Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Ton absence n'est que ténèbres, de Jon Kalman Stefansson

Publié le 2 Mars 2022 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mars 2022, 

Prix du meilleur livre étranger 2022, Ton absence n’est que ténèbres est l’œuvre d’un romancier et poète islandais du nom de Jon Kalman Stefansson. Les personnages sont islandais, les péripéties sont ancrées en Islande, dans les fjords de l’Ouest, « à l’extrême limite du monde habitable », où vivent quelques familles d’éleveurs de moutons… qui ne font pas qu’élever des moutons. L’Islande est un pays étonnant, le niveau de vie y est élevé, la population est ouverte aux cultures contemporaines, tout en restant attachée à ses traditions, comme celle de la littérature médiévale des sagas.

Et justement, sur six cents pages et cent vingt ans, le livre se révèle être la saga d’une famille de la région. En début de lignée, Gudridur, une paysanne très modeste qui fit preuve, à la toute fin du XIXe siècle, d’une audace intellectuelle surprenante. A l’autre extrémité, Eirikur, un guitariste professionnel de quarante ans, féru de pop music ; un homme tourmenté qui devra se reconstruire lorsqu’il aura découvert les témoignages, lettres et photos laissées par ses ascendants. Entre les deux, une série de personnages hauts en couleur, des parents, des voisins, des amis. Ils vivent, aiment, puis meurent, sombrant dans les ténèbres de l’oubli ou se perpétuant dans la lumière des mémoires. Les épreuves traversées par ces femmes et ces hommes, pour la plupart en couple, sont étonnantes, émouvantes, tragiques. Elles sont passionnantes à lire.

On s’interroge sur le narrateur amnésique. Qui est-il ? J’ai mon idée : il est l’Ecrivain, avec un grand E, l’homme qui n’a pas de souvenirs et qui n’en a pas besoin, car son rôle est de donner vie à des personnages et à leurs aventures. Installé dans un « non-lieu » à l’instar d’un metteur en scène isolé dans sa loge en marge d’un tournage, il a pour interlocuteur sa conscience, à moins que ce ne soit un émissaire du Diable, signataire d’un pacte. Il lui faut aussi quelques bouteilles de whisky tourbé, mais attention aux abus ! Le narrateur impose sa présence dans une fiction ralentie par le temps de l’écriture, tout en vivant de plain-pied dans le monde réel. S’il n’y prend garde, il pourrait lui arriver d’insérer une femme aimée dans le roman. De quoi rendre la lecture complexe ! J.K. Stefansson assume : son livre, tout comme la vie, comporte des zones d’ombre. Au lecteur d’en savourer la poésie.

Et si le héros de l’histoire était… le lombric ! Oui, vous avez bien compris, le lombric, ce petit ver de terre qui remue les sols pour les oxygéner, le « poète aveugle de la glèbe », selon les mots de l’auteur. Sans lui et sans Gudridur, les personnages du roman n’auraient pas existé. Je n’en dirai pas plus.

Le livre se présente comme un assemblage d’épisodes, transcrits par l’Ecrivain sur des feuilles volantes, tel qu’ils lui seraient venus à l’esprit, dans un désordre temporel plus ordonné qu’on ne le pense. Il les aurait annotés d’un titre ou d’une épigraphe, mais n’aurait pas corrigé les textes, assumant redites, non-dits et contredits. Parmi les thèmes qui reviennent en leitmotiv, l’amour : l’amour fidèle, l’amour bienveillant, l’amour pour toujours, mais aussi l’amour interdit, l’amour irrésistible, l’amour ravageur… Angoisse face aux choix qui se présentent, cruels, poignants…

Autre thème omniprésent : la vie, la mort, la vie qui continue après la mort, comme si l’on n’avait jamais existé. Boire pour ne pas y penser ? Non, c’est l’écriture qui permet d’effacer l’oubli, de garder les morts parmi les vivants, afin qu’une lueur perdure dans les ténèbres. La musique aussi peut servir d’appui. Ton absence n’est que ténèbres s’accompagne d’une playlist de mélodies très mélancoliques, la « compilation de la Camarde », associant parmi bien d’autres, Elvis, Dylan, les Beatles et Springsteen à Erik Satie, Miles Davis et Ella Fitzgerald.

En dépit de ses sombres évocations, Ton absence n’est que ténèbres est un très beau roman, offrant des moments de lecture savoureux, dès lors qu’on ne se laisse pas désorienter par la chronologie des événements. Pour détendre l’atmosphère – tandis que l’auteur nous accorde une happy end –, je signale une dernière difficulté, un peu folklorique : les prénoms islandais sont vraiment compliqués à mémoriser ; quant aux patronymes et aux noms de villages, ils sont carrément impossibles à prononcer, d’autant plus que, je l’ignorais, l’alphabet islandais comporte des lettres en plus des nôtres.

TRES DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

Commenter cet article