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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

La neige noire, de Paul Lynch

Publié le 13 Mai 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, romans, critique littéraire, lecture

Mai 2018, 

Comme ce roman est sombre ! Il prend place dans le Donegal, une région isolée à l’extrême nord de l’Irlande. Un paysage de prés boueux et de tourbières, une mer agitée couleur d’étain, un ciel souvent lourd de menaces, un climat froid et pluvieux. Les événements se produisent pendant la seconde guerre mondiale. Si l’on n’y perçoit guère l’écho des combats, l’on en ressent les restrictions dans la vie de tous les jours.

 

Dans La neige noire et son univers de fin du monde régi par des traditions immémoriales, vivent des fermiers pauvres, arriérés. Des rustauds, des taiseux, dont on ne peut déchiffrer les pensées. Absorbés par les nécessités de leur survie quotidienne, peut-être même ne pensent-ils pas.

 

Un soir, vers la fin de l’hiver, un incendie ravage l’étable d’une ferme. La toiture et la charpente de la vieille bâtisse s’effondrent dans une explosion de matières calcinées, dont les cendres retombent lentement comme des flocons de neige noire. Quarante trois vaches périssent carbonisées ou asphyxiées sous les yeux horrifiés et impuissants de leur propriétaire, Barnabas Kane, de sa femme Eskra et de leur fils Billy, quatorze ans. Essayant d’intervenir avec son ouvrier Matthew Peoples, Barnabas lui-même manque d’y laisser sa peau... Le gros Matty aura eu moins de chance.

 

L’incendie s’est-il déclenché accidentellement ou résulte-t-il d’un acte de malveillance ? Comment vont réagir les assurances ? Quelle est la part de responsabilité de Barnabas dans la mort du pauvre Matthew ? Quoi qu’il en soit, il en faudrait plus pour que Barnabas s’abandonne au désespoir. Les dents serrées, il a bien l’intention de montrer à tous ceux qui l’observent depuis leurs fermes voisines, guettant sa chute, qu’aucune embûche ne l’empêchera de rebâtir son outil de travail.

 

Dès les premières pages et tout au long du livre, pendant que le quotidien suit son cours, on apprend, qu’autrefois jeune orphelin laissé pour compte, Barnabas avait émigré à New York, où il avait travaillé comme charpentier sur la construction de gratte-ciel, un métier acrobatique et dangereux qui lui avait façonné le caractère et permis d’amasser un petit pécule. C’est là-bas qu’il avait épousé Eskra, une Américaine d’origine irlandaise, et que Billy était né. Revenu au pays avec une mentalité de pionnier, Barnabas a acheté des terres, une ferme et des bovins. En quelques années, il est devenu un éleveur relativement prospère. De quoi susciter jalousie et ressentiment, d’autant plus qu’Eskra, apicultrice, cultivée, pianiste, n’a pas vraiment le profil d’une paysanne du coin.

 

Mais peut-être les sinistres événements qui frapperont Barnabas et sa famille sont-ils le produit d’une rancœur plus profonde, d’une suite d’erreurs de jugement et de décisions maladroites d’un homme aveuglé par une ambition obsessionnelle et une obstination cynique, qui l’entraîneront dans une descente aux enfers prévisible. Jusqu’à l’Enfer lui-même, dont j’ai cru voir dans les dernières pages s’ouvrir la porte, où un fantôme n’ayant rien d’un Commandeur, mais qui n’avait pas voulu mourir, prenait la main d’un homme à l’agonie, n’ayant rien d’un séducteur, mais qui ne savait pas se repentir.

 

Une interprétation personnelle que chacun est libre de contester, de même que chacun peut ressentir à sa manière le symbole du massacre des abeilles d’Eskra par un gang de guêpes criminelles.

 

La neige noire est le deuxième roman de Paul Lynch, un Irlandais natif du Donegal. Son écriture est empreinte d’un lyrisme sombre, en harmonie avec le climat tourmenté et la beauté sauvage des lieux. Son vocabulaire, foisonnant, évoque à la perfection les images qu’il transcrit.

 

Le rythme de la narration est très lent. L’ossature du texte se présente à l’état presque brut, comme de la poésie. D’un paragraphe à l’autre, on passe sans indication d’un moment à un autre, d’un personnage à un autre. Les dialogues sont directement insérés dans la narration. A chacun d’imaginer les connexions.

 

Un effet littéraire pleinement réussi, mais pas forcément accessible à tous les lecteurs.

TRES DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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My absolute darling, de Gabriel Tallent

Publié le 26 Avril 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, romans, critique littéraire, lecture

Avril 2018, 

Putain, quel livre !... Je n’ai pas mieux pour exprimer l’effet ressenti en lisant My absolute darling ! Pourquoi d’ailleurs me priverais-je de ce mot, alors que ma liseuse le décompte plus de cent cinquante fois dans les quatre cent cinquante pages du roman. « Putain ! » vocifère Martin, chaque fois qu’il sent sa fille Julia, dite Turtle ou Croquette, lui échapper. « Putain ! » grogne Turtle, quand elle est en colère, en général après elle-même.

 

Lorsque je lis, je m’efforce de garder du recul afin de préserver mon émotivité. Au début de My absolute darling, je me suis tenu au-dessus de l’univers glauque de Martin et Turtle. Mais j’ai fini par être embarqué par l’immense talent de conteur et de descripteur de Gabriel Tallent, un jeune écrivain qui aura passé huit ans à écrire ce premier roman. Avec lui, j’ai arpenté des terrains flamboyants et indomptés, j’ai humé les senteurs des fleurs sauvages dans les collines, j’ai vu entre les rochers noirs le soleil rouge se coucher sur l’océan, j’ai entendu les craquements de la vieille maison et frissonné en tombant sur l’énorme veuve noire au ventre velu, j’ai suffoqué lorsque le ressac de l’océan m’a submergé et j’ai souffert dans mon corps en voyant Turtle soigner toute seule ses blessures… Et chaque fois que Turtle retombait sous le joug de Martin, j’aurais voulu crier : « Putain, Turtle !... Non ! »

 

Pour une large part, le roman consiste en un huis-clos entre un père et une fille, dans une maison délabrée, perdue sur une côte sauvage de Californie. Martin est un ours mal léché, un colosse pourvu d’une véritable culture littéraire, sachant aussi tout faire de ses mains. Adepte du survivalisme, il se prépare, avec Turtle, aux conditions de vie primitives et hostiles d’une post-catastrophe écologique. La maison regorge de kits de survie, de stocks de nourriture, d’outils, de médicaments. Sans oublier un véritable arsenal de flingues plus ou moins sophistiqués, que Turtle ne cesse de démonter et remonter pour les nettoyer, quand elle n’observe pas le monde par un viseur et qu’elle ne s’exerce pas au tir. Pour Martin, elle doit devenir une championne de l’autodéfense.

 

La relation père - fille s’avère rapidement malsaine. Martin est en fait un loser replié sur lui-même, ruminant ses échecs et sa malchance. Turtle, qu’il élève seul, est la dernière chose qu’il lui reste. Elle est son amour absolu, exclusif, ultime. En proie à un sentiment pervers, monstrueux, qui bascule dans la haine, il l’humilie, la roue de coups, la viole régulièrement. Elle a quatorze ans et ça fait des années que ça dure. Insoutenable !… Putain ! Je ne crois pas avoir jamais autant haï un personnage de fiction.

 

Comme tous ceux qui sont violentés par un proche, Turtle trouve des justifications à son bourreau et croit même mériter les supplices qu’il lui inflige. Bien que n’ayant jamais rien connu d’autre, elle pressent toutefois que sa situation est anormale, elle en a honte et elle la dissimule. Elle reste partagée entre le dégoût et l’adulation, entre la peur et la confiance, entre la tentation de protéger un secret et le parti pris de le révéler.

 

N’y a-t-il personne pour arracher Turtle à son monstre de père ? Un grand-père alcoolique et une enseignante mal dans sa peau soupçonnent la vérité mais sont trop pusillanimes pour intervenir. Un jour, Turtle rencontre Brett et Jacob, des jeunes gens un peu plus âgés qu’elle, passionnés de littérature. Leurs dialogues désopilants fascinent Turtle, même si elle a du mal à suivre. Brett est issu d’une communauté de hippies des années soixante, Jacob d’un père ayant réussi dans le high-tech et d’une mère branchée art contemporain. Peut-être l’espoir d’une libération.

 

Gabriel Tallent imagine et dresse des scènes incroyables, haletantes, dignes d’un thriller, comme l’apocalyptique règlement de comptes final. Ou comme ce jour de grande marée, où Turtle et Jacob, surpris dans une crique par la violence soudaine de l’océan, sont roulés dans des tourbillons, aspirés par les bas-fonds, engloutis par les déferlantes, projetés contre les rochers où s’accrochent des coquillages qui sont autant de « rasoirs de porcelaine ». Blessés, isolés pendant plusieurs jours sur un rocher inaccessible et invisible, ils ne s’en sortiront que grâce à la résilience de Turtle, à sa capacité à se nourrir et à se soigner avec les moyens du bord.

 

Un savoir-faire qu’elle tient de son père, qui aurait rêvé qu’elle soit capable « de vivre avec les loups et de fonder un royaume ».

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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Un fond de vérité, de Zygmunt Miloszewski

Publié le 18 Avril 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, romans, critique littéraire, lecture

Avril 2018, 

Publié en 2008, Un fond de vérité est un polar à classer dans la catégorie des romans noirs, un genre littéraire que j’affectionnais jadis et avec lequel j’ai pris quelque distance, n’y revenant que de temps en temps, en veillant à n’y sélectionner que des grands crus. J’atteste, pour celui-ci, une dégustation savoureuse.

 

Sans perdre de temps, l’auteur annonce la couleur. Ou plutôt l’absence de couleur. Glaçant ! A quatre heures du matin, tout est noir ou gris aux Archives Nationales de Sandomierz, situées dans l’ancienne synagogue de la ville, et le cadavre sur lequel tombe un généalogiste insomniaque est d’une blancheur anormale. En cette semaine frisquette de Pâques, aucune couleur ne vient réchauffer l’atmosphère une fois le jour levé sur la petite ville provinciale, un trou paumé où le personnage principal, le procureur Teodor Szacki, est venu s’enterrer quelques mois plus tôt, préférant quitter Varsovie après un divorce douloureux.

 

Le cadavre avait été vidé de son sang, comme une viande casher. Le meurtrier s’était inspiré des soi-disants rituels juifs des légendes antisémites d’antan, selon lesquels le sang, notamment celui des enfants, servirait à l’élaboration du pain azyme. N’importe quoi, direz-vous ? Sauf que selon un dicton populaire polonais, « il y a dans toute légende un fond de vérité ». Sauf que dans la bourgade médiévale de Sandomierz, la population avait, jusqu’à la dernière guerre, compté quarante pour cent de Juifs, et que les lieux avaient été, au cours des siècles, au cœur des rumeurs d’enlèvement d’enfants et des pogroms qui s’en suivaient.

 

De là à ce que le meurtre déclenche des paranoïas de tous bords, il n’y a qu’un pas. D’un côté, celle des traditionalistes fanatiques ressortant subrepticement un vieil antisémitisme refoulé, au nom du fameux fond de vérité, tout prenant garde de ne pas trop sortir du cadre de ce qu’il est autorisé de dire. En face, celle des moralistes acharnés à vilipender l’incapacité de leurs concitoyens à s’affranchir de leur antisémitisme historique.

 

Ce sont des dérapages que le procureur Teodor Szacki, chargé de l’enquête, s’efforcera d’éviter. Car le champ des possibles est très ouvert. Le meurtrier pourrait être un Juif orthodoxe se vengeant d’un acte antisémite dont sa famille aurait été victime dans un passé plus ou moins lointain. Ou un serial killer juif complètement fêlé (les Juifs étant des individus comme les autres, il n’y a pas de raison qu’il n’y ait pas de serial killer fêlé parmi eux). Il pourrait être à l’inverse un militant ultra-nationaliste ou un catholique traditionaliste intégriste. Mais le meurtre pourrait aussi résulter d’un tout autre motif, la mise en scène pseudo rituelle ne servant qu’à égarer les soupçons.

 

Personnellement – j’ai déjà dû l’écrire – je ne suis pas sensible au suspens des enquêtes et l’envie de connaître la clé des énigmes n’est pas à l’origine de mes insomnies. Dans Un fond de vérité, j’ai apprécié l’atmosphère qui imprègne l’intrigue, marquée par les dissensions d’une population toujours en proie à ses vieux démons, et aussi les descriptions expressives de la ville de Sandomierz, une cité historique, paraît-il la plus belle de Pologne, avec sa vieille ville dominant la Vistule, sa cathédrale, son château, son ancien quartier juif, des églises par douzaines, ses murailles médiévales et son très inquiétant réseau de couloirs souterrains.

 

A la ramasse dans sa vie privée, le procureur Teodor Sacki est droit dans ses bottes lorsqu’il recherche la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Le personnage est de qualité, d’une grande culture, à l’image de l’auteur, l’écrivain et journaliste Tomas Miloszewski, un intellectuel polonais aux idées modérées pro-européennes. L’on peut retrouver l’un et l’autre dans deux autres polars, Les impliqués et La rage.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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Les vestiges du jour, de Kazuo Ishiguro

Publié le 7 Avril 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, romans, critique littéraire, lecture

Avril 2018,

Ecrivain britannique d’origine japonaise, Kazuo Ishiguro est le dernier Prix Nobel de littérature en date. Son roman le plus connu, Les vestiges du jour, avait obtenu en 1990 le Booker Prize, une prestigieuse récompense réservée aux œuvres de fiction écrites en langue anglaise. L’ouvrage a été adapté à l’écran par James Ivory, avec Anthony Hopkins et Emma Thompson dans les rôles principaux.

 

Juillet 1956, un homme raconte. Au cours d’une pérégrination dans la campagne anglaise – engagée non sans une idée derrière la tête ! –, il revient sur sa longue carrière de majordome, commencée après la première guerre mondiale à Darlington Hall, un domaine ayant appartenu à une famille de la plus haute aristocratie britannique, récemment cédé, après la mort de Lord Darlington, à un milliardaire américain.

 

Dans son long monologue, livré dans un langage à la syntaxe parfaite, procurant une incroyable impression de limpidité à la lecture – j’y reviendrai toutefois ! – Mr Stevens (on prononce Mister et on ne donne pas le prénom, ce serait une familiarité déplacée), Mr Stevens, donc, affiche la haute conception qu’il a de ses fonctions de « grand » majordome. Il en exprime le concept de ce qu’il appelle la « dignité », au travers de deux circonstances qui auront marqué sa vie.

 

La première tient aux démarches douteuses de Lord Darlington, entre les deux guerres, pour convaincre la Couronne de nouer des relations privilégiées avec le gouvernement allemand. Mr Stevens avait assuré le service lors de plusieurs dîners secrets à Darlington Hall, où des diplomates des deux bords avaient pu se rencontrer. Avaient même été réunis autour de la table, le Premier Ministre Chamberlain et les deux Ministres des Affaires Étrangères, Lord Halifax et Herr Ribbentrop, pour des discussions récemment reprises et anathématisées par Éric Vuillard dans son récit L’ordre du jour, Prix Goncourt 2017 (*), et évoquées dans le film Les heures sombres, récompensé par un Oscar pour l’époustouflante interprétation du personnage de Winston Churchill.

 

La seconde circonstance se rapporte à la relation tendue, guindée, strictement professionnelle, que Mr Stevens, célibataire endurci, avait entretenue pendant quinze ans avec Miss Kenton – pas de prénom non plus ! –, intendante de Darlington Hall jusqu’à ce qu’elle en parte pour se marier, en 1936. Mr Stevens serait-il passé à côté de sa chance ? Difficile de l'admettre !... Et si toutefois, malgré le temps passé ?... 

 

Mr Stevens est complètement enfermé dans ses devoirs de serviteur de haut rang et dans son dévouement sans réserve à son employeur. Rien ne doit l’en distraire, ni les sentiments, ni les états d’âme qu’auraient pu lui inspirer les tractations blâmables dans lesquelles Lord Darlington s’était perdu. Mr Stevens se refuse à juger son employeur et maître, et s’interdit d’avoir lui-même une quelconque opinion sur des sujets selon lui réservés aux gentlemen.

 

Dans un premier temps, j’ai souri aux certitudes du personnage, à son flegme inébranlable, à son idéal d’une perfection composée. Hors de son service, l’apparence et le comportement de Mr Stevens le font prendre pour un « Monsieur » par les gens simples. Mais les plus avertis ne s’y trompent pas. Même chose pour sa façon de s’exprimer, dont j’ai salué la syntaxe, mais qui, trop formelle, trop parfaite, dégage une impression d’insignifiance un peu ridicule, à l’instar de ce que dénoterait pour un graphologue une écriture trop calligraphiée.

 

Mon sourire s’est effacé, lorsque sur instructions de Lord Darlington, qui admettra plus tard le regretter, Mr Stevens raconte avoir licencié, sans le moindre état d’âme, deux servantes juives, juste parce qu’elles étaient juives. Jusqu’où aurait pu aller un homme de son genre, quelques années plus tard, s’il avait servi dans un pays occupé par les Nazis ?

 

Au fond, derrière les apparences artificielles qu’il cultive, la destinée assumée par cet homme vieillissant aux manières de vieux garçon s’avère pathétique. On l’imagine terminer comme son père, grand majordome lui-aussi, seul dans une minuscule chambre sans confort sous les combles d’une demeure somptueuse.

 

Pour éviter de voir la vérité en face, Mr Stevens se targue d’un « sentiment de triomphe » personnel vers la fin de sa narration. Il faut surtout y voir l’humour, la finesse et la maîtrise d’un grand écrivain.

FACILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

 

(*) : Pour aller sur ma critique de L'ordre du jour, cliquez ICI

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4 3 2 1 , de Paul Auster

Publié le 31 Mars 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Mars 2018,

Pendant des années, j’ai été un lecteur fidèle des romans de Paul Auster. J’aimais particulièrement leur atmosphère, leurs intrigues et leurs personnages irréels, à moins qu’ils ne fussent surréels ou hyperréels. Avec 4 3 2 1, un pavé de mille pages écrites après plusieurs années de silence littéraire, il change de genre, publiant une œuvre très autobiographique, profondément ancrée dans l’Amérique des années soixante. Il ne faut pas pour autant s’attendre à un ouvrage de facture classique.

Toujours créatif et surprenant, Paul Auster s’interroge sur le mystère des destinées et sur leur dépendance aux contingences, qu’il s’agisse de hasards ou de choix intentionnels. Il aborde le sujet dès le début du livre. Il y est question d’une famille américaine qui répond au nom de Ferguson, alors qu’elle aurait pu s’appeler Rockefeller ! Nul doute que cela aurait tout changé. Mais voilà, c’est bien Ferguson, le nom du personnage principal, possible double de l’auteur. Son prénom pour les intimes : Archie (coïncidence, coïncidence !).

Quel destin attend donc le dénommé Archie Ferguson, fils de Stanley Ferguson, et dont le grand-père aurait pu s’appeler Rockefeller ? Son enfance subira le contrecoup d’un événement grave qui bousculera le parcours professionnel de Stanley, son père. A partir de cet événement, susceptible de se conclure de quatre manières différentes, Paul Auster va imaginer pour Archie, quatre parcours, dont on peut penser que l’un ressemble au sien propre, tandis que les trois autres auraient juste pu être le sien, si…

Selon les aléas de la vie, des circonstances,… des accidents, les quatre Ferguson vont chacun tracer leur chemin et construire leur identité de jeune garçon puis de jeune homme. En tronc commun, la même passion pour le baseball, la lecture, la création littéraire en général, avec selon les rencontres, une attirance particulière pour la poésie, le journalisme, le cinéma ou le roman. Sans oublier les filles, préoccupation majeure, même si le Ferguson numéro trois…

Après un chapitre d’ouverture numéroté 1.0, suivent les quatre premiers chapitres, numérotés 1.1, 1.2, 1.3 et 1.4, chacun consacré à l’un des avatars Ferguson. Dans les chapitres suivants, les épisodes de leur vie se succèdent toujours dans le même ordre, par tranche chronologique, jusqu’à l’achèvement de leurs études … pour ceux qui y arrivent ! Car le titre du livre, 4 3 2 1, a une signification. A un moment ou un autre, la virtualité doit en effet prendre fin. Pour pasticher Hugo, s’il n’en reste qu’un... 

Ces narrations parallèles, qui font le charme et l’intérêt du livre, rendent la lecture difficile. Cela ne poserait pas de difficulté si, comme dans de nombreux romans, il s’agissait de quatre personnages différents, ayant chacun leur nom, leur famille, leur personnalité. Dans 4 3 2 1, on s’y perd un peu, parce que nos quatre personnages suivent des parcours différents mais très similaires, et qu’ils ont en commun le même fond de caractère, les mêmes parents, les mêmes proches, dans des contextes différents qu’il n’est pas aisé de garder en tête.

Le texte est exceptionnellement limpide, malgré des phrases à rallonges et de nombreuses digressions. Il est tonifié par l’intégration directe de pensées et de paroles des personnages s’exprimant en langage familier, voire cru. Ennuyeux, en revanche, sont les longs passages consacrés au baseball, passion des quatre Ferguson comme de l’auteur, sur lesquels il ne faut pas s’éterniser si l’on n’y connait rien, comme c’est mon cas. 

J’ai apprécié la plongée dans l’Amérique des années soixante, que les Ferguson abordent à l’âge de treize ans – comme ce fut le cas pour l’auteur –, une décennie marquée par la violence des conflits sociétaux liés au mouvement des droits civiques et à la guerre du Vietnam, et jalonnée d’événements tragiques comme les assassinats du Président Kennedy, de Martin Luther King, et de Robert Kennedy. Malaise en découvrant qu’à Newark, banlieue de New York d’où sont originaires Paul Auster et ses Ferguson, les sanglantes émeutes de 1967 s’étaient cristallisées sur des griefs entre ses importantes communautés noires et juives.

Autre thème majeur du livre : la littérature, ou plus précisément l’apprentissage de l’art d’écrire. Comme Paul Auster, ses personnages s’initient à l’écriture par la traduction de poèmes français. J’imagine la difficulté de l’exercice, qui consiste à interpréter l’intention des poètes et à trouver les mots pour l’exprimer. Fascinant.

4 3 2 1, clap de fin ! Une lecture fatigante, mais passionnante.

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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César Birotteau, d'Honoré de Balzac

Publié le 13 Mars 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Mars 2018,

Pourquoi m’être lancé dans ce roman de Balzac datant de 1837, dont le titre complet est Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau ? Après Article 353 du code pénal, j’avais cherché un autre roman racontant l’histoire d’une victime d’escroquerie, sans que ce soit pour autant un roman policier. C’est ainsi que j’étais tombé sur César Birotteau, l’occasion pour moi d’une incursion dans Balzac, plusieurs dizaines d’années après la précédente.

 

L’histoire se passe à l’époque de la Restauration, – qui consacra, avec Louis XVIII, le retour des Bourbons après la chute de Napoléon –, dans un vieux quartier du centre de Paris, dont seules quelques rues subsistent de nos jours, exactement deux siècles plus tard.

 

Issu d’une famille modeste de province, César Birotteau était monté à Paris à l’âge de quatorze ans. Après avoir travaillé dur comme apprenti, puis comme commis chez un marchand parfumeur, il avait pu en racheter le fond et le développer gentiment avec l’aide de sa belle et courageuse épouse Constance. Au début de l’intrigue, tous deux approchent de la quarantaine. Leur fille Césarine, dix-huit ans est la prunelle de leurs yeux. Leur commerce de parfumerie, A la Reine des Roses, est prospère.

 

César est un homme droit, vertueux, catholique pratiquant. Un peu rigide et moralisateur, il lui arrive de se montrer agaçant. Elu adjoint au maire de l’arrondissement et juge au tribunal de commerce, c’est une petite personnalité locale. Mais quand il apprend qu’il va être décoré de la Légion d’Honneur, il perd les pédales et se transforme en Bourgeois-Gentilhomme ridicule. Il fait agrandir et décorer somptueusement son appartement, pour organiser une grande soirée où il convie la haute société parisienne dont il aspire à faire partie. En réalité, il suscite surtout l’agacement des jaloux.

 

Dans ce monde huppé, on se flatte d’être au courant d’opportunités d’investissement fructueux. C’est chic et ça peut rapporter gros. César se laisse entraîner dans une spéculation immobilière dans laquelle il investit tous ses biens, tout en s’endettant lourdement à court terme. Malheureusement, le notaire qui avait monté l’opération part avec la caisse. César est ruiné et dans l’impossibilité de faire face à ses échéances. C’est la faillite. Tous ceux que César avait agacés par ses sermons et ses dépenses somptuaires, lui tombent dessus. Il est anéanti, financièrement, socialement et moralement.

 

Pour survivre et tenter d’honorer leurs dettes, César et Constance se placeront comme employés, un retour en arrière difficile. Heureusement, quelques proches leur resteront fidèles, notamment un jeune émule au physique ingrat mais à la belle âme, à qui César avait mis le pied à l’étrier pour lancer avec succès la fabrication d’une huile capillaire. Le jeune entrepreneur épousera Césarine et sortira la famille d’affaire. César sera réhabilité, mais les tracas auront eu raison de sa santé et il n’aura pas loisir de savourer son honneur retrouvé.

 

Balzac est l’inventeur du roman moderne, mettant en scène la vie quotidienne de ses contemporains, citadins ou paysans, riches ou pauvres, petits commerçants ou grands bourgeois. Dans les romans de La comédie humaine, tout est décrit avec minutie. Les paysages et les décors sont l’objet de prolifération de détails sur des pages et des pages. Il en est de même pour le physique des personnages, car Balzac est un adepte des théories de la physiognomonie, selon lesquelles l’apparence d’un individu et les traits de son visage sont révélateurs de sa personnalité et de son caractère. Un parti littéraire qui a pour effet de conférer un aspect caricatural à chaque personnage, à l’instar de l’esprit des gravures de Daumier, contemporain du romancier.

 

Certains passages sont longs et ennuyeux, notamment lorsque le romancier prétend expliquer les mécanismes du commerce et les réglementations sur les faillites de l’époque, dans des termes qui sont aussi ceux de l’époque et qui exigent du lecteur beaucoup d’efforts pour s’y retrouver.

 

Innovant de son temps, l’ouvrage s’avère de nos jours fastidieux à lire, d’autant que l’issue de ses intrigues est prévisible. Mais n’oublions pas ce que nos lectures d'aujourd'hui doivent à Balzac.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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Article 353 du code pénal, de Tanguy Viel

Publié le 6 Mars 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Mars 2018,

Ce petit livre a reçu un prix littéraire et rencontré le succès en librairie. J’ai tardé à le lire, son titre, Article 353 du code pénal, m’en ayant longtemps dissuadé. Je reconnais finalement que c’est une œuvre brillante, dont l’intrigue est subtilement conçue et l’écriture finement ciselée.

 

Au large de Brest, le narrateur et personnage principal, Martial Kermeur, vient de balancer un type à la mer, volontairement et sans se cacher. Il se retrouve dans le cabinet d’un juge d’instruction, sommé de s’expliquer, ce qu’il fait dans un long monologue, à huis-clos. Le juge l’écoute. Nous, lectrices et lecteurs, le lisons.

 

Cela faisait des années que la malchance avait ébranlé le bon sens de cet homme modeste, infortuné au point de voir le numéro qu’il jouait toutes les semaines au Loto sortir la seule fois où il n’avait pas validé son billet. Son emploi d’ouvrier à l’Arsenal avait été supprimé. Sa femme avait fini par le quitter. Il ne lui restait comme actif, qu’un fils à finir d’élever, et un pécule rondelet à la banque. La somme, correspondant à l’indemnité versée par l’Arsenal, aurait dû lui permettre d’acheter un petit pavillon dans la région, ou un beau bateau à moteur, rêve de tout retraité breton.

 

Mais à la malchance s’ajoutera une décision hasardeuse, lorsqu’il aura croisé la route d’un homme flamboyant et inspirant, un promoteur immobilier aux manettes d’un projet résidentiel de grande ampleur sur la presqu’île. Un projet qui avortera et ruinera les quelques investisseurs locaux imprudents qui auront cru en lui.

 

L’auteur, Tanguy Viel, analyse avec pertinence l’humiliation d’un homme mené à la ruine du fait de ses propres erreurs, sa honte d’avoir péché par naïveté, et aussi par cupidité, à l’encontre de ses idéaux de vieux militant socialiste. Sa honte de montrer une piètre image à son fils et d’avoir gardé espoir pendant six ans en dépit des évidences. Un espoir partagé avec d’autres naïfs cupides, croyant être en sécurité en s’agrippant les uns aux autres, alors qu’en l’absence d’arrimage solide, ils allaient tous tomber ensemble en prenant conscience de l’irréversibilité des choses. Sa honte, enfin, de n’avoir pas osé répondre la vérité lorsque le promoteur véreux, toujours flamboyant après six années d’espérances en trompe-l’œil, lui aura lâché : « rassurez-moi, Kermeur, vous n’êtes pas sur la paille ? »

 

Car les escrocs ne disparaissent pas toujours après leur forfait. Certains restent sur place, forts de leur charisme, pour continuer à épater et à impressionner leurs victimes, afin que l’on continue à espérer en eux, avec eux.

 

Difficile de déceler dans les propos de Kermeur, le moment où il a décidé de tuer le responsable de sa déchéance. La veille, lors de l’invitation à la pêche ? Sur l’instant même, sous le coup d’une impulsion ? Toujours est-il que le meurtre, plutôt qu’une vengeance, sera pour lui le point de départ d’un parcours de rédemption en quête d’un honneur perdu, consacré par le long monologue empreint de lucidité, d’humilité et de sincérité, qui constitue l’intégralité du livre, et qui amènera le juge à chercher l’inspiration dans l’article 353 du code de procédure pénale.

 

L’ouvrage se lit aussi en chronique d’un territoire. Les événements prennent place dans les dernières années du vingtième siècle dans la rade de Brest, où comme dans de nombreuses villes de province, les activités industrielles traditionnelles ferment les unes après les autres, laissant des hommes sans qualification se résigner à ne plus travailler, à rester oisifs.

 

Le travail d’écriture du monologue est remarquable de justesse, de sensibilité, de minutie. Il m’a fait penser, en moins halluciné, à certains textes de Thomas Bernhard. Il n’en affiche pas moins les inconvénients du genre : l’homme qui s’exprime est fruste ; il traîne sur des détails, cherche les mots justes, et lorsqu’il ne les trouve pas, use de métaphores qui ralentissent la lecture, tandis que le développement de l’intrigue, intéressante, nous inciterait plutôt à la survoler.

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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L'amie prodigieuse, tome 4 - L'enfant perdue, d'Elena Ferrante

Publié le 23 Février 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Février 2018,

Voilà, c’est terminé. L’enfant perdue – et ce titre n’est pas une métaphore ! – vient mettre un terme à la saga de L’amie prodigieuse, qui couvre, sur soixante années, le parcours de deux amies issues du même quartier déshérité de Naples. Une saga que j’ai personnellement bouclée en reprenant le prologue du premier volume, où la narratrice avait évoqué l’« effacement » final de Lila. Et comme l’épilogue de L’enfant perdue s’achève sur la réapparition des poupées, je me suis laissé aller à relire tout le début des aventures de Lenù et Lila.

Les poupées, souvenez-vous ! Lenù et Lila avaient six ans et n’étaient pas encore amies. Chacune avait jeté par provocation la poupée de l’autre dans un soupirail de cave. Elles ne les avaient jamais retrouvées et elles étaient allées, main dans la main, mortes de peur, les réclamer à l’abominable « ogre »  Don Achille : « on vous a vu les mettre dans votre grand sac noir ! ». Cet épisode m’avait attendri. Est-ce parce que je n’ai pas eu de sœur, ni de fille ? Toujours est-il que j’y ai souvent pensé, tout au long des quinze cents pages dont les poupées sont absentes, avant qu’elles ne reviennent en clôture de l’ouvrage comme un totem mystérieux, peut-être pour nous rappeler que leur disparition avait été la rampe de lancement des destinées, et pas seulement de l’amitié des deux fillettes.

Les bonnes et mauvaises fortunes de la vie auront eu peu d’incidences sur cette amitié exclusive et complexe, typiquement féminine. Tout au long des soixante années, le sentiment que Lenù et Lila auront éprouvé l’une pour l’autre aura fluctué aux confins de l’admiration et de l’agacement. Leur bienveillance mutuelle aura parfois comporté une once cachée de mauvaise intention. Malgré des parcours personnels très différents, aucune n’aura pris le pas sur l’autre. Mais elles se seront retrouvées toutes les fois qu’elles s’étaient éloignées. 

J’ai relu mes critiques des trois premiers volumes. Je n’en changerais pas un mot (*). Ai-je besoin, après cet ultime volume, de revenir sur la verve romanesque et la fluidité d’écriture d’Elena Ferrante ? En dépit des nombreux renversements de situations qui donnent au récit son caractère captivant, l’ensemble est d’une grande cohérence, notamment le profil psychologique des deux femmes, établi dès le début.

Une longue première partie de L’enfant perdue est consacrée aux atermoiements de Lenù dans ses aventures de femme, de mère et d’écrivaine, sujettes à des hauts et à des bas, au même titre que son moral. Que de doutes, que de valses-hésitations, comme toujours avec elle ! Son engagement féministe ne l’empêche pas de manquer de clairvoyance sur les hommes de sa vie, et à trop longtemps hésiter avant de briser les chaînes dans lesquelles l’enserre un pervers narcissique.

Malgré des revers et un drame terrible, Lila sera restée égale à elle-même : une créature instinctive et intuitive au caractère tourmenté, insensible à l’opinion d’autrui, affichant une détermination implacable dans ses prises de position, capable de les imposer à des hommes brutaux et dangereux, peu habitués à trouver des femmes en travers de leurs chemins.

Les deux femmes auront tracé leurs routes dans une Italie qui n’aura cessé de se transformer. Après le boom économique d’après-guerre, suivi des années d’affrontements idéologiques et de dérapages meurtriers, la tendance évolue vers un libéralisme économique mal contrôlé. Les terroristes repentis dénoncent leurs camarades. La corruption ronge les politiciens des partis de gouvernement, jusqu’à ce que l’opération manu polite y mette bon ordre. Provisoirement !

Naples, « ville magnifique et pleine de trésors », semble ne pouvoir échapper à une sorte de malédiction. Tout y change sans jamais vraiment changer. Des mafieux imposent leur loi avant d’être éliminés par d’autres mafieux, tandis que les organisations clandestines se renouvellent suivant les tendances du jour.

Avec le temps, se dissout l’espèce de fraternité qui unissait les habitants du vieux quartier, où l’on a pu croire que Lenù était vouée à l’éternel retour, à proximité de Lila. Un quartier où le bon sens et la modestie ont pu amener certains à penser que l’amie prodigieuse, ce n’était pas Lila la surdouée, mais Elena dite Lenù, l’écrivaine à succès.

 

(*) : Pour retrouver les critiques des trois premiers tomes, allez sur la page "Liste des romans commentés" et utilisez le moteur de recherche.

GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT

Lisez les romans de l'auteur de cette chronique.

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Couleurs de l'incendie, de Pierre Lemaître

Publié le 18 Février 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Février 2018

Ses talents de conteur et la justesse de sa plume font de Pierre Lemaître un incontestable virtuose du roman. Couleurs de l’incendie, son dernier ouvrage, offre un moment de lecture réjouissant, absolument captivant, tant par le rythme et la diversité des péripéties imaginées, que par une tonalité de narration jubilatoire qui colle à ces péripéties.

 

Comment expliquer alors que je sois resté un peu – un tout petit peu ! – sur ma faim ? 

 

Le livre est présenté comme le deuxième volet d’un triptyque initié par l’exceptionnel Au revoir là haut, prix Goncourt 2013. Est-ce la mode des séries qui incite les romanciers à loger certaines œuvres dans une unité plus vaste ? Couleurs de l’incendie s’inscrit dans la suite chronologique d’Au revoir là haut, même si les deux fictions sont indépendantes et qu’à l’exception de la brave Madeleine – pas si brave que cela, finalement ! –, aucun personnage principal de l’un n’apparaît significativement dans l’autre.

 

L’auteur échappe ainsi à la nécessité de définir un cadre, un contexte, des généalogies. Il repart sur des bases connues, en l’occurrence le Paris de l’entre-deux-guerres, terrain de jeu de zigotos peu scrupuleux, hommes d’affaires, politiciens, journalistes, les uns membres de l’establishment, les autres aspirant à le devenir. Scandales financiers, escroqueries, fraudes fiscales, petits arrangements entre presse et politique, corruption à tous les étages, Pierre Lemaître n’est pas tendre avec les mœurs de l’époque. On ne s’étonnera pas d’y voir une peinture satirique de notre monde actuel. Les similitudes sont nombreuses, d’une banque suisse laissant échapper les identités et numéros de comptes de ses clients, aux ennemis de la démocratie cherchant à la détruire par la montée en épingle de scandales.

 

L’ouvrage comporte deux parties. La première dépeint la descente aux enfers d’une riche héritière, victime d’une série de malheurs familiaux, et de son impréparation aux responsabilités qui s’ensuivent pour elle. L’occasion pour l’auteur de présenter, sur un ton badin, les personnages-clés de l’intrigue, en une comédie humaine cruellement balzacienne.

 

La seconde partie est consacrée à la mise en œuvre minutieuse d’une vengeance implacable. Des lecteurs font référence à la plus célèbre des histoires de vengeance, celle du Comte de Monte-Cristo. Pourquoi pas ! Le registre sentimental est toutefois nettement moins romantique et glamour que chez Dumas. L’auteur adopte un ton ironique, presque désinvolte. Les méchants seront justement punis, mais les manigances et stratagèmes des vengeurs m’ont paru un peu artificiels, amusants à défaut d’être crédibles. Ils m’ont plutôt fait penser aux facéties de Bibi Fricotin, le redresseur de torts des bandes dessinées de la même époque.

 

On est en tout cas bien loin de l’originalité, morbide mais géniale, des magouilles aux cercueils et aux monuments aux morts, naguère imaginées par l’auteur. Dommage notamment d’avoir recours à la confection de « faux documents indécelables » pour incriminer un personnage ; un auteur de romans policiers de la carrure de Pierre Lemaître aurait dû trouver mieux.

 

Intéressantes, en revanche, sont les destinées imaginées en marge de l’intrigue principale. Celle du petit Paul, génie précoce de la réclame, pique ma curiosité ; se pourrait-il que le troisième volet du triptyque lui soit consacré ? J’ai bien aimé, aussi, une improbable Castafiore et son concert à l’Opéra de Berlin, devant Hitler et les principaux dignitaires nazis, dans une uchronie savoureuse, quoique moins explosive qu’Inglourious Basterds.

 

Autre personnage pittoresque, la sensuelle infirmière polonaise Vladi, fâchée avec la langue française, à qui l’auteur fait prononcer des propos comme : « Wszystko w porzadku ». Vous pensez à un sabir fabriqué pour l’occasion ? Pas du tout, c’est du polonais, Pierre Lemaître ne badine pas avec l’authenticité. Ça veut dire : « Tout va bien ». Ils pourraient être champions de Scrabble, les Polonais !

 

En dépit du talent et du professionnalisme de l’auteur, Couleurs de l’incendie ne m’a pas fait oublier Albert et Édouard, les flamboyants héros d’Au revoir là haut, merveilleusement mis en image, depuis, par Albert Dupontel. Mais il s’agit quand même d’un très bon roman.

 

FACILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

 

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Nos richesses, de Kaouther Adimi

Publié le 7 Février 2018 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire, romans

Février 2018,

Qui avait entendu parler d’Edmond Charlot (1915-2004), un éditeur visionnaire et un peu fou, qui, il y a plus d’un demi-siècle, connut d’éphémères heures de gloire entre Alger et Paris ?

Il aura fallu qu’une jeune romancière imagine que cet homme ait tenu un carnet intime et qu’elle ait le culot de l’écrire pour lui, pour que sa notoriété franchisse les frontières d’un cénacle de quelques connaisseurs.

 

Ce carnet imaginaire est le cœur de Nos richesses, une fiction imaginée à partir d’une histoire vraie par Kaouther Adimi, une jeune femme algérienne, qui a choisi de vivre à Paris, où elle est responsable de ressources humaines dans une société de produits de luxe. Nos richesses, son troisième roman, longtemps en lice pour les grands prix littéraires de l’automne, a obtenu le Renaudot des Lycéens. Le jugement des lycéens est souvent excellent. Ils sont les lecteurs de demain.

 

Le carnet retrace le parcours d’un homme qui, en 1935, à l’âge de vingt ans, ouvrit à Alger une minuscule librairie, qu’en hommage à Jean Giono, il nomma « Les Vraies Richesses », avec l’ambition d’en faire aussi une bibliothèque, une galerie d’art, un lieu de lecture et de rencontres. Et comme cela ne lui suffisait pas, Edmond Charlot y entreprit une activité d’éditeur, la voulant orientée vers les écrivains méditerranéens, sans distinction de langue ou de religion. Il publia les premières œuvres d’Albert Camus, ainsi que nombre d’écrivains dont les noms se sont depuis lentement effacés dans les brumes de l’oubli.

 

Après la guerre, pendant laquelle il avait clandestinement fait imprimer et diffuser Le silence de la mer dans l’Algérie vichyste, il déploya son activité d’éditeur à Paris, arrachant des prix littéraires à la barbe des grandes maisons d’édition, mais sans réussite financière. Revenu à Alger, son aventure avec la librairie « Les Vraies Richesses » a pris fin peu de temps avant l’indépendance.

 

Ce lieu irréel, devenu depuis une bibliothèque, où figure toujours en vitrine l’inscription « Un homme qui lit en vaut deux », avait piqué l’intérêt de Kaouther Adimi, qui résume ainsi son long travail de recherche : « Un an à écumer les fonds d’archives. A rencontrer les copains de Charlot. A dévorer bouquins, interviews et documentaires ». D’après sa veuve, un jour qu’on lui demandait ce qu’était devenue sa librairie quarante ans plus tard, Raymond Charlot avait répondu que peut-être on y vendait des beignets...

 

Il n’en fallait pas plus à Kaouther Adimi pour imaginer une seconde fiction en contrepoint de l’ouverture de la librairie, l’aventure d’un jeune Algérien étudiant en France, chargé quatre-vingt ans plus tard de venir liquider ce qu’il en reste, pour pouvoir y installer un commerce de beignets. Une tâche pour laquelle le voisinage, nostalgique du passé, fera tout pour lui mettre des bâtons dans les roues.

 

Entre les deux fictions, un passé pesant se rappelle au lecteur. La jeune écrivaine, héritière de ceux qu’on appelait les indigènes, leur donne la parole pour évoquer des événements historiques : le centenaire de la colonisation, l’engagement dans la seconde guerre mondiale, les représailles des émeutes de Sétif, les attentats de la Toussaint, la répression de la manifestation de 1961 à Paris.

 

Morose est le présent. Si l’histoire était filmée, ce serait en noir et blanc ; et sans paroles, ou presque. On parle peu à Alger, semble-t-il. On fait attention. C’est l’hiver, il pleut, il fait froid, le ciel est sombre, la ville est grise, bien loin de l’image d’Alger la Blanche, d’Alger la Radieuse.

 

Je note toutefois une fascination pour le bleu. L’auteure reconnaît d’ailleurs que « le problème avec la couleur bleue, c’est qu’elle vous accroche. On s’y noie. On s’y perd. » Peut-être une façon d’évacuer le cliché d’une mer et d’un ciel bleus, trop souvent indissociables d’un mythe, d’un fantasme exotique d’une Alger inondée de soleil. Là ne seraient pas les seules richesses du pays.

 

Un livre qui parle de livres, une écriture maîtrisée, une lecture inattendue et plaisante : un moment d’enrichissement.

 

GLOBALEMENT SIMPLE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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