Décembre 2021,
Journaliste à Paris Match, écrivain salué par plusieurs prix littéraires, Gilles Martin-Chauffier est un observateur attentif de la comédie humaine contemporaine. Les élites de notre société ont, par leurs intrigues, inspiré la plupart de ses romans. On y découvre des proches du pouvoir – politiques, journalistes, magistrats – qui prétendent défendre la morale des institutions, tout en y dérogeant sans réserve à titre personnel, plus préoccupés par leurs ambitions et leurs intérêts que par le bien public.
Ces travers républicains ne datent pas d’hier. Dans Le dernier Tribun, Martin-Chauffier déplace son objectif critique vers la Rome de Jules César, une façon de parler, car ce dernier n’apparaîtra qu’à la toute fin de l’ouvrage, au moment où, après avoir franchi le Rubicon, il sera adoubé par le Sénat en tant que Cesar Imperator. Pendant la majeure partie du livre, César est en Gaule, où il fait la guerre, amassant gloire et fortune, laissant le pouvoir à ses partenaires du triumvirat, Crassus et Pompée. Cette Rome est aussi celle de Cicéron, l’avocat, homme politique et écrivain bien connu des latinistes.
L’auteur a inséré sa fiction dans un épisode authentique de l’histoire de Rome, marqué par la rivalité féroce de deux hommes qui se haïssent. A ma droite, Cicéron, défenseur officiel des lois et des institutions de la République, et en même temps, avocat de ceux qui les enfreignent, pour peu qu’ils soient riches ou puissants. A ma gauche, Publius Claudius Pulcher, issu d’une des plus anciennes familles patriciennes, qui a démocratisé son nom en Clodius, afin de se faire élire tribun de la plèbe.
Pour la narration des péripéties, l’auteur cède la parole à Metaxas, un Grec, professeur de philosophie, présenté comme un ami d’enfance de Claudius. Metaxas est sollicité pour venir à Rome préparer et étayer les prises de paroles de Claudius/Clodius, dans les joutes oratoires qui vont l’opposer à Cicéron. Martin-Chauffier a clairement choisi son camp. Claudius est un homme séduisant, raffiné, généreux, un play-boy aux inclinations démocrates, tenté par la vague de l’activisme. Cicéron est un homme vieillissant au physique rabougri, un opportuniste vaniteux, cupide et lâche, un conservateur toujours prêt à sacrifier ses convictions. Le combat sera implacable, la République n’y survivra pas.
Rome est alors au sommet de son emprise sur le monde méditerranéen. Pour les riches Romains, le passé fameux d’Athènes reste un symbole de finesse intellectuelle et d’élégance harmonique, mais la Grèce n’est plus qu’une colonie soumise. Metaxas n’a pas d’autre choix que de répondre à l’appel de Claudius et de rejoindre Rome. La découverte de la ville le fascinera : villas somptueuses et taudis pouilleux, vertus et turpitudes, flamboyance et décadence.
Metaxas croise des peoples de l’époque. Parmi ceux qui n’ont pas encore été cités, le poète Catulle, l’officier Marc-Antoine, la future reine d’Egypte Cléopâtre. A leur contact, le frugal Metaxas ne risque-t-il pas d’être perverti par les avantages de l’opulence, par les trompettes de la renommée ? Dans les riches milieux patriciens, les femmes mariées ou ayant été mariées – la plupart ne le sont plus ! – celles qu’on appelle les matrones jouent un rôle essentiel. Parmi elles, Diana Metalla, une femme d’un certain âge, à l’apparence et à la personnalité impressionnantes. Metaxas restera-t-il fidèle à Tchoumi, sa douce compagne, qui l’attend patiemment dans leur petite maison, sur la côte de la mer Egée ?
Le dernier tribun est très agréable à lire. L’auteur mêle avec talent chronique historique et fiction romanesque. La plume est légère, fluide, facile, au point de s’égarer parfois dans des longueurs bavardes et inutiles. Un regret : il est à plusieurs reprises fait état de l’à-propos et de l’humour des textes écrits par Metaxas, mais aucun contenu concret n’est dévoilé.
Dans Le dernier tribun comme dans La Nuit des orateurs (Hédi Kaddour), dont les événements se situent cent cinquante ans plus tard, l’étendue des inégalités, la violence des pratiques et la dépravation des mœurs romaines frappent par leur démesure. Le basculement de la République vers l’Empire n’aura pas d’effet. Pas (encore) de quoi mettre en péril la puissance de Rome.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP