Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Nulle part sur la terre, de Michael Farris Smith

Publié le 26 Octobre 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

Octobre 2017,

Un choc littéraire. Un roman noir, très noir, qui m’a ému et captivé au-delà de ce que j’avais anticipé.

 

Un bas-côté d’autoroute, dans le sud des États-Unis. Une femme et sa petite fille marchent sous un soleil de plomb. Elles sont à bout de forces. Tout ce qu’elles possèdent tient dans un sac poubelle que la mère traîne avec peine. A trente ans, son visage et son corps sont marqués par « les chiens enragés de la vie ». Il fut un jour, pourtant, où tout aurait dû se passer divinement bien. Tout s’était alors effondré en un instant. Il y a bien longtemps. Un cataclysme qui tourne et retourne dans sa pauvre tête et qui, depuis, l’a conduite de dérive en dérive…

 

Nulle part où aller sur la terre. Onze ans après, elle revient donc où elle avait vécu, à la recherche de… elle ne sait même pas qui ou quoi !... Une SDF, appelons les choses par leur nom ! Et une fois passés les premiers chapitres et l’entrée en scène d’un flic malsain, on se dit que ce n’est pas prêt de s’arranger, bien au contraire...

 

Au même moment, non loin de là, un homme sort de prison. Pour lui aussi, tout s’était brisé brutalement, à quelques heures d’un mariage qui devait être heureux. Que peut-il espérer désormais, après toutes ces années. Qui pourrait encore l’attendre ? Et s’il est attendu, est-ce avec bienveillance ?

 

Maben et Russel ne s’étaient jamais rencontrés, mais peut-être leurs routes s’étaient-elles déjà croisées. Maben n’en est plus à se poser des questions. Juste survivre avec sa petite fille. De son côté, Russel s’interroge, non pas sur sa faute – il suffit de compter les canettes de bière vides à la fin du livre ! – mais sur son châtiment. La justice des hommes et onze années d’emprisonnement ne sauraient suffire à racheter sa faute. La rencontre de Maben et de sa petite fille peut être l’occasion d’une rédemption : tout risquer pour elles sans rien espérer en retour.

 

Michael Farris Smith. Notez bien ce nom. Quelque chose en lui de William Faulkner. Comme l’immense prix Nobel de littérature, Michael Farris Smith, dont Nulle part sur la terre est le troisième roman, est fasciné par leur terre natale, le Mississippi, un État du sud de l’Amérique où les espaces sont immenses, le climat éprouvant, la nature agressive.

 

Comme lui, des mots tous simples lui suffisent pour transformer un décor banal de bourgade rurale insignifiante, en atmosphère de tragédie où se mêlent toutes sortes de lumières, d’odeurs et de bruits. Des mots tous simples, aussi, pour faire de femmes et d’hommes du commun, des êtres portant la désespérance ou la haine. Poignant et glaçant.

 

Il faut dire que là-bas, dans ce coin du sud, on rencontre de drôles de gars. Taiseux, solitaires, contemplatifs, ruminant mille humiliations. A l’instar des anciens sur leurs chevaux, c’est avec leur pick-up qu’ils font corps. Au volant, ils sillonnent les forêts à toute blinde et s’arrêtent au bord de lacs aux eaux noires. Ils s’allongent alors sur le plateau pour faire l’amour ou contempler la nuit profonde bruissante de bestioles. Certains ont la rage en eux et sont violents, méchants. Les autres ne regimbent pas à la castagne. Tous absorbent des décalitres de bière et de whiskey. Et ça fait des dégâts…

 

Une écriture – superbement traduite – dont le rythme fluctue. Pour accompagner les fulgurances de l’action, des formulations courtes, taillées à la serpe. Dans les moments contemplatifs, les phrases s’étirent en longueur, sans souci de l’orthodoxie grammaticale, fusionnant en une composition unique, sensations et souvenirs et images et mouvements et profondeurs et bruits, comme la mélodie continue d’un opéra dramatique.

 

Des chapitres très courts, qui facilitent la lecture. Un vocabulaire très simple, sans fard ni artifice. Des dialogues si justes qu’on pourrait les dire de mémoire à haute voix – rien à voir avec le charabia de pseudo cow-boys des traducteurs de Faulkner dans les années trente.

 

Ce livre, qui s’achève dans une lueur d’espérance mystique, a absorbé une part importante de mon capital d’émotion. En le refermant, je suis resté comme suspendu dans le vide…

GLOBALEMENT SIMPLE  ooooo  J’AI AIME PASSIONNEMENT

Vous pouvez acheter directement ce livre en cliquant sur ce lien

commentaires

Les buveurs de lumière, de Jenni Fagan

Publié le 20 Octobre 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

Octobre 2017,

Les buveurs de lumière ! Vous en avez déjà rencontré, vous, des buveurs de lumière ? Moi jamais ! Pas plus qu’une cireuse de lune ou une femme-loup. Un taxidermiste ? J’aurais pu. Un(e) très jeune trans ? Aussi. Une ancienne star du porno ? Ma femme me surveille... En tout cas, ce sont de bien étranges personnages que Jenni Fagan nous invite à rencontrer, là-haut, à Clachen Fells.

 

Là-haut, oui. Tout en haut. A l’extrême nord de l’Ecosse. Presque le Grand Nord. Des lieux où faire provision de lumière s’avère nécessaire pour survivre, l’hiver, quand la nuit tombe en début d’après-midi et qu’il faut vivre dans l’obscurité jusqu’au lendemain en fin de matinée.

 

L’hiver justement. Celui qui arrive, en cette année 2020, s’annonce terrifiant, du point de vue climatique s’entend. Le pire depuis deux siècles... A moins que ce ne soit le dernier, l’ultime…

 

Réchauffement de la planète. Depuis qu’on en parle, ça devait finir par arriver ! Les calottes polaires fondent. Des masses considérables d’eau douce glacée déferlent à la surface des océans, entraînant une élévation générale du niveau des eaux et un refroidissement des contrées les plus proches. Perturbation climatique passagère, nouvelle ère glaciaire ou apocalypse ?

 

Partout en Europe et même au-delà, il fait très froid. Les températures continuent de baisser. Plusieurs mètres de neige recouvrent les terres qui n’ont pas été submergées par l’océan. Transports et déplacements impossibles. Réseaux hors service. Émeutes, pillages. Des morts par milliers.

 

A Clachen Fells, on regarde ou on écoute avec sérénité les informations qui parviennent – difficilement – du reste du monde. Ici aussi, il fait très froid. Et ça continue de baisser. -20°, -30°, -50°… Mais le grand froid, la neige, le gel, on a l’habitude et on s’organise. Poêle, bonnets, vêtements en plusieurs couches. Et aussi entr’aide, festivités, convivialité, whisky, gin… Et cures de lumière !

 

Pureté de la voûte céleste, où file une étoile parmi des milliers d’autres qui scintillent immobiles. Caprices de la lune, modulant à sa guise la blancheur des montagnes. Phénomènes lumineux qui n’existent nulle part ailleurs. Des parhélies multiplient les soleils par effet de halo. Des aurores boréales agitent dans le ciel leurs voiles lumineux allant du vert au pourpre.

 

On trouve, à Clachen Fells, une zone d’activités, un centre commercial, un Ikea, des écoles, des pubs, des gros 4x4 et même des femmes de fermiers prêtes à acheter des meubles de récup’ restaurés façon vintage. Une société comme partout, en somme.

 

C’est pourtant dans un parc à caravanes, que l’auteure, Jenni Fagan, a situé le cœur de son intrigue. Qui peut bien vivre dans une caravane sous un climat aussi rude ? Quel vent y amène Dylan, arrivé de Londres, où il était projectionniste dans un cinéma d’art et d’essai qui a mis la clé sous la porte ? Un géant barbu tatoué, orphelin de mère et de grand-mère, qui repart à zéro. Un gros nounours paumé, qui espère bien trouver un peu de chaleur chez sa voisine, Constance, et sa fille, Stella.

 

Séduisante et solide Constance, fidèle à ses deux amants, mais assumant seule sa route en femme libre. Une mère confrontée à un enjeu fondamental très délicat. Accompagner – juste accompagner ! – sa fille de douze ans, née dans un corps de garçon, dans la réussite de sa transition vers le genre féminin.

 

Des personnages auprès desquels j’ai passé un agréable et chaleureux moment de lecture, dans un environnement fascinant. Un roman qui ne plaira pas à tout le monde.

 

En fait, tout tient dans le prologue : quelques pages aussi joliment écrites que confuses à première lecture ; des pages devenues très claires quand on les reprend après voir terminé le livre. Un prologue en guise de conclusion, où je n’ai pas trouvé de clé convaincante ou déterminante.

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

Vous pouvez acheter directement ce livre en cliquant sur ce lien

commentaires

Sucre noir, de Miguel Bonnefoy

Publié le 8 Octobre 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

Octobre 2017, 

Une légende de trésor perdu. Un coffre rempli de pièces d’or, de bijoux, de denrées précieuses, disparu dans le naufrage d’une frégate mystérieuse, au dix-septième siècle…

 

« Déjà lu, dis-tu, une histoire de pirates qui s’entretuent !...

– Pas du tout, tu confonds avec l’Ile au trésor, Stevenson...

– Il n’y aurait pas une histoire de sous-marin de poche ?

– Ça, c’est dans Tintin et le trésor de Rackham-le-Rouge...

– J’ai trouvé ! Des mobiliers et des objets marins rongés par les eaux, envahis par le plancton et le corail !

– Là encore, tu n’y es pas. Tu évoques, à tort, la stupéfiante fiction romanesque non littéraire, l’invraisemblable faux trésor et vraie œuvre d’art exposé par Damien Hirst au Palazzo Grassi et à la Dogana de Venise.

 

Dans Sucre noir, ce sont des branchages, des broussailles et des plantes tropicales qui recouvrent la frégate, après qu’elle s’est abîmée dans les arbres, en plein cœur d’une forêt caribéenne.

– Un navire naufragé dans les arbres ?...

– Et alors ! En littérature, il faut avoir le sens du merveilleux… Et cette histoire de naufrage n’est que le premier chapitre du livre. Il fallait bien un mythe originel pour expliquer qu’une légende de trésor perdu reste vivace dans les lieux, trois siècles plus tard, suscitant de temps à autre la venue d’un chasseur d’or décavé ».

 

Roman ou conte ? Dans une zone incertaine des Caraïbes, Miguel Bonnefoy, jeune écrivain franco-vénézuélien, met en scène trois générations d’une même famille. Au cœur de la fiction, une femme, Serena, et son mari. Elle succède à ses parents, puis cède la place à sa fille, Eva Fuego. Un drôle de phénomène, celle-ci. Un être marqué par le feu.

 

Au long de ces trois générations, une petite exploitation agricole de cannes à sucre se transforme en un conglomérat alliant l’industrie du rhum et autres spiritueux, au transport de pétrole, un nouveau type de trésor noir offrant de belles perspectives pour se sucrer.

 

Une histoire bien charpentée. Mais le contour flou des personnages, l’évanescence des repères de lieu et de temps, donnent au récit la coloration étrange d’un conte intemporel.

 

Conte ou fable ? Les contes recèlent toujours un fond philosophique. Dès qu’il est question de trésor, c’est toujours la même morale qu’on ressort. Ce ne sont pas les pièces d’or qui font la vraie richesse. On la trouve dans l’amour, dans les plaisirs simples, comme l’écoute du chant des oiseaux, la contemplation des couleurs tropicales, la senteur des fruits mûrs ou le goût d’un rhum vieilli…

 

Et puisqu’on est dans les leçons de morale, attention aux excès d’ambition et de cupidité ! Sachons tirer la leçon d’un feu d’artifice éruptif laissant dans le ciel « un couvercle de cendres qui mit trois ans, dix mois et cinq jours à disparaître »...

 

Fable ou poésie ? L’un n’empêche pas l’autre. L’écriture de Miguel Bonnefoy est très lyrique. Très travaillée. Car le lyrisme n’est pas une envolée spontanée. Il faut savoir piocher des mots rares et étranges dans des univers exotiques, dans des mythes antiques, dans des matières précieuses. Composer des listes de mots au surréalisme improbable. Comme sur cette table où « s’entassaient des quintaux de clous de girofle venus des Moluques, de l’ivoire du Siam, du cachemire du Bengale et du bois de sental du Timor ». Ou comme les fleurs que Serena cueillait dans la forêt, « des pinces de homard, des oiseaux de paradis, des jasmins antillais, des roses de porcelaine ».

 

Roman, conte, fable, poésie. On trouve tout cela dans Sucre noir. Un livre bien construit et joliment écrit, qui n’a pourtant pas réussi à emporter mon enthousiasme et mon émotion.

 

Peut-être aurais-je dû témoigner plus d’empathie aux personnages, en les accompagnant à chaque verre de rhum qu’ils buvaient.

 

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

 

Vous pouvez acheter directement ce livre en cliquant sur ce lien

 

commentaires

Les fantômes du vieux pays, de Nathan Hill

Publié le 3 Octobre 2017 par Alain Schmoll dans Littérature, critique littéraire

Octobre 2017,

Un premier roman époustouflant. Œuvre d’un nouveau venu nommé Nathan Hill, Les fantômes du vieux pays est une vaste fresque romanesque de sept cents pages, incroyablement audacieuse et complexe, proprement ancrée dans l’histoire des Etats-Unis des cinquante dernières années.

 

Un ouvrage ambitieux, très ambitieux… Trop ambitieux ?... Peut-être. J’y reviendrai.

 

À Chicago, une femme de soixante ans vient de lancer des cailloux sur un gouverneur républicain, un homme politique d’envergure présidentielle. Pourquoi a-t-elle commis ce geste, monté en épingle par les médias, interprété en tentative d’attentat terroriste par l’opinion, un geste susceptible de lui valoir une sanction pénale extrêmement lourde ?

 

Et pourquoi, il y a un peu plus de vingt ans, cette même femme avait-elle choisi de disparaître totalement, en abandonnant son mari et son fils Samuel, alors âgé de onze ans ?

 

Voilà ce que va s’efforcer de découvrir ce dernier, aujourd’hui modeste professeur de littérature et écrivain velléitaire, un homme solitaire à la personnalité mal affirmée.

 

A partir de ces données, l’auteur met en place ses personnages, déchiffre leurs états d’âme, dévoile leurs intentions et déroule leurs (més)aventures, en emballant l’ensemble dans l’actualité américaine du moment. Grandiose !

 

1968, année de contestation violente un peu partout dans le monde. Les Etats-Unis n’y échappent pas. Les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy bouleversent une partie de la population. La guerre du Vietnam est fortement rejetée par une jeunesse universitaire subvertie par les mouvements idéalistes hérités de la contre-culture hippie. Peace and love… And drugs !

 

Il apparaît que l’origine de l’intrigue se situe cette année-là, à Chicago, lors de la Convention nationale démocrate, un événement marqué par des confrontations extrêmement brutales entre la jeunesse contestataire et les forces de l’ordre. Que s’est-il vraiment passé au rez-de-chaussée du Conrad Hilton Hotel ? Lectrice, lecteur, il te faudra un peu de patience, que dis-je, beaucoup de patience, pour l’apprendre et pour tout comprendre. Accroche-toi ! Récompense garantie à la fin, car Les fantômes du vieux pays, en dépit de quelques longueurs, est un roman d’un souffle stupéfiant, qui m’a tenu en haleine jusqu’à la découverte des dernières pièces du puzzle magistral concocté par Nathan Hill.

 

De qui le livre raconte-t-il l’histoire, Samuel ou Faye ? Les générations avancent avec les mêmes illusions, celle des geeks addicts aux univers virtuels, succédant à celle des hippies et leurs paradis artificiels. La vraie vie ne permet pas de retour à zéro, mais elle peut offrir de nouvelles chances. Le fils découvrira que le parcours de sa mère aura façonné le sien, celui d’un homme resté tardivement un petit garçon en recherche de reconnaissance, un homme ayant souvent pris de mauvaises décisions, un homme qui apprendra qu’il faut saisir sa chance avec la femme qu’on aime… Sans oublier que des fantômes légendaires diffusent parfois une influence impalpable… Et que des êtres de chair et de sang peuvent fausser les donnes, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

 

Le récit est de forme classique, avec l’auteur dans le rôle du narrateur, à l’exception d’un long chapitre où il interpelle directement Samuel – à moins que ce ne soit Samuel, en pleine mue, qui dialogue avec lui-même –. Tout au long du roman, l’auteur ne se prive pas de commenter, avec une sorte d’humour nihiliste désabusé, les dérives des politiques, des médias, de l’édition. Et celles des contre-cultures, hippies et geeks… A la fin, ce sont toujours les cyniques qui s’en tirent le mieux !

 

J’avais dit que j’y reviendrais. Trop ambitieux, ce premier roman très documenté auquel son auteur a consacré dix ans de travail ? Entre autres, ne pouvait-il faire l’économie de longs détails sur des personnages carrément secondaires, même s’il s’agit d’analyses très fines – et drôles ! – sur les mécanismes qui conduisent ces personnages à des perversions mentales ou comportementales ? A chacun de donner son avis.

 

Pour ma part, une fois le livre terminé, s’est effacé l’agacement ressenti lors de certaines longueurs. Ne reste que le souvenir de péripéties palpitantes, de rebondissements décoiffants, de dialogues hilarants et de relectures historiques passionnantes.

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

 

Vous pouvez acheter directement ce livre en cliquant sur ce lien

commentaires