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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Madame Hayat, d'Ahmet Altan

Publié le 19 Août 2022 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Août 2022,

Madame Hayat m’a rappelé la teneur et le style de romans du XIXe siècle, ceux dans lesquels Stendhal, Balzac ou Flaubert racontaient les aventures d’un jeune homme qui prenait son indépendance et structurait son passage à l’état d’adulte. A leur manière, Julien, Eugène et Frédéric expérimentaient des liaisons amoureuses, prenaient conscience de l’environnement social et politique dans lequel les circonstances les avaient propulsés, et affinaient leurs vocations personnelles. Nous les avions suivis au même âge qu’eux, leurs parcours nous interpellaient.

Le temps a passé, tant pour moi que pour l’auteur de Madame Hayat, Ahmet Altan, qui a presque mon âge. Drôle d’effet, que de retrouver un tel parcours initiatique dans son roman! Le narrateur, Fazil, est un jeune étudiant en lettres. Sa famille, aisée, vient d’être brutalement ruinée. Il est plongé dans l’univers précaire des étudiants isolés et fauchés, et il fait ses premiers pas dans une société à la fois flamboyante et inquiétante, où l’on se méfie des intellectuels et de ceux qui aspirent à le devenir.

Aucun nom de lieu n’est cité. Les événements racontés par Fazil se déroulent dans une grande ville universitaire d’un pays qui ressemble à la Turquie. Un régime autoritaire, corrompu, où l’arbitraire règne. Mieux vaut ne pas s’exposer aux répressions policières. En même temps, des groupes de barbus sillonnent la ville, armés de bâtons, afin de détruire les lieux de divertissement et de punir leurs adeptes. Bondée et joyeuse au début de la narration, la rue se vide peu à peu, pour terminer déserte et muette.

Sur le tournage d’un show télévisé quotidien qui l’a recruté comme figurant, Fazil rencontre deux femmes très différentes, dont il tombe amoureux. Une tranche de vie, pendant laquelle il mène ses deux liaisons en parallèle, faisant en sorte que chacune ignore l’autre. Voilà qui est délicieusement amoral. Ne sera-t-il pas finalement contraint de choisir ? Mais laquelle choisir ?

L’une, madame Hayat, est beaucoup plus âgée que lui. Elle symbolise la femme orientale traditionnelle : plantureuse, coquette, épicurienne, charnelle, mystérieuse. Insensible à la philosophie et à la littérature, qui sont les sujets de prédilection de Fazil, madame Hayat bâtit sa culture personnelle en regardant des documentaires à la télévision. Elle fait découvrir à son jeune amant les plaisirs simples de la vie, à déguster tendrement au quotidien, sans se préoccuper du lendemain.

L’autre femme, Sila, est jeune, belle, élégante. Elle est le double féminin de Fazil. Issue d’une grande famille qui vient d’être spoliée de tous ses biens en guise de représailles politiques, elle est étudiante en lettres et passionnée de littérature. Plus pragmatique que Fazil, elle est bien résolue à ne pas se laisser enchaîner et à construire son avenir, en exil s’il le faut, sans Fazil s’il le faut.

S’adapter ou résister, tel est en fait le dilemme personnel que Fazil devra résoudre… à moins qu’il ne se résolve tout seul ! Nous avons tous connu cela.

L’intrigue de Madame Hayat est tout à fait captivante et le roman rend hommage à l’univers miraculeux de la littérature : l’unique univers où l’on puisse contempler des décors mirobolants, participer à des aventures extraordinaires, rencontrer des personnages surprenants — et justement, ils sont nombreux dans l’ouvrage —. Grâce à la littérature, l’écrivain traverse les murs de pierre ou de béton… Il faut savoir que Madame Hayat a été écrit en prison…

Ahmet Altan est un intellectuel, journaliste et écrivain turc, aujourd’hui septuagénaire. Accusé d’avoir « participé de façon subliminale » au coup d’État manqué de 2016 contre le régime du Président Erdogan, il a été emprisonné, condamné à la perpétuité, puis relaxé et finalement libéré cinq ans plus tard, après maintes péripéties.

Une lecture enluminée par une prose magnifique, poétique, légère, par des descriptions et des métaphores sublimes, que l’on doit à l’auteur et aussi à son traducteur, Julien Lapeyre de Cabannes.

GLOBALEMENT SIMPLE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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