Septembre 2021,
L’écrivain Philippe Jaenada donne à son œuvre littéraire un genre qui lui est propre. Il s’intéresse à des affaires criminelles anciennes et classées – des « cold cases » –, sur lesquelles subsistent des zones d’ombre. Il se lance alors dans des investigations fouillées durant plusieurs mois, allant sur le terrain, épluchant les déclarations des parties prenantes, rencontrant les enquêteurs et les témoins de l’époque – ceux qui vivent encore ! – ratissant les archives de la presse. S’appuyant sur les éléments réunis, il écrit le récit de l’affaire en lui donnant une forme romanesque. Il y met en évidence les discordances et les anomalies de la version officielle, invitant le lecteur à se faire sa propre opinion sur la culpabilité ou l’innocence des prévenus. Il n’oublie pas de se mettre aussi en scène tout au long de ses recherches, avec un sens de l’autodérision qui ne manque ni d’humour ni de narcissisme.
L’arrestation et la condamnation du dénommé Lucien Léger, surnommé l’Etrangleur, ne m’étaient pas inconnues. Bien qu’ancienne, son affaire remontait de temps à autre à la surface : un entrefilet dans la presse écrite, un mot lors d’un journal télévisé, pour mentionner la révision de son procès ou sa libération conditionnelle. Quant au petit Luc Taron, sa victime, je n’ai jamais oublié son nom. J’avais quinze ans en 1964, lorsque son corps fut retrouvé dans une forêt. Nous n’avions pas la télé, je ne lisais pas Le Figaro que recevait mon père, je n’écoutais la radio qu’à l’heure de SLC Salut les copains, et justement, le meurtre était évoqué, très sommairement, lors des flashes d’info d’André Arnaud. Le jeudi, j’allais déjeuner chez mes grands-parents, où je me précipitais sur France-Dimanche ou Ici-Paris, des journaux à scandales de l’époque, avec de grandes photos en noir et blanc. J’avais ainsi découvert et gardé en tête le portrait de Lucien Léger, mais je n’avais jamais lu les articles en détail, étant plus intéressé par les potins consacrés à la vie mouvementée de Brigitte Bardot ou de Liz Taylor.
C’est donc dans Au printemps des monstres, sous la plume de Jaenada, que j’ai perçu le climat de psychose hallucinant des débuts de l’affaire, en juin 1964, suscité par la cinquantaine de messages provocateurs adressés par l’Etrangleur à la presse, à la police, jusqu’au ministre de l’Intérieur.
La première partie du livre est consacrée à l’historique intégral de l’affaire, tel qu’on a pu la vivre à l’époque : la découverte du corps, les premières enquêtes, les fameux messages, l’arrestation de Léger, sa détention, sa libération quarante-et-un ans plus tard, jusqu’à sa mort, puisqu’après avoir avoué, il s’était rétracté, inventant jusqu’à son dernier jour des scénarios à dormir debout, auxquels personne (ou presque) n’aura cru. Trois cents pages au rythme endiablé, au contenu surprenant et captivant.
Dans une deuxième partie, l’auteur s’attache à démontrer l’irréalisme de la version officielle de l’accusation, ayant conduit au verdict du jury. Il oriente son enquête vers des personnages tiers, minables, plus que troubles et même carrément infects – dont le père de la petite victime –, qui auraient plus ou moins manipulé Léger. Au lecteur de se faire une opinion sur ce qu’il s’est réellement passé la nuit de la mort de l’enfant. Trois cents pages intrigantes, mais touffues et parfois redondantes.
A l’instar de la couverture, la dernière partie de l’ouvrage est curieusement consacrée à Solange, l’épouse de Lucien Léger, une femme de faible constitution, tant au plan physique que psychologique. La compassion très sentimentale qu’éprouve Jaenada pour cette femme morte en 1970 l’amène à lui dédier, comme en hommage à sa destinée si particulière, cent cinquante pages que j’ai fini par trouver ennuyeuses et répétitives.
L’écriture de Philippe Jaenada est simple, accessible, très agréable. Sur un ton décontracté, il multiplie les digressions, usant et abusant de parenthèses, qui ralentissent la lecture en l’aérant. Il y insère le feuilleton de ses démarches personnelles, très approfondies, sur les traces laissées par les personnages cinquante ans plus tôt. Il y glisse le quotidien de sa vie privée, notamment ses problèmes de santé.
Pour conclure en prenant le risque de me répéter, j’ai aimé passionnément la première partie, menée tambour battant ; comme le public de l’époque, j’ai tout pris au premier degré. La deuxième partie, moins fluide, était évidemment incontournable. J’ai des doutes sur l’intérêt de la troisième.
DIFFICILE ooo J’AI AIME