Septembre 2024,
Avec Cabane, publié trois ans après son enthousiasmant Le voyant d’Etampes, Abel Quentin confirme qu’il possède les qualités qui font les grands romanciers : imagination débridée, impertinence critique, variation du rythme, maîtrise du langage, impact narratif, tout cela assaisonné d’une larme d’humour.
Le noyau autour duquel gravite le livre est le Rapport 21, une étude scientifique datant de 1972, simulant l’évolution du système-monde dans les décennies à venir, grâce au traitement informatique de multiples données économiques, environnementales et démographiques. D’après une histoire vraie ! Le Rapport 21 du roman est la reproduction presque à l’identique du célèbre Rapport Meadows, commandité à l’époque par le Club de Rome, un think tank précurseur de la notion de développement durable. La conclusion était terrifiante : dans la logique des données prises en compte, les simulations prévoyaient, pour le milieu du XXIe siècle, un effondrement des conditions de vie de la population.
Malgré son aspect documentaire historique, Cabane est un roman. Les quatre auteurs du Rapport 21 sont vaguement inspirés de la réalité, mais ce sont en fait des personnages fictifs, imaginés par Abel Quentin. Au temps du Rapport 21, ils étaient de jeunes chercheurs, des universitaires n’ayant pas beaucoup plus de vingt ans. Aujourd’hui, ceux qui vivent encore sont septuagénaires.
A l’achèvement de leurs travaux, ils étaient restés incrédules devant les chiffres et les courbes crachées par leur énorme et surpuissant ordinateur IBM. Après avoir tenté d’optimiser quelques hypothèses, ils avaient dû se rendre à l’évidence : sans une remise en cause massive et immédiate du modèle mondial de production et de consommation, la civilisation allait dans le mur. Pas étonnant que la publication des résultats ait suscité inquiétude, déni, scepticisme ; sans oublier une ferme et claire fin de non-recevoir de la part des milieux industriels et financiers.
L’aspect romanesque de Cabane est consacré aux destinées de ces quatre chercheurs — un couple d’Américains, un Français, un Norvégien — dans les années qui suivent la publication du Rapport 21, jusqu’à aujourd’hui.
L’Américaine Mildred Dundee avait imposé sa forte personnalité aux trois autres. Clairvoyante sur l’impact de leurs travaux, elle les assumera elle-même, endossant les oripeaux de militante écologiste, volant (!) de congrès en congrès pour argumenter, en compagnie de son mari, Eugene, plus enclin, pour sa part, à se refermer sur son univers de scientifique. Déçus, ils finiront tous deux par renoncer au combat et se replieront sur des projets personnels vertueux. Trouveront-ils ainsi leur salut ?
Le Français Paul Quérillot est un polytechnicien pragmatique, lucide et cynique. Selon lui, aucune politique de décroissance ne pourra être mise en œuvre : les populations, riches ou pauvres, réclameront toujours davantage de confort et de consommation ; et aucune firme industrielle ne renoncera à développer de nouvelles technologies. Mieux vaut donc profiter du système, mettre en valeur son potentiel personnel, s’enrichir et jouir de la vie.
Reste le Norvégien Johannes Gudsonn, un authentique génie des maths, un être étrange et silencieux, plus à l’aise dans l’abstraction que dans le quotidien. Des quatre chercheurs, son parcours est le plus romanesque et il occupe la moitié des pages de Cabane, par le truchement d’un journaliste, Rudy Merlin, qui enquête sur lui. Retiré en ermite dans une cabane isolée sans confort, il disparaît… avant que Rudy le retrouve, prêchant en « soldat de l’invisible » dans des sphères nihilistes, complotistes, plus ou moins radicalisées. Selon lui, les hommes — producteurs, consommateurs, reproducteurs — commettent de multiples crimes involontaires et inconscients contre la nature et la civilisation. Il préconise donc un contrôle strict des naissances, en ajoutant : « … dans un premier temps ». Glaçant !
Après avoir lu les pages consacrées au Rapport 21, lectrice, lecteur, tu en trouveras peut-être les mises en garde plus pertinentes aujourd'hui qu'il y a cinquante ans. Tu es libre d’en tirer des conclusions personnelles. Mais Cabane est avant tout un roman passionnant, un magistral travail de conception psychologique des personnages, un texte écrit d’une plume experte, sur un ton détaché, parfois empreint de charge satirique, l’auteur jonglant habilement avec les narrateurs.
DIFFICILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT