Novembre 2023,
Wole Soyinka est un dramaturge, poète et militant politique nigérian. Il a été le premier écrivain africain à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1986. A l’approche de ses quatre-vingt-dix ans paraît son roman Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde.
L’idée lui en était venue après la conclusion d’une enquête classant le Nigeria parmi les nations comptant la plus forte proportion d’habitants se déclarant heureux. Très critique des mœurs politiques de son pays, Wole Soyinka s’était demandé si seuls les gens affichant leur bonheur avaient eu droit à la parole. De quoi s’interroger sur les pratiques locales.
Sixième pays le plus peuplé du monde (220 millions d’habitants !), le Nigeria dispose de richesses naturelles importantes, dont du pétrole en abondance. Plusieurs secteurs de l’industrie et des services sont florissants. Malgré cette prospérité, près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté extrême. En cause, le niveau hallucinant d’une corruption endémique incontrôlable. Après plusieurs coups d’Etat ayant fait alterner des dictatures et des régimes d’apparence démocratique, le Nigeria est aujourd’hui une République fédérale, constituée d’une quarantaine d’états, qui sont autant de seigneuries largement dotées pour assurer le bonheur des gouverneurs et de leurs amis. « Les milliards alloués s’évaporaient continuellement, pour être réinjectés chaque année au moment du budget, sans oublier les enveloppes complémentaires ».
Ces privilèges sont difficiles à imaginer sans diffusion d’informations très contrôlées, vraies ou fausses, qu’il vaut mieux ne pas contester trop ostensiblement si l’on tient à sa peau. Car le pays brille aussi par l’insécurité : rivalités ethniques, règlements de comptes mafieux, élimination de concurrents, conflits religieux, sans omettre les massacres commis par la secte islamiste Boko Haram, qui trucide, éventre, décapite, mutile, viole, ce qui n’étonnera personne.
Dans ce Nigeria chaotique effrayant, le roman de Wole Soyinka met en scène de nombreux personnages, apparaissant sous différentes identités ou titres. Parmi les plus importants, Papa Davina, un prédicateur aspirant au statut de prophète et Godfrey Danfrere, le Premier ministre, aussi appelé Sir Goddie. Ils s’entendent comme larrons en foire. Comme le dit celui-ci à celui-là : « Vous c’est la face spirituelle ; moi c’est la politique. Le point de rencontre, c’est le business ». En l’occurrence, un trafic très lucratif d’organes, de membres amputés et de chair humaine en tous genres.
Deux autres personnages, mieux intentionnés, enquêtent sur ces pratiques et bousculent l’ordre établi : un ingénieur, Duyole Pitan-Payne, et un chirurgien, Kighare Menka. Une démarche à haut risque !
En dehors de la dénonciation d’un complot sordide, j’ai trouvé l’intrigue carrément loufoque. J’ai eu du mal à trouver dans le livre, qualifié de roman, la narration d’une histoire cohérente. Il me paraît plutôt s’apparenter à un recueil de chroniques — après tout, c’est son titre ! —, à une série d’anecdotes polémiques sur la corruption des pratiques et la perversion des esprits dans le Nigeria fictif ou non fictif dépeint par Wole Soyinka.
L’écriture, élégante, est très bavarde. L’auteur et son traducteur maîtrisent parfaitement toutes les possibilités syntaxiques de leur langue. Wole Soyinka explore les moindres occasions de digressions, autant de chemins de traverse qui contribuent à rendre le texte hermétique, d’autant plus que ses phrases sont interminables, qu’il utilise de nombreuses métaphores difficiles à décoder et qu’il pratique l’humour au deuxième, au troisième, voire au cinquième degré.
Pour conclure : un long, très long exercice de style — plus de cinq cents pages —, éclairé par quelques anecdotes croustillantes.
TRES DIFFICILE oo J’AI AIME… UN PEU