Janvier 2022,
Après quelques livres difficiles, la plume déliée et ondulante de l’écrivain espagnol Javier Cercas – via son traducteur habituel – m’a procuré l’effet d’un bain de fraîcheur. Le plaisir d’une lecture tranquille, même pas troublée par la découverte dans les premières pages d’un double assassinat sordide. Devant les corps affreusement torturés d’un couple de personnes âgées richissimes, l’enquête se met en branle, avec aux premières loges, un jeune flic du nom de Melchor Marin.
Terra Alta se présente ainsi comme un roman policier tout ce qu’il y a de plus classique : quand il y a meurtre, l’objectif est d’identifier et d’arrêter le ou les meurtriers. Mais l’auteur prend son temps, s’étend sur le quotidien du jeune enquêteur, de sa séduisante épouse Olga et de leur petite Cosette. (Tiens ! Quel drôle de prénom !) La petite famille mène une vie heureuse à Gandosa, le principal village de la Terra Alta, une région reculée au fin fond de la Catalogne… Cela durera-t-il ?…
Au deuxième chapitre, on oublie le crime de Terra Alta. Focus sur Melchor et son passé. Il s’avère que son parcours, dans la banlieue de Barcelone, n’a pas été un long fleuve tranquille. Une adolescence révoltée, sans père, auprès d’une mère prostituée qui mourra assassinée, des fréquentations qui l’ont conduit à la drogue, à la violence, à la délinquance, au grand banditisme. Au bout du compte, un long passage par la case prison, où s’établira avec un avocat une relation de confiance mutuelle.
Sauvé par la lecture de romans ! La découverte du chef-d’œuvre de Victor Hugo, Les Misérables, aura amené Melchor à réfléchir sur lui-même, à la lumière de l’itinéraire de son héros Jean Valjean. S’estimant comme lui victime d’injustices, il finira par comprendre que la haine qu’il nourrit à l’égard de la société l’empêche de progresser. Mais la rédemption d’un Jean Valjean transformé en M. Madeleine ne lui paraîtra pas crédible. Ce qui en revanche le fascinera, c’est la vertueuse, mais dangereuse intransigeance du policier Javert, l’antihéros par devoir, l’homme qui applique la loi envers et contre tout sentiment. Melchor décidera de se mettre au service de la justice – une justice à sa façon ! – et de devenir à son tour policier.
Les chapitres suivants sont alternativement dédiés au présent et au passé. Le présent montre à Terra Alta une enquête qui n’avance pas, sauf lorsque Melchor la mène… à sa manière, ce qui lui coûtera très cher. Le passé dévoile un aspirant policier qui se construit, n’en faisant qu’à sa tête, guidé par un sens rigide du Bien et du Mal. Passé et présent se rejoindront lorsque Melchor, auréolé d’une gloire récente méritée, jettera l’ancre dans le monde minuscule de Gandosa, où chacun recherchera son accointance, non sans le laisser découvrir tout seul ce qu’il faut savoir sur les autres.
Je me suis attaché à ce personnage de Melchor pourtant dérangeant compte tenu de ses dérapages incontrôlés de violence. Sa détermination implacable et introvertie cache une sensibilité extrême. Mais la justice est-elle vengeance ou application froide de la règle. Qui définit ce qui est juste et injuste, ce qui doit être toléré, ce qui doit être puni : les lois ou la Loi ? Tant que sa radicalité restera exclusive de toute conscience humaniste, Melchor ne sortira pas du silence.
Le silence ! Dans la collectivité comme chez l’individu, il arrive que le silence masque la haine, la peur, la culpabilité. En Espagne, la guerre civile est toujours présente dans la mémoire des anciens. L’un de ses épisodes les plus sanglants, la bataille de l’Ebre, se déroula non loin de Terra Alta… Une piste ? Peut-être ! Mais comment de jeunes enquêteurs pourraient-ils la suivre ?
Du coup, le fil de résolution des énigmes du crime est décevant. Je n’aime pas quand les clés d’un mystère sont dévoilées sous la forme d’une confession exhaustive à la fin d’un polar ; un écrivain se doit de trouver mieux. Il n’empêche que Terra Alta est un roman agréable à lire. On peut déplorer que la narration s’étende sur de nombreux détails accessoires, dont on ne saisit pas au prime abord le charme ni l’intérêt. Je trouve que cela confère à la lecture une forme de lenteur dont je tiens à faire l’éloge, car cela distingue ce livre d’un thriller de base.
GLOBALEMENT SIMPLE ooo J’AI AIME