ados quittent leur quartier et viennent traîner leur ennui à la base nautique. Ils n’ont pas grand-chose à se dire, si ce n’est que « faudra se tirer, y a rien à foutre ici ! ». Entre-temps, pour ne pas voir le temps passer, on se défonce, on picole, on fume des pétards, il arrive qu’on fasse quelques conneries. Et puis on baise ; les garçons sont égaux à eux-mêmes, les filles sont très libérées. Cool !

 

Le roman raconte le parcours d’Anthony entre ses quatorze et ses vingt ans. Chaque année en juillet, il croise et recroise les mêmes jeunes. Avec Hacine, le fils d’un ouvrier immigré, les embrouilles – histoires de scooter ou de moto – peuvent déraper. Mais quand apparaît Stéphanie, la fille d’un notable local, son cœur se met à battre. Une sorte de courant passe entre eux. Anthony est de plus en plus obsédé par l’idée de la conquérir, elle est flattée et amusée, mais réservée. Parviendra-t-il à ses fins ?

 

Tous ces jeunes gens font leur propre apprentissage, découvrent le monde et en interprètent le mode d’emploi à l’aide des clés que leur milieu familial leur a procurées. Le destin est-il écrit ou faut-il l’écrire soi-même ? On peut choisir, mais les barrières sociales sont bien là. Et à vingt ans, tout est joué.

 

C’est la faute aux parents, décrètent certains. Ceux d’Anthony font ce qu’ils peuvent, pourtant, mais ils ont déjà fort à faire avec eux-mêmes. Le père, pas mauvais au fond, mais ignare, alcoolique, brutal, alterne chômage et petits boulots précaires. La mère, une ancienne beauté, s’accroche à un job désespérant, parce que la retraite, ce n’est que dans vingt ou vingt-cinq ans. A la maison, elle s’efforce de sauver les apparences et sacrifie tout à son fils, qu’elle couve comme toute femelle son petit. Il n’y a pas mieux pour que les espèces se perpétuent : leurs petits après eux…

 

Critique sociale, le livre dépeint le quotidien sinistre, parfois grotesque, souvent pitoyable de quelques familles locales, petit-bourgeoises, ouvrières, immigrées. Elles sont enterrées dans ces territoires périphériques dont on parle tant aujourd’hui parce qu’on n’a pas su les comprendre en temps utile. Avec une précision acérée à la fois cruelle et tendre, l’auteur raconte les abdications, les illusions, les déceptions, les hontes cachées, les fiertés dérisoires, les petits bonheurs éphémères.

 

Un texte au phrasé harmonieux, où l’auteur mêle des expressions du quotidien. Des dialogues, nombreux, souvent croustillants. De jolies descriptions, car même dans les lieux sinistres, on peut admirer un coin de forêt ensoleillé, un crépuscule d’été virant au rose, l’eau noire d’un lac scintillant sous la lune. Nicolas Mathieu trouve les mots pour partager son émerveillement. On s’y croirait presque. Certaines scènes intimes font l’objet de détails charnels très crus. On s’y croirait tout à fait.

 

Que serait devenu Anthony, aujourd’hui, à l’âge de quarante ans ? On ne le saura pas. On sait ce qu’il en est pour certains de ses exacts contemporains. Le Président, déjà cité. L’auteur, Nicolas Mathieu ; à quatorze ans, il savait qu’il voulait être écrivain et il s’est accroché pour y parvenir. Bravo !

 

Mon fils aîné aussi a quarante ans, c’est dire si je suis loin de tout cela. Ado, j’ai aussi traîné, en répétant comme Anna Karina dans Pierrot le Fou : « Qu’est-ce que je peux faire ? J’sais pas quoi faire… »

 

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Changer l'eau des fleurs, de Valérie Perrin

Publié le 22 Décembre 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2018, 

Ma femme avait adoré, alors je me méfiais… A tort ! J’ai fini par me laisser convaincre, et si je dois exprimer un regret, c’est celui de la dernière page, le regret que j’éprouve chaque fois que je termine un roman qui m’a fait passer un vrai bon moment. C’est tellement dommage quand ça s’arrête !

 

Pour le résumer en quelques mots, le livre trace le parcours d’apprentissage d’une anti-héroïne, une femme d’extraction modeste recelant des qualités humaines peu communes. Violette, née sous X, est une simple gardienne de cimetière. Bien que durement frappée par le destin, cette femme, décrite comme belle, structure sa résilience en changeant l’eau des fleurs, en cultivant son jardin, ou plus précisément – pour reprendre les mots de Candide il y a deux siècles et demi –, en cultivant notre jardin, car elle n’oublie jamais de partager.

 

Pour moi, l’essentiel du roman n’est pas dans le personnage de Violette. Je ne suis pas sensible à l’intention didactique, à la leçon de « positive attitude », au côté « feel good » mis en avant par certain(e)s.

 

Ce qui m’a séduit dans Changer l’eau des fleurs, un roman de presque six cents pages couvrant trois décennies, c’est son architecture symphonique. Telles des mélodies qui s’enchaînent, plusieurs fictions s’entrelacent presque naturellement, bouclant leur harmonie en un point unique, le petit cimetière champêtre veillé par Violette en Bourgogne.

 

Comme des violons pianissimo, le roman s’ouvre tout en douceur sur le quotidien de cette femme, dans son cimetière. Elle en cultive le jardin tout en récoltant, lors des enterrements, de petites anecdotes tendres, douces-amères, drôles. Après quelques dizaines de pages, on découvre qu’il y a eu un passé, un passé dense, pesant. On verra même qu’il est très lourd. Avant de s’installer au cimetière, où elle n’est pas arrivée par hasard vingt ans plus tôt, Violette avait été garde-barrière, en Lorraine, pendant onze ans. Le temps d’un couple, le temps d’une vie, le temps d’une mort…

 

Vers la moitié du livre, la tension monte. Entrée en jeu des cuivres. Des péripéties d’un autre genre émergent du passé et viennent se greffer autour des premières histoires. Le roman devient noir. Quand un drame est survenu, on veut savoir : vengeance, négligence, accident, fatalité ? Il faudra attendre la fin pour connaître la vérité.

 

L’auteure, Valérie Perrin, connaît la région ; elle y a vécu. Scénariste de métier, collaboratrice de son mari Claude Lelouch, elle sait bâtir des histoires qui se tiennent. Je l’imagine partir de presque rien, observer un cimetière, imaginer des personnages, construire le synopsis, planter le semis de chaque aventure, puis laisser chacune d’elles se développer à l’instigation des personnages.

 

Parmi eux, certains retiennent l’attention, plus complexes qu’ils en ont l’air. Philippe Toussaint, un sale type, un très sale type, … et puis peut-être pas ! Sasha, un sage qui montre la voie à Violette. Gabriel, un grand avocat fort en gueule, calqué sur un modèle bien connu. Julien, un commissaire de police, sidéré de découvrir la vie cachée de sa mère décédée. Toutes et tous assument des amours atypiques, revendiquent leurs désirs, prennent leur jouissance.

 

Violette est la principale narratrice. Par moment, elle cède la parole ou la plume, car si certains aiment parler, d’autres préfèrent écrire, pour une confession, un souvenir, une déclaration. Et quand personne n’est là pour raconter, c’est l’auteure qui se glisse dans un rôle classique de narratrice.

 

Rien à redire sur l’écriture, juste, claire, conforme à celle ou celui qui s’exprime. L’émotion est souvent là. Le livre se déguste tranquillement, rythmé par une petite centaine de chapitres courts, non chronologiques. Valérie Perrin s’est efforcée de leur donner à tous un titre, en puisant dans des poèmes, des chansons, des romans, des expressions populaires.

 

Changer l’eau des fleurs est un roman de facture classique, facile à lire. Même s’il ne révolutionne pas la littérature, je l’ai lu avec infiniment de plaisir et je reste très impressionné par les nombreuses qualités littéraires que j’y ai trouvées.

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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