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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Bien-être, de Nathan Hill

Publié le 29 Octobre 2024 par Alain Schmoll in Littérature, chroniques littéraires, lecture, romans

Octobre 2024,

Quoi de plus banal que les introspections tourmentées d’un couple, après vingt ans d’une vie commune enclenchée à la faveur d’un coup de foudre au sortir de l’adolescence ? L’audace et le talent de Nathan Hill l’auront amené à insérer cette contingence conjugale dans une vasque fresque romanesque typiquement américaine, s’étendant sur plusieurs décennies, enchâssant des scènes saisissantes, souvent drôles, parfois tragiques, où des personnages d’horizons divers sont en butte aux exigences de l’air du temps.

Sache, lectrice, lecteur, que les sept cents pages de Bien-être m’ont absorbé et captivé au même titre que Les fantômes du vieux pays, le premier roman de l’auteur, que j’avais lu et critiqué il y a sept ans.

Le couple, c’est Elizabeth et Jack. Leur rencontre joliment romantique au cours des nineties n’est pas si fortuite que chacun pense que l’autre le pense. Etudiants à Chicago, sans un rond, venant chacun de quitter une famille toxique et sclérosante, ils se plaisent, et tout cela leur donne le sentiment d’être faits l’un pour l’autre. Ils s’installent ensemble, avec la conviction, peut-être même la certitude que c’est pour la vie. La certitude ? … Hum ! Ils se rendront compte vingt ans plus tard.

Autour d’eux, rien n’est plus comme avant. Les attentats du 11 septembre ont changé les Américains. Le www balbutiant est devenu le web 2.0 ; on commence à parler d’algorithmes, de fake news, de complotisme, de Big Pharma. Les quartiers bohèmes de Chicago sont en pleine gentrification, sous l’impulsion de visionnaires illuminés et d’investisseurs retors. Les amis ont évolué ; toujours prêts naguère à fustiger et à narguer la société de consommation, ils sont désormais de jeunes bourgeois attentifs à leurs rémunérations, soucieux de leurs cadres de vie, parce que l’arrivée d’enfants a amené de nouvelles priorités. Nos deux héros ont dû se mettre au diapason, faire à leur tour un enfant et envisager une maison pour la vie… mais sur quel schéma familial la concevoir ?

Ils étaient issus de mondes différents. Les parents de Jack exploitaient une modeste ferme dans les plaines du Middle West. Ceux d’Elizabeth, riches et peu scrupuleux, fréquentaient les grandes familles de l’East Coast. Des figures pas franchement sympathiques, mais prégnantes et difficiles à occulter.

A son entrée à l’Université, Jack avait fait preuve de sens de l’opportunité. Puisant dans les poubelles des labos et dans le sabir culturel branché, il s’était fait reconnaître comme « photographe sans appareil photo » ; de quoi se persuader d’être un artiste ! Il se contente depuis de préserver cette image d’artiste, un statut d’enseignant vacataire… et son ménage. Car pouvait-il espérer mieux ?

Plus brillante, Elizabeth dirige un laboratoire scientifique de tests de médicaments. Elle étalonne leur efficacité au regard de celle de placebos. Elle observe et réfléchit. Qu’est-ce qui compte le plus, la molécule ou l’idée qu’on s’en fait ? Et si les placebos avaient un marché ? Et s’ils avaient des débouchés hors de la médecine… en matière de séduction, notamment ? De quoi s’emballer et remettre en question un quotidien plutôt monotone, quand le petit Toby ne l’électrise pas.

La ligne narrative de Bien-être est globalement chronologique, mais à l’intérieur de sa douzaine de chapitres — tous dotés d’un titre qui fait sens —, l’auteur joue avec le temps passé et celui qui passe, enjambant en allers-retours les années ayant conduit Elizabeth et Jack de leur jeunesse à leur maturité, sans oublier des incursions dans leur enfance.

Nathan Hill s’est installé dans le tréfonds de l’âme de ses personnages et il dévoile avec méticulosité leurs pensées et leurs réactions face aux contraintes et aux tendances du moment. Les réflexions sont profondes, les critiques sont pertinentes, les détails sont fouillés, les anecdotes sont drôles. Le texte est porté par une écriture analytique intense, qui t’exigera de l’attention, lectrice, lecteur, mais qui pourra te détendre par sa tonalité presque orale et par ses effets de style amusants, comme l’insertion de jargon scientifique ou de novlangue tendance, rythmée par des interjections courantes du langage « mal-élevé » de tous les jours. Un ouvrage puissant et réjouissant.

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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