Août 2021,
En 1962, dans son discours de réception à l’Académie Française, Joseph Kessel, journaliste, globe-trotter, baroudeur, écrivain, avait tenu à préciser qu’il était « un Russe de naissance, juif de surcroît ». Une façon pour cette personnalité française écrasante aux multiples talents de revendiquer l’universalité de son identité. Plusieurs de ses nombreux romans allaient être adaptés au cinéma : Belle de jour, La Passante du Sans-Souci, L‘Armée des ombres, Le Lion. Ce fut ensuite le cas de son roman Les Cavaliers, publié en 1967, considéré par certains comme son chef d’œuvre, et qui fut porté à l’écran par John Frankenheimer, avec Omar Sharif et Jack Palance.
Joseph Kessel était depuis longtemps fasciné par l’Afghanistan, par ses paysages et ses coutumes ancestrales, parmi lesquelles le Bouzkachi, un jeu violent pratiqué par des cavaliers – les Tchopendoz –, qui s’arrachent par tous les moyens un trophée constitué par la dépouille d’un bouc décapité. Le roman est l’aboutissement d’un travail que Kessel avait engagé dix ans plus tôt, par le tournage sur place d’un film documentaire, en association avec son ami Pierre Schoendoerffer, et le récit de l’aventure sous forme d’un reportage.
La pratique du bouzkachi est au cœur du roman. Le vieux Toursène a été autrefois un tchopendoz invincible. En dépit des années, son prestige dans la province est resté intact. On s’attend à ce que son fils Ouroz lui succède dans la légende, mais en a-t-il les aptitudes ? L’occasion se présente. Un grand bouzkachi est prévu à Kaboul pour l’anniversaire du roi. Un enjeu important pour le père et pour le fils, mais ont-ils une vision lucide et sincère de cet enjeu ? Dans ses attributions actuelles au sein de vastes écuries privées, Toursène a pu élever et préparer pour Ouroz un étalon aux qualités exceptionnelles de combattant, un « cheval fou » répondant au nom de Jehol.
Ouroz est vaincu et évacué du terrain la jambe brisée. Se sentant humilié, incapable d’assumer sa défaite, il refuse de faire soigner sa fracture. Faisant corps avec sa monture malgré sa blessure, il entreprend au travers du pays un voyage qu’il voudrait rédempteur. Il est accompagné par le fidèle Mekkhi, un palefrenier attaché à Jehol, mais dont la soumission au tchopendoz pourrait être ébranlée lors du périple… histoire de femme, histoire d’argent, histoire de femme et d’argent.
L’occasion pour l’auteur de nous faire visiter l’Afghanistan traditionnel, celui d’avant l’intervention soviétique, la guerre civile, la prise du pouvoir par les Talibans, tous les tristes événements auxquels nous assistons de loin depuis quarante ans et que Joseph Kessel n’aura pas connus. En témoigne l’étape d’Ouroz, de Mekkhi et de Jehol à Bamiyan, où les statues colossales de Bouddha n’ont pas encore été dynamitées par les plus abrutis des fanatiques islamistes.
Dans cet Afghanistan coupé en deux par l’Hindou Kouch, une chaîne montagneuse qui compte de nombreux sommets à plus de six mille mètres, les paysages sont exceptionnels, grandioses. Mais sans dénier la faconde de l’auteur et la profusion de son vocabulaire, les mots sont-ils assez forts pour éveiller notre imagination, alors que l’accès à l’image n’a aujourd’hui plus de limites ?
Restent les traditions, la culture locale, si l’on peut appeler cela de la culture… La violence du bouzkachi, celle des combats de chameaux et de béliers, racontées avec force détails « comme en direct », ne m’ont rien inspiré de positif, pas plus que le culte de l’honneur patriarcal ou les obsessions aussi primaires que primitives de Toursène et d’Ouroz. Invisibilité de la femme, exclue de toute vie sociale, mépris des castes inférieures, jugées serviles et vénales, croyance en la force obscure de démons mystérieux. Resterait au crédit de ces hommes qui se prennent pour des seigneurs l’indifférence au malheur et à la douleur qui leur sert de courage.
On aura compris qu’à l’inverse de la plupart des lectrices et des lecteurs de Joseph Kessel, je n’ai pas été conquis par ce récit d’aventures aux allures de conte exotique, dont les six cents pages m’ont paru interminables.
DIFFICILE ooo J’AI AIME