Novembre 2023,
Né en 1942 à Benfica (Lisbonne), António Lobo Antunes a été médecin psychiatre avant de se consacrer à l’écriture. Il est considéré comme l’une des grandes plumes européennes actuelles. Ses admirateurs espèrent que le prix Nobel de littérature lui sera un jour attribué et ils parlent de lui avec une telle vénération, qu’il a bien fallu que j’ouvre un de ses livres. J’ai lu La dernière porte avant la nuit, son dernier roman, publié au Portugal en 2018, traduit en français l’année dernière.
On ne m’avait pas suffisamment mis en garde, l’exercice est difficile. L’intrigue est pourtant simple, très simple, inspirée de la littérature policière du genre série noire. Cinq individus se sont concertés pour tendre un guet-apens à un homme d’affaires, l’ont tué et ont fait disparaître son corps, le mobile étant de profiter de circonstances favorables pour s’approprier son patrimoine et se le répartir.
Si l’intrigue du roman est simple, très simple, son déploiement est complexe. Lobo Antunes ne recourt pas à la narration classique. Il se place dans la tête des personnages, qui, comme toi et moi, émettent à flot continu toutes sortes de réflexions et de pensées. Chacun des vingt-cinq chapitres est l’expression d’un monologue mental de l’un des cinq assassins. A plusieurs reprises et à tour de rôle, en une phrase unique déstructurée dont la lecture prend une bonne vingtaine de minutes, chacun ressasse le crime, tout en digressant de façon désordonnée sur ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il ressent, ce qu’il craint, ce qu’il espère, ce dont il souffre ou a souffert… sans oublier quelques fantasmes.
Ce concept de phrase unique, hachée par des réminiscences jetées à l’emporte-pièce, m’a d’abord dérouté. Puis je me suis laissé séduire par la touche impressionniste et mystérieuse des propos que les personnages se tiennent à eux-mêmes et qui se lisent avec fluidité. Je ne me suis pas attardé sur les paroles les plus obscures, car j’ai compris qu’elles seraient répétées, ressassées, peut-être clarifiées. J’escomptais en savoir plus dans les chapitres à venir. Mais finalement, c’est là où le bât blesse. Comme je l’ai dit, tout est très simple, trop simple. Les pièces de puzzle apportées au fil des chapitres m’ont paru insignifiantes et je n’en ai pas eu besoin pour me faire une idée de l’image globale.
Lectrice, lecteur, tu reconstitueras facilement l’intrigue et le rôle de chacun des assassins. Des pieds nickelés qui connaissaient leur victime depuis l’enfance. De pauvres types, mal remis de frustrations infantiles, traînant des complexes physiques, réduits à une masculinité minable. Ils essaient désespérément de conjurer leur crainte d’être arrêtés, s’accrochant à des commentaires répétés comme des mantras, tels que « sans corps, il n’y a pas de crime » ou « si personne ne se met à table il n’y aura aucun problème ». Mais ne t’attends pas à un scoop dans les dernières pages.
António Lobo Antunes s’enferme dans un parti littéraire qui s’inscrit dans la ligne de William Faulkner, d’Albert Cohen ou de Thomas Bernhard. Il va même plus loin qu’eux. Dans Le Bruit et la Fureur et Belle du Seigneur, des récits classiques s’intercalaient et redonnaient à la lecture une assise que l’on ne trouve pas dans La dernière porte avant la nuit.
Le travail de composition est sans aucun doute colossal. L’auteur ne manque pas d’insérer quelques passages poétiques joliment tournés, mais peu crédibles dans la bouche des cinq personnages. En ce qui concerne ceux-ci, d’ailleurs, j’ai regretté qu’il ne soit pas possible de les différencier clairement. Ils sont nommés en tête de chapitre, leurs souvenirs d’enfance diffèrent, mais ils s’expriment de la même façon, éprouvent des rancœurs semblables, partagent des fantasmes du même acabit. Peut-être une manière pour l’auteur d’évoquer l’absurdité de la condition et du destin de l’Homme.
Reste à découvrir qui, des cinq gugusses ou de l’auteur, a été le plus fasciné par la sœur de l’homme tué, ses bijoux d’adolescente et sa manie de marcher sur la pointe des pieds.
TRES DIFFICILE ooo J’AI AIME