Octobre 2021,
Claire Berest doit sa notoriété d’écrivaine à des romans biographiques très réussis, dont l’un – Gabriële – avait été écrit conjointement avec sa sœur Anne. Son dernier livre, Artifices, est un roman pur jus, une fiction. C’est même un roman qui se donne l’allure d’un polar. Des faits apparemment inexplicables s’y produisent, déclenchant d’étranges réactions chez les personnages. Et toi, lectrice, lecteur, tu t’y laisseras prendre, tu voudras comprendre, tu scruteras chaque indice et du coup, tu enfileras les pages et les chapitres avec une frénésie gourmande. Le livre n’est pas vraiment un polar, mais en matière d’artifices, l’auteure sait y faire.
A première vue, les personnages ont l’air de ressembler à tout le monde, mais leur idiosyncrasie s’affiche nettement au fil des chapitres. En numéro un, Abel Bac, un drôle de nom ! – mais qui oserait prétendre qu’on ne choisit pas son nom ? – Dans l’exercice de son métier d’officier de police judiciaire, c’est un homme consciencieux jusqu’à l’insignifiance. Dans sa vie privée de célibataire endurci, c’est un homme solitaire et taiseux, qui flirte avec la marginalité. Il est sujet à des cauchemars, à des angoisses, à des troubles obsessionnels compulsifs, des tocs qui ont redoublé depuis qu’il a été suspendu de ses fonctions sans qu’il sache pourquoi…
Deux ou trois femmes entourent Abel – sont-elles deux, sont-elles trois ? – et semblent lui porter intérêt, voire plus s’il est question d’affinités. Il y a Elsa, une voisine invasive un peu foldingue, il y a Camille, une collègue, qui, à l’inverse, prend tout très au sérieux. Et puis dans l’ombre s’active une autre femme, une artiste devenue archicélèbre sous le pseudonyme de Mila et dont personne ne connaît le vrai nom ni le visage. Une spécialiste du happening, dont les performances laissent des traces et suscitent des témoignages qui s’arrachent à prix d’or chez les collectionneurs d’art très contemporain.
Et justement, voilà que trois événements spectaculaires se produisent mystérieusement dans trois musées parisiens. Au ministère, on est dans ses petits souliers ; à la PJ, on enquête, tandis que la presse et le public commentent. La paternité (je devrais dire la maternité) du triptyque ne fait aucun doute, Mila la revendique dans une déclaration officielle. Mais quel en est le sens et à qui s’adresse-t-elle ?
Au fil des chapitres et des clés que l’auteure daigne te révéler au compte-gouttes, lectrice, lecteur, tu commenceras à cerner les enchaînements de causes à effets qu’elle a imaginés. Cette imagination étant sans limites, tu pourras t’interroger sur la vraisemblance des péripéties, mais peu importe. Les personnages principaux sont vraiment déjantés et leurs délires peuvent s’expliquer au vu du traumatisme qu’ils partagent, d’autant que le style narratif incline à l’onirisme.
Claire Berest donne un rythme haletant à sa narration. Son écriture est spontanée, virevoltante, les phrases sont courtes, les tournures lapidaires. Elle maîtrise tellement sa plume, qu’elle s’autorise des petits dérapages très contrôlés. Elle lâche des mots fortement expressifs, comme un peintre jetterait des touches de matière sur une toile. Les dialogues sont tranchants, la narration emprunte par moment les codes du langage parlé et cela donne envie de lire le texte à haute voix.
Finalement, tout s’explique. Sans remonter à l’origine du monde, l’histoire avait été bien engagée grâce à une fable de La Fontaine, dont des fragments scandent les chapitres. Mais tout avait été interrompu lors d’un 14 juillet tragique, illuminé par un feu d’artifice éblouissant, dont les compositions étincelantes s’étaient pétrifiées en orchidées multicolores.
Un livre dont les pages sont brillantes comme un feu d’artifice. En s’éteignant, il t’abandonnera, lectrice, lecteur, au plus profond d’une obscurité aveuglante et d’un silence assourdissant. De quoi te couper le souffle. Quel talent pour écrire un tel livre ! Et si l’art du roman était justement l’art de l’artifice !
GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT