Septembre 2021,
S’il est courant qu’un film soit l’adaptation d’un roman, il est rare, à l’inverse, qu’un roman s’inspire d’un film. Le livre Il était une fois à Hollywood a particulièrement attisé ma curiosité, car le film, que j’avais vu lors de sa sortie, doit une partie importante de son succès à des effets visuels et sonores spectaculaires, difficiles à transposer dans l’écrit. C’est de surcroît le cinéaste lui-même, un grand parmi les grands, qui prend la plume.
Pour Quentin Tarantino, être cinéaste est une mission intégrale et indivisible. Son champ réunit scénario et dialogues et réalisation et production (… et peut-être même encore d’autres spécialités). Mais un film est encadré par son format type, par ce que le public en exige, et au final, la production impose des limites. Impossible notamment de s’attarder à fouiller indéfiniment les états d’âme des personnages. Le réalisateur n’a pas pu exploiter tout ce que le scénariste-dialoguiste avait imaginé, voilà pourquoi le cinéaste a éprouvé le besoin de s’exprimer en romancier. Une manière de se poser face à un espace infini, car le lecteur a tout son temps.
Le livre et le film s’inspirent d’un épouvantable fait divers, qui me fait frissonner aujourd’hui encore, le meurtre sauvage en 1969 de la très belle et talentueuse actrice Sharon Tate, enceinte de huit mois, épouse du jeune réalisateur Roman Polanski. Les tueuses et les tueurs, drogués, étaient membres d’une secte de hippies manipulés par un gourou, Charles Manson, un délinquant crasseux et frustré.
Mais Tarantino a l’habitude d’insérer des fictions dans des histoires vraies dont il réécrit le dénouement. Le 9 août 1969, dans le livre comme dans le film, Sharon Tate se porte très bien, merci pour elle. Le film va même jusqu’à exhiber complaisamment une neutralisation sanglante des hippies, dans l’esprit du massacre jouissif d’Hitler et des dirigeants nazis par les Inglorious Basterds. On ne retrouve pas cette scène hyperviolente dans le livre. Les péripéties mettent juste l’accent sur les antagonismes malsains opposant, dans les années soixante, le microcosme bien établi et néanmoins déjanté d’Hollywood, versus le mouvement contestataire de la contreculture hippie et ses dérives.
Des années qui consacrent aussi une forme de renouveau du cinéma américain, après une longue période de production massive presque standardisée de westerns et de polars de série B. On touche là au vrai thème du livre, dédié au portrait en profondeur de deux personnages fictifs du microcosme, Rick Dalton et Cliff Booth (interprétés respectivement dans le film par Leonardo DiCaprio et Brad Pitt).
En jouant des rôles de héros dans de multiples nanars pendant une quinzaine d’années, Rick Dalton avait atteint un bon niveau de notoriété et de prospérité. Il avait ainsi pu acquérir une belle maison sur les collines bordant Hollywood, l’occasion d’être le voisin de nouvelles stars en vogue, comme Polanski et Sharon Tate. Mais les temps changent et Rick ne trouve plus que des rôles de « méchant » dans ce qu’on a appelé des westerns spaghetti. Alors il gamberge et s’efforce de dissimuler son alcoolisme, en tout cas les jours de tournage. Cliff Booth avait été la doublure cascade de Rick, il n’est plus que son chauffeur, son homme à tout faire et néanmoins son ami. Ancien héros de la Seconde Guerre mondiale, il traînait sur les plateaux une réputation de brute et même de tueur. Il n’est certes pas du genre à s’en laisser conter, mais en même temps, ce fin psychologue est observateur, intelligent et cohérent. Il prend la vie comme elle vient et on peut compter sur lui dans les moments difficiles.
Un rythme enlevé, des scènes surprenantes, des allers-retours inattendus dans un passé historique, des dialogues savoureux, parfois hilarants : Tarantino sait s’y prendre pour captiver son lecteur. Il dépeint avec empathie des personnages fictifs ou réels, qui, comme tous les êtres humains, masquent leurs faiblesses derrière une façade de circonstance. Il prend aussi plaisir à étaler, tantôt avec tendresse, tantôt avec férocité, une immense culture cinématographique, dans laquelle on n’est pas forcé de toujours trouver de l’intérêt.
A cette réserve près, le roman m’a réellement emballé et me donne l’envie de revoir le film… Peut-être ensuite voudrai-je relire le roman !
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP