Janvier 2024,
Eh bien oui ! Il est possible de fonder un roman au ton léger sur les horreurs de la Shoah, sans qu’il soit pour autant choquant ou insultant à l’égard de sa Mémoire. John Boyne, un écrivain irlandais connu pour ses ouvrages conçus pour la jeunesse, s’y était déjà attelé en 2006, avec Le garçon en pyjama rayé, un grand succès de librairie. Il récidive des années plus tard avec la publication de La vie en fuite, un roman plus long, destiné cette fois-ci aux adultes. L’auteur en a confié la narration à Gretel, l’une des protagonistes du précédent livre.
Les deux ouvrages se lisent toutefois indépendamment l’un de l’autre, sans le moindre problème.
De très nombreuses années ont passé. Dans La vie en fuite, Gretel est âgée de quatre-vingt-onze ans. Veuve, propriétaire depuis plusieurs décennies d’un grand appartement au sein d’une petite résidence située dans un quartier chic de Londres, elle vit un nouvel épisode mouvementé d’une vie longue et tourmentée. Non seulement sa voisine de palier, plus jeune de vingt-trois ans, semble perdre la boule, mais il se passe des choses bizarres dans l’appartement du dessous. Gretel a des principes, notamment sur la responsabilité des parents envers leurs enfants. Faudra-t-il intervenir ?
Les nouvelles aventures de Gretel alternent avec d’anciennes pages de son existence, ayant compté pour elle ; à Paris, dans les mois qui ont suivi la capitulation de l’Allemagne ; à Londres et jusqu’en Australie, au début des années cinquante, face à des hommes qu’elle a aimés, un Juif tchèque dont la famille avait été déportée puis anéantie, et un ancien sous-officier nazi plus préoccupé d’oubli qu’envahi de regrets. Apparaissent en filigrane des souvenirs de ce qu’elle appelle l’Autre Endroit, de son père, de sa mère et surtout de son petit frère.
Gretel est née allemande en 1931 et l’on comprend dès le premier chapitre que, pendant la Seconde Guerre mondiale, son père avait dirigé, en Pologne, le plus sinistrement célèbre camp de concentration et d’extermination nazi. La famille vivait sur place. Gretel était alors une préadolescente. Une tragédie personnelle l’avait profondément marquée en 1943. Mais pour le reste, que savait-elle, que comprenait-elle ? Qu’aurait-elle pu faire, sur le moment ? Et plus tard, qu’aurait-elle pu ou dû faire ?… Et nous-mêmes, qu’aurions-nous dit ou fait à sa place ?
Les thèmes sous-jacents principaux du livre sont la culpabilité, la responsabilité, la complicité, en particulier la complicité passive, celle qui consiste à ne rien dire, à ne pas réagir face à des situations inacceptables. Des problèmes de conscience qui auront poursuivi Gretel toute sa vie et auxquels, lectrice, lecteur, des événements peuvent te confronter à tout moment. Elle finira par les régler en tranchant dans le vif d’une manière inattendue, dont je ne te conseille pas de t’inspirer.
J’ai souvent dit et écrit qu’écouter les victimes de tragédies criminelles suscitait une empathie et une émotion irrépressibles, mais que cela ne permettait pas de comprendre comment ces tragédies avaient pu survenir. Pour essayer d’en saisir les principes actifs, il est préférable de s’intéresser aux bourreaux ou, comme dans le cas présent, aux spectateurs restés passifs. Chez certaines personnes, le sentiment de culpabilité ne peut pas être indéfiniment refoulé.
La construction romanesque de l’ouvrage est très originale et intelligente. Au-delà de leurs qualités indirectement didactiques, les expériences vécues et racontées par Gretel se lisent très agréablement, d’autant qu’elles sont enrichies d’anecdotes et de digressions plaisantes. Les péripéties s’articulent en toute cohérence, ce qui n’empêche pas les nombreux et courts chapitres d’apporter leur lot de surprises. Le ton de la narration est fluide, enlevé, avec une pointe d’humour british.
Voilà donc un roman excellent à tous points de vue. Aucun point faible. Une lecture accessible à tout le monde.
FACILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT