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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

L'homme peuplé, de Franck Bouysse

Publié le 5 Octobre 2022 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Octobre 2022, 

En peinture, on connaît plusieurs interprétations de « L’artiste et son modèle ». En littérature, on pourrait en exprimer l’idée par la formule « Attention, un roman peut en cacher un autre ».

Franck Bouysse est l’un des très grands écrivains français actuels. Il puise la matière première de ses romans dans le terroir de sa Corrèze. Dans L’homme peuplé, Harry, un auteur en panne d’inspiration après un premier livre à succès, a décidé, pour se ressourcer, de quitter sa grande ville. Il a acheté une vieille ferme, éloignée de tout, en rase campagne. La maison est ancienne, délabrée, ses ossatures gémissent, surtout la nuit. Harry s’installe en plein hiver. Le ciel est plombé, la neige n’en finit pas de tomber, le brouillard gomme les paysages ; des bruits étranges fusent, d’on ne sait où. Dans cet univers inhospitalier et nouveau pour lui, Harry cherche ses marques… et son inspiration.

Au village le plus proche, une jeune femme, jolie, tient l’unique commerce des environs. Harry entre en contact. Il s’interroge sur un voisin invisible, dont on prétend là-bas qu’il est un peu sourcier, un peu sorcier… Ce voisin, est-ce le dénommé Caleb, que l’auteur nous présente dès le premier chapitre ? Un éleveur solitaire, taiseux, fantomatique ; un homme bridé par l’emprise de sa mère, Sarah, aujourd’hui morte et enterrée, mais toujours présente par l’esprit !… Caleb, Sarah : des prénoms peu courants chez les paysans du terroir. Mais appartiennent-ils encore au monde de Franck, ou font-ils déjà partie de celui de Harry ?

Les chapitres alternent le quotidien balbutiant de Harry et les divagations paranoïaques de Caleb. Il finira par apparaître que ce dernier n’était pas sorti indemne, jadis, d’une situation qui avait mal tourné. A ce stade du livre, la narration aura pris l'allure d’un thriller horrifiant… C’est qu’il se passe des choses terribles dans nos campagnes, des événements que chacun raconte par bribes à sa manière, peut-être même des crimes restés impunis ! La neige, le brouillard, le vent effacent tout ; enfin, c’est ce que voudraient les puissants. Il est malvenu de chercher à en savoir plus…

Ni les silences hostiles ni les secrets impénétrables n’entravent la démarche de Harry l’écrivain. Ils lui valent des angoisses, des cauchemars, des hallucinations, mais ils l’amènent à libérer son esprit, à imaginer l’inimaginable. Sa vocation est d’observer, d’écouter, d’engranger des dires, d’enregistrer ses émotions et de tout noter soigneusement noir sur blanc. Le moment venu — seulement le moment venu ! — il pourra lier et ordonner le tout dans une histoire peuplée de souvenirs, de rêves, de regrets, de haines, de fantasmes et de personnages… vivants ou morts.

La lecture de L’homme peuplé est difficile, déroutante. Les premiers chapitres, très immobiles et pointillistes, sont un éloge d’une lenteur évocatrice de la vie de tous les jours sur les territoires reculés. Le rythme s’accélère soudain, devient même haletant, angoissant, avant de s’arrêter net… Déboussolé dans un premier temps, j’ai alors compris qu’il me fallait abandonner des interprétations en trompe-l’œil et replacer le tout dans un roman en cours de conception.

La construction romanesque de L’homme peuplé est époustouflante, dès lors qu’on l’a perçue. Il convient de relire une deuxième fois le livre, au moins en partie, pour en saisir la subtilité, indécelable au premier abord. Les indices sont pourtant là ; les jeux sur les prénoms aussi. Mais on ne les entrevoit qu’après coup.

La plume de Franck Bouysse est très imagée, mystique, lyrique, ce qui la rend par endroit hermétique. Elle s’inspire de la terre, du ciel, du vol des oiseaux. N’en fait-il pas parfois un peu trop ? Quand la recherche de la métaphore percutante devient trop visible, l’on en arrive à douter de la modestie de l’auteur. Il m’est arrivé d’éprouver de l’agacement, mais dans son ensemble, l’écriture est superbe ; j’avoue m’être laissé très agréablement dériver au fil des lignes et des pages.

Et plus je reviens sur ce roman, plus je trouve exceptionnelle la performance qu’il constitue !

TRES DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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