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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

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La vie en fuite, de John Boyne

Publié le 1 Janvier 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Janvier 2024,

Eh bien oui ! Il est possible de fonder un roman au ton léger sur les horreurs de la Shoah, sans qu’il soit pour autant choquant ou insultant à l’égard de sa Mémoire. John Boyne, un écrivain irlandais connu pour ses ouvrages conçus pour la jeunesse, s’y était déjà attelé en 2006, avec Le garçon en pyjama rayé, un grand succès de librairie. Il récidive des années plus tard avec la publication de La vie en fuite, un roman plus long, destiné cette fois-ci aux adultes. L’auteur en a confié la narration à Gretel, l’une des protagonistes du précédent livre.

Les deux ouvrages se lisent toutefois indépendamment l’un de l’autre, sans le moindre problème.

De très nombreuses années ont passé. Dans La vie en fuite, Gretel est âgée de quatre-vingt-onze ans. Veuve, propriétaire depuis plusieurs décennies d’un grand appartement au sein d’une petite résidence située dans un quartier chic de Londres, elle vit un nouvel épisode mouvementé d’une vie longue et tourmentée. Non seulement sa voisine de palier, plus jeune de vingt-trois ans, semble perdre la boule, mais il se passe des choses bizarres dans l’appartement du dessous. Gretel a des principes, notamment sur la responsabilité des parents envers leurs enfants. Faudra-t-il intervenir ?

Les nouvelles aventures de Gretel alternent avec d’anciennes pages de son existence, ayant compté pour elle ; à Paris, dans les mois qui ont suivi la capitulation de l’Allemagne ; à Londres et jusqu’en Australie, au début des années cinquante, face à des hommes qu’elle a aimés, un Juif tchèque dont la famille avait été déportée puis anéantie, et un ancien sous-officier nazi plus préoccupé d’oubli qu’envahi de regrets. Apparaissent en filigrane des souvenirs de ce qu’elle appelle l’Autre Endroit, de son père, de sa mère et surtout de son petit frère.

Gretel est née allemande en 1931 et l’on comprend dès le premier chapitre que, pendant la Seconde Guerre mondiale, son père avait dirigé, en Pologne, le plus sinistrement célèbre camp de concentration et d’extermination nazi. La famille vivait sur place. Gretel était alors une préadolescente. Une tragédie personnelle l’avait profondément marquée en 1943. Mais pour le reste, que savait-elle, que comprenait-elle ? Qu’aurait-elle pu faire, sur le moment ? Et plus tard, qu’aurait-elle pu ou dû faire ?… Et nous-mêmes, qu’aurions-nous dit ou fait à sa place ?

Les thèmes sous-jacents principaux du livre sont la culpabilité, la responsabilité, la complicité, en particulier la complicité passive, celle qui consiste à ne rien dire, à ne pas réagir face à des situations inacceptables. Des problèmes de conscience qui auront poursuivi Gretel toute sa vie et auxquels, lectrice, lecteur, des événements peuvent te confronter à tout moment. Elle finira par les régler en tranchant dans le vif d’une manière inattendue, dont je ne te conseille pas de t’inspirer.

J’ai souvent dit et écrit qu’écouter les victimes de tragédies criminelles suscitait une empathie et une émotion irrépressibles, mais que cela ne permettait pas de comprendre comment ces tragédies avaient pu survenir. Pour essayer d’en saisir les principes actifs, il est préférable de s’intéresser aux bourreaux ou, comme dans le cas présent, aux spectateurs restés passifs. Chez certaines personnes, le sentiment de culpabilité ne peut pas être indéfiniment refoulé.

La construction romanesque de l’ouvrage est très originale et intelligente. Au-delà de leurs qualités indirectement didactiques, les expériences vécues et racontées par Gretel se lisent très agréablement, d’autant qu’elles sont enrichies d’anecdotes et de digressions plaisantes. Les péripéties s’articulent en toute cohérence, ce qui n’empêche pas les nombreux et courts chapitres d’apporter leur lot de surprises. Le ton de la narration est fluide, enlevé, avec une pointe d’humour british.

Voilà donc un roman excellent à tous points de vue. Aucun point faible. Une lecture accessible à tout le monde.

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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La Bibliothécaire d'Auschwitz, d'Antonio Iturbe

Publié le 1 Janvier 2024 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans, témoignage

Janvier 2024,

Les histoires de bibliothèques m’intriguent toujours. Je me dis qu’un livre qui parle de livres ne peut être que plaisant et à chaque fois, je me fais avoir.

En l’occurrence, le mot plaisant est inapproprié. La Bibliothécaire d’Auschwitz est avant tout un livre sur Auschwitz, et plus précisément sur l’un des camps de l’immense complexe d’Auschwitz-Birkenau, celui qu’on appelle le camp familial, parce qu’y sont détenues des familles ; des Tchèques, femmes, hommes, enfants, juifs pour la plupart. L’un de ces détenus, un jeune éducateur sportif nommé Fredy Hirsch, convainc le haut commandement allemand de consacrer un baraquement, le bloc 31, à des activités pour enfants, afin d’améliorer la productivité du travail des parents. Qu’on soit clair ! Officiellement, pas question pour les nazis d’instruire des enfants juifs sans futur. Pourtant, les animations ludiques se transforment secrètement en sessions scolaires. Une jeune fille, Dita, prend même la responsabilité risquée de gérer clandestinement une pauvre et disparate bibliothèque de huit livres.

Sur cette histoire vraie, le journaliste et écrivain espagnol Antonio Iturbe a élaboré un récit plus ou moins romancé, inspiré de personnages authentiques. Il rend hommage à deux d’entre eux, Dita et Fredy Hirsch. L’ouvrage détaille sur près de cinq cents pages l’actualité quotidienne de Dita, bibliothécaire à Auschwitz. Le récit s’élargit à son enfance à Prague avant l’arrivée des nazis et à la construction de sa vie d’adulte après la guerre.

On comprendra qu’un tel livre comporte deux dimensions. L’une, littéraire, découlant de qualités romanesques et d’écriture. L’autre, historique, s’appuyant sur la rigueur documentaire et sa valeur de témoignage.

Pour être franc, il ne faut pas attendre de finesse littéraire dans la lecture de La Bibliothécaire d’Auschwitz. On peut même considérer que l'absence de fluidité, la rudesse du style, les redondances, les longueurs narratives sont en cohérence avec les règles, les brutalités, les privations, les angoisses supportées par les personnages et répétées jour après jour, indéfiniment.

Sous sa forme de roman, La Bibliothécaire d’Auschwitz est une enquête très documentée et détaillée sur les conditions concrètes de vie des Juifs déportés en camp de concentration et d’extermination. Au fil des chapitres, des milliers de détenus déferlent jour après jour sur Auschwitz ou en repartent pour d’autres camps. Des milliers de femmes, de vieillards et d’enfants sont orientés chaque jour vers les chambres à gaz. Des chiffres effrayants par leur ampleur, par leur monstruosité.

Mais les chiffres n’expriment que des faits secs, situés au-delà de l’émotion du lecteur. Celle-ci ne peut être atteinte que par la narration de cas particuliers. Quelques belles démonstrations d’humanité personnelle. De rares pertes d’humanité, mais qui ne sont que des preuves supplémentaires d’humanité ; qui pourrait se permettre de les juger ? Et surtout, chaque jour, pour chaque femme, pour chaque enfant, pour chaque homme, la crainte que ce ne soit le dernier, pour soi et pour ceux qu’on aime ; la lutte sur soi-même, pour que cela ne le soit pas, jusqu’à…

Les adolescents pourraient être les premiers touchés par les pauvres joies et les dérisoires déceptions quotidiennes de la jeune bibliothécaire. Avec en prime une leçon : pour espérer vivre ou survivre, il faut un projet, une tâche concrète qui oblige à se préparer pour le jour suivant.

La Bibliothèque d’Auschwitz n’est pas un livre qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Je ne lui donne donc pas de note. C’est le genre de livre que l’on doit s’astreindre à lire de temps en temps, pour perpétuer la Mémoire, quand elle existe ; ou pour la régénérer chez celles et ceux qui ignorent, qui oublient, qui relativisent.

 DIFFICILE              

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Les Aiguilles d'or, de Michael McDowell

Publié le 11 Décembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2023, 

La très honorable maison Monsieur Toussaint Louverture a réussi un joli coup d’édition, avec le lancement très remarqué de la « Bibliothèque Michael McDowell », collection constituée de l’adaptation française de la saga Blackwater et de quelques autres ouvrages de l’écrivain et scénariste américain. Mort en 1999 à l’âge de quarante-neuf ans, McDowell avait produit dans les années quatre-vingt une œuvre littéraire prolifique et variée, qui rencontra un grand succès populaire dans les librairies anglophones, avec de nombreuses rééditions en livres de poche.

Les réseaux sociaux ont beaucoup mentionné récemment Blackwater, ce qui a éveillé ma curiosité. Je n’ai pourtant pas eu envie de me lancer dans une série en six volumes et je me suis contenté de lire Les Aiguilles d’or, traduction d’un thriller social datant lui aussi de plus de quarante ans. Certaines publications de Monsieur Toussaint Louverture étant aujourd’hui disponibles en version numérique, j’ai pu lire Les Aiguilles d’or sur ma liseuse, étant toutefois privé de la magnifique couverture réalisée selon la tradition de l’éditeur, et dont je n’ai pu voir qu’une photo en noir et blanc.

L’histoire imaginée par l’auteur se situe à New York en 1882. Le livre aurait très bien pu être écrit à la même époque, tellement le style littéraire de l’ouvrage fleure bon celui des romans du XIXe siècle : une description très méticuleuse et détaillée des visages des personnages, de leurs expressions, de leurs vêtements ; même souci de précision pour l’agencement des locaux et pour l’atmosphère des quartiers dans lesquels se déroulent les actions, notamment les bas-fonds de New York. L’éditeur évoque d’ailleurs avec discrétion un esprit à la Dickens. On pourrait aussi citer Victor Hugo. Une conception littéraire qui incite le lecteur à mettre en scène dans sa tête les images des péripéties. Ecriture cinématographique, dirait-on aujourd’hui.

L’intrigue globale met aux prises deux familles, que tout oppose. Les Stallworth, luxueusement installés dans les beaux quartiers de Manhattan, sont de grands bourgeois fortunés, confits dans l’autoadmiration de leurs bonnes manières et dans la certitude de leur supériorité morale, qui devrait légitimer n’importe lequel de leurs projets. Les Shanks habitent un taudis, au cœur d’un secteur nommé le Triangle noir, où prolifèrent la misère, la dépravation et le crime. Ils vivent d’expédients illicites, ne pouvant compter que sur leur malice, leur absence de scrupules, leur esprit de solidarité et leur instinct de survie.

Face à face, manipulant avec autorité leur lignée d’enfants et de petits-enfants, se dressent l’implacable Juge Stallworth, qui conçoit de grandes ambitions pour les siens, et la redoutable mère-maquerelle Lena la Noire, qui pilote avec finesse les activités diverses d’un gang féminin efficace. Comme au théâtre de marionnettes, on se prend à ressentir plus de sympathie pour Guignol que pour le gendarme. Peu à peu, le roman évolue ainsi vers le conte moralisateur, avec une pointe d’humour noir. Mais les derniers chapitres et le dénouement, plutôt violents, ne sont pas à mettre entre les mains des petits enfants…

Les événements s’enchaînent avec fluidité. On découvre avec amusement les stratagèmes élaborés par les uns et les autres. Il n’est pas difficile d’imaginer, dès leur énonciation, ceux qui réussiront et ceux qui feront pschitt. Le livre se lit donc agréablement, sans vraiment de surprise. Un bon moment de lecture. Une littérature comestible, mais dont la dégustation s’oublie vite.

FACILE     ooo   J’AI AIME

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Trust, d'Hernan Diaz

Publié le 11 Décembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Décembre 2023, 

Difficile, sans en dévoiler la substantifique moelle, de partager mon éclairage sur Trust, le roman de l’écrivain argento-américain Hernan Diaz, que le prix Pulitzer vient de récompenser. Je ne vois pas en effet comment en parler sans en parler ! Et je ne reconnais pas le livre dans la présentation qui en est donnée par l’éditeur en quatrième de couverture.

J’ai trouvé très intéressant le concept de base imaginé par l’auteur, de même que le principe constructif qui en résulte. Un principe constructif qui, selon le sommaire, structure l’ouvrage en quatre grandes séquences. En revanche, la manière de traiter les thématiques narratives choisies ne m’a pas plu ; j’y reviendrai.

Dans les deux premières séquences, un financier riche et célèbre, que des spéculations avaient encore enrichi lors du krach de 1929, croit se reconnaître dans le personnage central d’un roman titré « Obligations », qui raconte la vie d’un riche et célèbre financier fictif et de son épouse. Ulcéré par la relation de certains événements et par les portraits psychologiques brossés par le romancier, ce financier tente d’écrire lui-même l’histoire de sa vie, de son couple, donnant sa version personnelle de ce qu’il conteste, en profitant pour vanter ses principes d’action et ses valeurs morales de spéculateur. Troisième séquence : abandonnant son projet d’écriture, il recrute une jeune secrétaire, dont il attend qu’elle retranscrive ses souvenirs et ses commentaires au sein d’un ouvrage romanesque accessible au grand public ; rien ne se passera comme prévu. Une courte dernière séquence, tranchant par sa forme avec les précédentes, explicite l’ensemble.

Tu peux maintenant, lectrice, lecteur, aborder Trust, en sachant dans quoi tu t’engages. Peut-être pourras-tu ainsi aller sans t’ennuyer au bout du roman enchâssé — Obligations —, contrairement à moi qui en ai lu les presque cent trente pages de narration monotone ininterrompue, sans savoir de quoi il en retournait. Abandonner un livre n’est pas dans mon habitude, mais j’ai été à deux doigts de le faire. Je n’ai commencé à accrocher à ma lecture de Trust que dans sa troisième séquence. La curiosité de la jeune secrétaire a réussi à éveiller la mienne.

Quel est le sujet ? Benjamin Rask — alias d’Andrew Bevel — est présenté comme une sorte de surhomme, doté pour les affaires d’un flair hors norme, étayé par des aptitudes de mathématicien génial, et alimenté en multiples données compilées par une armée de statisticiens. En tant qu’investisseur ou spéculateur, il voit toujours juste, et en cas improbable d’erreur, il a encore la possibilité de « tordre la réalité, pour la faire coïncider avec son erreur », qui du coup n’en est plus une. Un principe général qui peut toujours s’énoncer, mais est-il pour autant crédible ?

Dans chacune des séquences, les récits semblent guidés par une vision désincarnée du monde de la finance ; un monde mythique, inspirant fascination/répulsion aux littéraires. Il serait possible, pour l’élite d’une élite, de concevoir des martingales, enclenchant ce que certains commentateurs appellent avec dédain un processus irréversible d’accumulation de richesses. Le cerveau d’un grand financier serait ainsi l’équivalent d’une intelligence artificielle et ses qualités de cœur seraient celles d’un ordinateur… Peut-être pourtant suffit-il d’observer attentivement le fonctionnement d’un téléscripteur !...

Tout aussi désincarnés sont les couples Benjamin/Helen et Andrew/Mildred.  Homme et femme sont dépeints comme surdoués et asociaux, affublés d’aptitudes et de handicaps de calculateurs prodiges. Des relations conjugales abstraites, même pas platoniques.

Bien sûr le mythe du surhomme et celui de l’homme protecteur sont finalement déconstruits. Ils le sont au profit d’un mythe en devenir, qui ne me surprend pas, parce que j’y crois. Il y a longtemps que je sais que la femme est l’avenir de l’homme.

DIFFICILE     oo   J’AI AIME… UN PEU

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Ouragans tropicaux, de Leonardo Padura

Publié le 20 Novembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2023, 

A Cuba, les ouragans tropicaux annoncés font sensation, ils passent en provoquant quelques ravages, puis ils s’éloignent, sans que le paysage change fondamentalement. Même chose pour les événements exceptionnels. En 2016, visite de Barack Obama, président de la nation incarnant le mal absolu, puis concert des Rolling Stones, dont la musique occidentale contaminante a été longtemps bannie. Les plus naïfs espèrent y déceler les signes d’une ouverture du régime. Finalement, ce ne seront que « poussières dans le vent », clin d’œil de ma part au précédent opus de Leonardo Padura, l’immense écrivain cubain, qui vit à Cuba et ne craint pas d’écrire sur Cuba. Un écrivain lu et couvert d’éloges dans le reste du monde.

Conséquence de l’arrivée d’Obama et des Stones, la population est surexcitée. La police est sur les dents. A l’occasion d’un assassinat particulièrement sauvage, elle est contrainte de faire appel à l’un de ses anciens inspecteurs : Mario Conde est, depuis plus de trente ans, le personnage principal des romans policiers de Padura. Désormais âgé et usé par les difficultés matérielles, Conde observe les modes de vie de ses compatriotes avec une lucidité teintée d’humour et d’amertume. Ses pratiques d’enquêteur sont atypiques et efficaces, à l’instar de celles de tous les détectives de polars en série.

Il est donc chargé d’élucider le meurtre et la mutilation d’un ancien haut fonctionnaire du ministère de la Culture, un homme qui s’était jadis posé en commissaire-censeur, prétendant veiller à la pureté révolutionnaire du régime politique national. Il avait impitoyablement démoli la carrière de nombreux artistes, poussés à la misère et au désespoir. Il avait aussi profité outrageusement de sa position pour s’enrichir sans vergogne, sachant qu’à Cuba, la limite de ce qui est légal n’est pas définie par la loi, mais par les détenteurs de l’autorité. Une façon de dire qu’une certaine corruption reste impunie… tant que l’on ne s’est pas créé d’ennemi mortel.

Ouragans tropicaux est donc un vrai roman policier de série noire, intrigant, complexe et passionnant. Et cerise sur le gâteau, l’ouvrage comporte une deuxième affaire policière, d’un registre différent. Les narrations alternent, chapitre après chapitre.

La seconde histoire nous ramène au tout début du vingtième siècle. Cuba vient d’accéder à l’indépendance. A La Havane, faire la fête s’impose, d’autant plus que le prochain passage de la comète de Halley suscite l’inquiétude. Les rues chaudes sont très proches des quartiers élégants, fréquentés par les grandes familles et les riches touristes. Un jeune proxénète bien sous tous rapports se déclare prêt à tout pour devenir le roi de la vie nocturne et faire fortune grâce aux amours tarifées. Une ambition qui pourrait aller encore plus haut. Son ascension est météorique, mais elle pourrait mal finir !

A première vue, difficile de déceler un lien entre les deux affaires ! Il est toutefois possible qu’un objet ayant appartenu à Napoléon… Pour ceux qui ne connaissent pas La Havane, on y trouve étonnamment un superbe musée consacré à l’empereur français, pourtant dénoncé par certains comme un fossoyeur de révolution.

Lectrice, lecteur, au-delà de ses intrigues à suspense, Ouragans tropicaux te promènera dans les belles avenues et les rues tortueuses de La Havane d’hier et d’aujourd’hui. Il te fera contempler les façades des vieilles demeures aristocratiques et rencontrer des personnages de tout genre (au plein sens du terme). Un voyage fascinant, agrémenté par le mode d’écriture de Leonardo Padura, tantôt un peu bavard, tantôt un peu digressif, parfois aussi un peu redondant, mais jamais lassant. On éprouve même une forme de tristesse quand arrive le moment de refermer le livre d’un tel conteur.

GLOBALEMENT SIMPLE  ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

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La dernière porte avant la nuit, d'Antonio Lobo Antunes

Publié le 20 Novembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2023, 

Né en 1942 à Benfica (Lisbonne), António Lobo Antunes a été médecin psychiatre avant de se consacrer à l’écriture. Il est considéré comme l’une des grandes plumes européennes actuelles. Ses admirateurs espèrent que le prix Nobel de littérature lui sera un jour attribué et ils parlent de lui avec une telle vénération, qu’il a bien fallu que j’ouvre un de ses livres. J’ai lu La dernière porte avant la nuit, son dernier roman, publié au Portugal en 2018, traduit en français l’année dernière.

 On ne m’avait pas suffisamment mis en garde, l’exercice est difficile. L’intrigue est pourtant simple, très simple, inspirée de la littérature policière du genre série noire. Cinq individus se sont concertés pour tendre un guet-apens à un homme d’affaires, l’ont tué et ont fait disparaître son corps, le mobile étant de profiter de circonstances favorables pour s’approprier son patrimoine et se le répartir.

Si l’intrigue du roman est simple, très simple, son déploiement est complexe. Lobo Antunes ne recourt pas à la narration classique. Il se place dans la tête des personnages, qui, comme toi et moi, émettent à flot continu toutes sortes de réflexions et de pensées. Chacun des vingt-cinq chapitres est l’expression d’un monologue mental de l’un des cinq assassins. A plusieurs reprises et à tour de rôle, en une phrase unique déstructurée dont la lecture prend une bonne vingtaine de minutes, chacun ressasse le crime, tout en digressant de façon désordonnée sur ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il ressent, ce qu’il craint, ce qu’il espère, ce dont il souffre ou a souffert… sans oublier quelques fantasmes.

Ce concept de phrase unique, hachée par des réminiscences jetées à l’emporte-pièce, m’a d’abord dérouté. Puis je me suis laissé séduire par la touche impressionniste et mystérieuse des propos que les personnages se tiennent à eux-mêmes et qui se lisent avec fluidité. Je ne me suis pas attardé sur les paroles les plus obscures, car j’ai compris qu’elles seraient répétées, ressassées, peut-être clarifiées. J’escomptais en savoir plus dans les chapitres à venir. Mais finalement, c’est là où le bât blesse. Comme je l’ai dit, tout est très simple, trop simple. Les pièces de puzzle apportées au fil des chapitres m’ont paru insignifiantes et je n’en ai pas eu besoin pour me faire une idée de l’image globale.

Lectrice, lecteur, tu reconstitueras facilement l’intrigue et le rôle de chacun des assassins. Des pieds nickelés qui connaissaient leur victime depuis l’enfance. De pauvres types, mal remis de frustrations infantiles, traînant des complexes physiques, réduits à une masculinité minable. Ils essaient désespérément de conjurer leur crainte d’être arrêtés, s’accrochant à des commentaires répétés comme des mantras, tels que « sans corps, il n’y a pas de crime » ou « si personne ne se met à table il n’y aura aucun problème ». Mais ne t’attends pas à un scoop dans les dernières pages.

António Lobo Antunes s’enferme dans un parti littéraire qui s’inscrit dans la ligne de William Faulkner, d’Albert Cohen ou de Thomas Bernhard. Il va même plus loin qu’eux. Dans Le Bruit et la Fureur et Belle du Seigneur, des récits classiques s’intercalaient et redonnaient à la lecture une assise que l’on ne trouve pas dans La dernière porte avant la nuit.

Le travail de composition est sans aucun doute colossal. L’auteur ne manque pas d’insérer quelques passages poétiques joliment tournés, mais peu crédibles dans la bouche des cinq personnages. En ce qui concerne ceux-ci, d’ailleurs, j’ai regretté qu’il ne soit pas possible de les différencier clairement. Ils sont nommés en tête de chapitre, leurs souvenirs d’enfance diffèrent, mais ils s’expriment de la même façon, éprouvent des rancœurs semblables, partagent des fantasmes du même acabit. Peut-être une manière pour l’auteur d’évoquer l’absurdité de la condition et du destin de l’Homme.

Reste à découvrir qui, des cinq gugusses ou de l’auteur, a été le plus fasciné par la sœur de l’homme tué, ses bijoux d’adolescente et sa manie de marcher sur la pointe des pieds.

TRES DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, de Wole Soyinka

Publié le 1 Novembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2023, 

Wole Soyinka est un dramaturge, poète et militant politique nigérian. Il a été le premier écrivain africain à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1986. A l’approche de ses quatre-vingt-dix ans paraît son roman Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde.

L’idée lui en était venue après la conclusion d’une enquête classant le Nigeria parmi les nations comptant la plus forte proportion d’habitants se déclarant heureux. Très critique des mœurs politiques de son pays, Wole Soyinka s’était demandé si seuls les gens affichant leur bonheur avaient eu droit à la parole. De quoi s’interroger sur les pratiques locales.

Sixième pays le plus peuplé du monde (220 millions d’habitants !), le Nigeria dispose de richesses naturelles importantes, dont du pétrole en abondance. Plusieurs secteurs de l’industrie et des services sont florissants. Malgré cette prospérité, près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté extrême. En cause, le niveau hallucinant d’une corruption endémique incontrôlable. Après plusieurs coups d’Etat ayant fait alterner des dictatures et des régimes d’apparence démocratique, le Nigeria est aujourd’hui une République fédérale, constituée d’une quarantaine d’états, qui sont autant de seigneuries largement dotées pour assurer le bonheur des gouverneurs et de leurs amis. « Les milliards alloués s’évaporaient continuellement, pour être réinjectés chaque année au moment du budget, sans oublier les enveloppes complémentaires ».

Ces privilèges sont difficiles à imaginer sans diffusion d’informations très contrôlées, vraies ou fausses, qu’il vaut mieux ne pas contester trop ostensiblement si l’on tient à sa peau. Car le pays brille aussi par l’insécurité : rivalités ethniques, règlements de comptes mafieux, élimination de concurrents, conflits religieux, sans omettre les massacres commis par la secte islamiste Boko Haram, qui trucide, éventre, décapite, mutile, viole, ce qui n’étonnera personne.

Dans ce Nigeria chaotique effrayant, le roman de Wole Soyinka met en scène de nombreux personnages, apparaissant sous différentes identités ou titres. Parmi les plus importants, Papa Davina, un prédicateur aspirant au statut de prophète et Godfrey Danfrere, le Premier ministre, aussi appelé Sir Goddie. Ils s’entendent comme larrons en foire. Comme le dit celui-ci à celui-là : « Vous c’est la face spirituelle ; moi c’est la politique. Le point de rencontre, c’est le business ». En l’occurrence, un trafic très lucratif d’organes, de membres amputés et de chair humaine en tous genres.

Deux autres personnages, mieux intentionnés, enquêtent sur ces pratiques et bousculent l’ordre établi : un ingénieur, Duyole Pitan-Payne, et un chirurgien, Kighare Menka. Une démarche à haut risque !

En dehors de la dénonciation d’un complot sordide, j’ai trouvé l’intrigue carrément loufoque. J’ai eu du mal à trouver dans le livre, qualifié de roman, la narration d’une histoire cohérente. Il me paraît plutôt s’apparenter à un recueil de chroniques — après tout, c’est son titre ! —, à une série d’anecdotes polémiques sur la corruption des pratiques et la perversion des esprits dans le Nigeria fictif ou non fictif dépeint par Wole Soyinka.

L’écriture, élégante, est très bavarde. L’auteur et son traducteur maîtrisent parfaitement toutes les possibilités syntaxiques de leur langue. Wole Soyinka explore les moindres occasions de digressions, autant de chemins de traverse qui contribuent à rendre le texte hermétique, d’autant plus que ses phrases sont interminables, qu’il utilise de nombreuses métaphores difficiles à décoder et qu’il pratique l’humour au deuxième, au troisième, voire au cinquième degré.

Pour conclure : un long, très long exercice de style — plus de cinq cents pages —, éclairé par quelques anecdotes croustillantes.

TRES DIFFICILE     oo    J’AI AIME… UN PEU

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Adieu Zanzibar, d'Abdulrazak Gurnah

Publié le 1 Novembre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2023, 

Petit topo d’histoire-géo pour comprendre Abdulrazak Gurnah et son roman Adieu Zanzibar. Situé à une quarantaine de kilomètres de la côte d’Afrique de l’Est, l’archipel de Zanzibar a été soumis au cours des siècles à de multiples colonisations. Sa population est un melting-pot métissé de peuples originaires des quatre coins de l’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Inde et de l’Europe. Zanzibar a été un sultanat indépendant jusqu’en 1890, puis un protectorat britannique jusqu’à une nouvelle indépendance en 1963. Une indépendance éphémère : après un coup d’État communiste en 1964, Zanzibar est intégré au Tanganyika, au sud du Kenya. Le nouvel Etat a pris le nom de Tanzanie.

Né à Zanzibar, Abdulrazak Gurnah a quitté son île en 1968, à l’âge de vingt ans, pour suivre des études littéraires à Londres. Il est resté par la suite en Angleterre, où il a mené une carrière d’universitaire et d’enseignant. Auteur de plusieurs romans écrits en anglais, il était peu connu en 2021, lorsque le prix Nobel de littérature lui a été attribué. Adieu Zanzibar est la traduction récente en français d’un roman publié en anglais en 2005 sous le titre Desertion.

Le roman est divisé en trois parties. La première prend place en 1899, dans une petite ville côtière du Kenya. Tout semble délabré, à l’abandon. Un voyageur britannique blessé est recueilli par une famille locale modeste, dévouée, soumise, un peu obséquieuse. Faisant à l’inverse preuve de morgue et de suffisance, l’administrateur du protectorat prendra en charge son compatriote, désireux de lui offrir un confort digne d’un Européen. Mais les distances de classe et d’origine n’empêchent pas les romances…  

La deuxième partie se déroule à Zanzibar tout au long des années cinquante. L’île est resplendissante. Dans une famille locale, le père et la mère sont tous deux enseignants à l’école du protectorat. Pratiquant un islam fervent, ils se montrent aussi très soucieux de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. Ils élèvent avec ambition leur fille Farida et leurs deux fils, Amin et Rashid. Une petite bourgeoisie autochtone, cultivée mais rigoriste, résolue à n’entretenir aucune relation sociale avec la grande bourgeoisie coloniale, qui vit luxueusement.

La dernière partie est consacrée à Rashid, parti en Angleterre au début des années soixante pour des études de haut niveau. On comprend que Rashid est le double de l’auteur. Admis dans une université londonienne, il est confronté à la condescendance de ses condisciples à la peau blanche. Après l’obtention de son diplôme, il s’installera comme enseignant dans une petite ville du sud de l’Angleterre. L’accomplissement d’un enfant des colonies ?

Par le biais d’une correspondance tardive et affective avec son frère Amin, Rashid prendra connaissance des événements douloureux qui ont suivi l’indépendance de Zanzibar. Coup d’État, saccages, arrestations. Tensions et tueries raciales, exacerbées par les infiltrations et les manipulations exportées par l’ancien empire soviétique.

Amin révèlera aussi à Rashid son grand amour de jeunesse pour Jamila, une femme divorcée plus âgée que lui. Une relation clandestine torride dont tu auras lu les détails, lectrice, lecteur, dans la deuxième partie du roman. Un amour jugé inconvenant par les parents, en raison d’une liaison évoquée dans la première partie du livre et ayant fait scandale soixante ans plus tôt.

Un livre dont on ne perçoit le sens nostalgique que lorsqu’on arrive à la fin. Les deux premières parties se lisent agréablement, les personnages sont décrits dans toute leur sensibilité, mais j’ai eu du mal à comprendre où l’auteur m’emmenait. Abdulrazak Gurnah grave joliment et poétiquement les souvenirs d’une enfance heureuse, de promenades rêveuses autour de plantes luxuriantes et de vestiges d’anciennes civilisations.

Mais « il étouffait ici, disait-il : l’obséquiosité des rapports sociaux, la religiosité qui relevait d’un autre siècle, les mensonges sur l’histoire ». Il s’en veut toutefois d’être parti loin de ceux qu’il chérissait, de les avoir abandonnés. Une manière de désertion qui le hante.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Western, de Maria Pourchet

Publié le 11 Octobre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2023,

Parmi les romans, j’aime particulièrement les histoires fictives calquées sur le réel et inscrites dans le cadre d’une actualité authentique et sensible. Alors qu’on débat de ce que pourrait ou devrait être l’amour post #MeToo, Western relate la rencontre fortuite d’une femme et d’un homme, une rencontre qui les confronte chacun à leur passé. Maria Pourchet la raconte sans parti pris, sans condamnation personnelle, en s’inspirant simplement des grandeurs et des petitesses humaines. Des situations imaginatives, inattendues. Une plume exceptionnelle en rend la lecture particulièrement excitante.

La femme, c’est Aurore, la petite quarantaine, plutôt pas mal physiquement, élevant seule son fils de huit ans. Une vie privée et une vie professionnelle de middle class parisienne moderne, qui l’a menée au bord de la crise de nerfs. La vogue du télétravail lui a permis de se replier, avec son fils, dans une maison de famille vide, dans le Sud-Ouest. Au calme. Mais la crise de nerfs n’est jamais loin.

L’homme, c’est Alexis, la quarantaine avancée, un physique avantageux, une voix à nulle autre pareille. Comédien et acteur français réputé, il est censé jouer le rôle-titre dans une nouvelle programmation du Dom Juan de Molière. Mais voilà qu’un pressentiment l’incite à fuir, à disparaître. Il débarque dans la maison où Aurore est réfugiée. A priori, pas le genre à crise de nerfs, c’est en principe réservé aux femmes, à ses femmes, Olivia, Elisabeth, Chloé. Mais ça lui viendra…

Pourquoi Alexis débarque-t-il chez Aurore alors qu’ils ne se connaissent pas ? C’est la première surprise du roman qui en réserve d’autres. La femme et l’homme s’observent, se parlent, s’intéressent l’un à l’autre, se questionnent, se découvrent. Retour sur des circonstances vécues, tantôt subies, tantôt provoquées. Une façon comme une autre de se révéler à soi-même.

Alexis est brillant, talentueux, séduisant. Cet homme public sait de surcroît se rendre admirable. Il est Dom Juan… à la scène comme à la ville ! En langage post #MeToo, on dirait : un "connard"... Ce qu’il pressent survient. La chute. Pour nos hommes publics, les chutes ne s’arrêtent pas, elles accélèrent, elles n’en finissent pas. La presse, les réseaux sociaux, les rumeurs, les petites vengeances. Magnifique travail de construction littéraire dramatique, chapitre après chapitre ! La chute est terrifiante. A en préférer presque la mort rapide de Dom Juan, précipité dans les flammes de l’enfer.

Aurore est heurtée, déçue et même dégoûtée par ce qu’elle apprend. Cependant, elle s’introspecte. Vivre sans homme, sans amour, sans sexualité, ça va un temps. Pourrait-elle aimer un homme faible, inconsistant, un homme qui a peur, pour reprendre l’exergue pioché chez Musset ? Alors qu’un don Juan repenti, un connard qui se soigne, c’est porteur d’espoir. Femme ou homme, à plus de quarante ans, on ne peut pas renier son genre et les fantasmes qui vont avec. Et les mythes sont universels.

Où Maria Pourchet a-t-elle appris à écrire comme ça ? Une exubérance osée comme une parole spontanée. Une syntaxe maîtrisée comme un ouvrage fait main. Des variations de rythme haletantes. J’ai lu presque chaque page deux fois. Une fois à toute allure, parce que le tempo des révélations incite à se précipiter sur la page suivante. Une fois presque mot à mot, parce que chacun de ces mots était celui qu’il fallait, là où il était. Admirable ! Un peu de gêne avec la crudité du discours amoureux… et pas seulement du discours ! Que se passe-t-il donc à l’intérieur de la tête d’une femme ?

La narratrice est dans la tête d’Aurore, dans celle d’Alexis, elle parle pour eux, elle pense pour eux. Et son empathie est contagieuse. Pareil pour les autres personnages : un petit garçon astral touchant, une jeune comédienne désespérée émouvante. La narratrice, tel un chœur de théâtre grec, relie le tout par des commentaires décalés et pourtant dans l’air du temps. Souvent amusant, parfois cruel !

Je n’ai en revanche pas été convaincu par la symbolique du titre, sur laquelle l’autrice revient à chaque chapitre. Oui, le western est un genre qui a ses codes, même si Sergio Leone les a un peu brouillés. Oui, le genre humain fonctionne aussi sur des codes, sur des mythes… Alors, celui de Don Juan suffisait… Remarque personnelle, qui n’entache en rien mon coup de cœur pour ce roman !

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Humus, de Gaspard Koenig

Publié le 11 Octobre 2023 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2023,

Ce n’est pas le premier roman dont le lombric, communément appelé ver de terre, est le héros. Qualifié récemment de « poète aveugle de la glèbe » par le romancier islandais Jan Kalman Stefansson, dans l’excellent Ton absence n’est que ténèbres, le lombric voit désormais l’écrivain philosophe Gaspard Kœnig confirmer son rôle essentiel dans la transformation des déchets organiques en compost, un terreau quasi naturel équivalent à l’humus.

Dans son dernier roman, justement titré Humus, l’auteur imagine des aventures mettant en scène deux étudiants à AgroParisTech. Destinés à devenir ingénieurs agronomes, Arthur et Kevin prennent conscience qu’un élevage massif de lombrics permettrait de traiter d’immenses quantités de déchets, sans la moindre émission de carbone, tout en générant, en même temps, un volume de compost capable, sans engrais ni pesticides, de refertiliser des terres cultivables, dont la couche d’humus aurait pu être détruite par des décennies d’agriculture industrielle.

Un « en même temps » stratégique à l’heure où nul ne sait comment la Terre pourra préserver des conditions climatiques supportables par l’humanité, tout en produisant de quoi nourrir une population mondiale, dont une partie souffre encore de la faim. Nos deux agronomes en herbe croient détenir la clé susceptible de résoudre les problèmes économiques et écologiques majeurs à venir.

Mais Arthur et Kevin n’ont pas le même profil ni la même histoire personnelle. Ils n’auront pas la même approche du sujet et leurs parcours vont diverger. L’un s’orientera vers une expérience de terrain, privilégiant une agriculture paysanne de proximité, avec une tentation de radicalisation contre un monde capitaliste soutenant un agrobusiness honni. L’autre sera aspiré dans l’univers des entrepreneurs audacieux, des développeurs de start-up et des financiers créateurs de richesses mirobolantes, avec les risques afférents de dérapages incontrôlables.

Le plus ambitieux des deux ne sera pas forcément celui qu’on imagine. Mais l’ambition peut s’exprimer de diverses manières, conduire à une fuite en avant délétère et très mal se terminer. Les pérégrinations des deux personnages sont très réalistes, tout en présentant des rebondissements inattendus et captivants.

La lecture de Humus est vraiment plaisante. La plume de l’auteur navigue avec habileté et humour entre les formules langagières déconstruites des militants écolo-anticapitalistes et le sabir anglo-français inspiré de la « tech » et du business mondialisé. C’est très bien observé et j’ai trouvé savoureux certains passages.

Gaspard Kœnig commente souvent l’actualité politique avec un recul de bon aloi, même s’il est orienté par ses convictions personnelles. Il est aussi un observateur éclairé des mœurs et des pratiques de nos contemporains. Il ne s’exprime pas à la légère, même dans une fiction. Dans Humus, il étaye par des argumentations techniques très structurées les entreprises d’Arthur et de Kevin. Au risque parfois de rendre sa prose confuse — quoiqu’irréprochable — et de peut-être perdre en route quelques lectrices et lecteurs.

Comme il faut bien émettre une réserve, j’ai trouvé que les commentaires sur Le Petit Lutetia auraient pu être drôles sans être méchants. Dans cette brasserie se sont croisés pendant deux ou trois ans les mondes de la politique, des affaires, du showbiz et de la mode. Le spectacle était amusant, on y dînait pas mal. Gaspard Kœnig a probablement été un jour mal reçu. Le patron savait-il qu’il avait affaire à un futur postulant (ou presque) au poste suprême de la République ?

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

 

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