Juillet 2021,
Journaliste, écrivain et scénariste, Jurica Pavicic est né et vit à Split, en Croatie, où il collectionne les récompenses littéraires depuis des années. L’Eau rouge, son premier roman traduit en français, a été plébiscité début juillet lors de l’édition de Quais du Polar, à Lyon.
En première approche, le synopsis de L’Eau rouge ressemble aux scénarios de nombreux téléfilms policiers proposés sur nos chaînes TV traditionnelles. Un crime ou une disparition mystérieuse survient dans une petite bourgade du territoire. La police judiciaire débarque, lance l’enquête, entend les proches et les témoins. Les villageois semblent abasourdis, mais ils taisent leurs secrets, leurs inimitiés, leurs rancœurs. Difficile de démêler le faux du vrai et de briser la loi du silence…
L’auteur nous embarque à Misto, un petit village tranquille de la côte dalmate, sur la mer Adriatique, à une demi-heure de voiture de Split, grand port industriel et touristique, véritable capitale régionale. Les familles de Misto ont vécu dans la sérénité jusqu’à la disparition de Silva, une très jolie jeune fille de dix-sept ans, au lendemain d’une soirée festive, en 1989. Les heures, les jours ont passé, puis les mois, les années ; Silva n’a pas réapparu ; on n’a pas retrouvé son corps. Les conjectures vont bon train ; a-t-elle été accidentée, assassinée, enlevée ? A-t-elle quitté Misto de son plein gré pour voyager, pour aller vivre dans une grande ville ? Des ragots, des rumeurs ont circulé. A Split, où elle poursuivait ses études, Silva aurait fréquenté des personnes peu recommandables. Vrai ou faux ?
Comme on l’imagine, l’absence pèse terriblement sur la famille, qui reste persuadée que Silva est vivante, d’autant qu’un témoin affirme l’avoir vue prendre des billets d’autocar le jour de sa disparition. A l’affut de la moindre piste, Mate, frère jumeau de la jeune femme, sillonnera l’Europe pendant vingt-six ans dans l’espoir de la retrouver… Puis, un jour de 2015, un jour comme les autres…
Jusqu’à ce jour-là, le roman était suspendu à une incertitude presque insoutenable. Désormais, les questions qui se posent ne sont plus les mêmes. C’est quasiment un second roman qui commence, aux pages aussi captivantes que les précédentes. Les personnages restent les mêmes. Depuis le début du livre, chapitre après chapitre, l’auteur rapporte leurs témoignages. La narration est écrite au présent. Sa tonalité, grave, sobre, presque solennelle, évoque un enseignant explicitant un événement historique ou un chroniqueur télé présentant une émission criminelle.
L’auteur insère d’ailleurs son thriller dans un contexte d’actualités historiques. En 1989, lorsque Silva disparaît, Misto est un vieux bourg dalmate un peu endormi. Les institutions sont celles de la République Fédérative Socialiste de Yougoslavie, fondée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Après la chute du Mur de Berlin, qui précipite l’effondrement des régimes communistes, la Croatie revendique son indépendance, en dépit de l’hostilité de l’Armée populaire yougoslave. S’en suivent plusieurs années de conflit armé, alternant cessez-le-feu et offensives militaires ponctuées de crimes de guerre dans chaque camp.
En 2015, La République de Croatie a depuis longtemps imposé sa constitution démocratique et son économie libérale. Les grands paradigmes nationaux ont basculé. Discrédités pour leur passé marxiste, les héros de la Résistance au nazisme, qui avaient marqué leur emprise sur les institutions yougoslaves, ont été déboulonnés au profit des vainqueurs de la guerre d’indépendance. Parmi eux, hélas, des délinquants ont su profiter des événements pour se blanchir et acquérir des galons dans la nouvelle élite croate. La corruption prolifère, encouragée par des investisseurs étrangers prêts à tout pour mettre en valeur le potentiel touristique du littoral.
L’auteur s’étend avec une lucidité amère sur les transformations subies par Misto, où les résidences secondaires se multiplient et où l’inauguration d’un vaste complexe hôtelier de grand luxe finit d’enfouir dans l’ombre l’aspect traditionnel du vieux bourg.
DIFFICILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP