Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021

Publié le 29 Novembre 2021 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Novembre 2021, 

Consacrée par le plus convoité des prix littéraires, cette œuvre d’un jeune écrivain sénégalais nommé Mohamed Mbougar Sarr suscitera autant de réactions d’incompréhension que d’avis enthousiastes. Nombre de lecteurs ne franchiront pas les cent premières pages. Bien qu’habitué à chroniquer chaque année le Goncourt, je m’y suis moi-même plongé avec un peu d’appréhension, imaginant pour je ne sais quelle raison un livre cérébral, trop intelligent pour moi.

Dans La plus secrète mémoire des hommes, le narrateur, Diégane, est un double de l’auteur. Il est sur la trace d’un écrivain compatriote, T.C. Elimane, tombé dans l’oubli après la publication en France, en 1938, d’un ouvrage mythique introuvable, Le Labyrinthe de l’inhumain. Trois générations les séparent et ils ne se rencontreront pas. Diégane reconstituera les origines et le parcours de son devancier, grâce aux confidences d’une écrivaine plus âgée. Elle-même ne connaît Elimane que par ce que lui ont rapporté une poétesse haïtienne et une chroniqueuse française, croisées des années plus tôt. On dispose aussi des témoignages d’une danseuse nue, d’un couple d’éditeurs juifs, d’une mère sombrant dans la démence et d’un voyant nonagénaire non-voyant…

… Vous me suivez ? Il est vrai que la trame est compliquée et ce n’est rien à côté du texte. Sa lecture impose un effort d’attention soutenu. Sans trop s’embarrasser des transitions, MMS s’est fait un malin plaisir d’enchâsser des dialogues et des récits datant d’époques différentes à Paris, Amsterdam, Buenos Aires ou Dakar.

Une fois cette complexité surmontée, l’écriture est sublime. MMS sait décocher des mots inattendus, balancer des métaphores éblouissantes, tout en livrant une prose limpide, légère, accessible, dont les lignes et les pages défilent sans aspérités. Le charme de la lecture est si captivant qu’on en perd par moment le fil général de la narration, comme on peut s’égarer, lors d’une belle promenade, quand nos sens nous font oublier le chemin.

Sous son nimbe poétique, La plus secrète mémoire des hommes est un roman, l’histoire d’un personnage de fiction, inspiré d’une histoire vraie. C’est aussi la réflexion d’un écrivain sur les écrivains, sur l’acte d’écrire, sur l’impératif d’un exil réel ou symbolique pour l’accomplir. C’est en même temps la quête d’un jeune écrivain africain francophone, qui s’interroge sur le dénominateur commun à ces trois qualificatifs : écrivain, africain, francophone.

Dans la France de 1938, la plupart des chroniqueurs littéraires trouvaient impensable qu’un Africain fût l’auteur d’un chef-d’œuvre, sauf à avoir pillé des textes existants. Aujourd’hui soucieux de s'afficher dans l’air du temps, ils le portent d’office au pinacle médiatique. En Afrique, ce même écrivain francophone fera la fierté des siens… ou sera montré du doigt, pour avoir choisi de réussir selon des critères occidentaux, ceux de l’ancienne puissance coloniale. Question : le texte de Mohamed Mbougar Sarr est-il un plaidoyer pour la littérature universelle, ou recèle-t-il une revendication qui en réserverait l’accessibilité aux seuls lecteurs africains ? Autrement dit, ma chronique est-elle légitime ?

« Un grand livre ne parle jamais que de rien, dit l’un des personnages, et pourtant tout y est ». Tout ! MMS a mis tout ce qu’il a pu dans La plus secrète mémoire des hommes ! Notamment un long monologue obsessionnel à la Faulkner ou à la Bernhard, des pages qui surprennent, mais en l’occurrence légitimes. On y trouve aussi sur un strapontin les écrivains Gombrowicz et Sabato, et on se demande ce qu’ils viennent y faire. Même remarque pour l’officier nazi amateur de littérature ou pour la malédiction à la Rascar Capac. Des accessoires qui prennent trop de place ou pas assez.

La plus secrète mémoire des hommes est un livre riche, envoutant. Sa profusion, son questionnement, son lyrisme avaient de quoi séduire les jurés. C’est un livre exceptionnel – au sens d’exception –, mais il reste imparfait. Le risque est pourtant qu’il ait absorbé tout le potentiel littéraire de l’auteur. Son inspiration est-elle renouvelable ou est-il déjà condamné à ne plus écrire, comme Elimane avant lui ?

TRES DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

Commenter cet article
L
Juste. Je partage à 100% ton point de vue.
Répondre
Z
Nous arrivons à la même conclusion
Répondre