Mai 2021,
Ancien correspondant de guerre, le romancier Arturo Pérez-Reverte est coutumier des fictions en contexte historique tourmenté. Publié fin 2020, Sabotage est le troisième et dernier volume d’une série consacrée à la guerre civile espagnole, dans les années trente. Son personnage principal, Lorenzo Falcó, est un agent secret à la solde des Nationalistes du Général Franco, dans la lutte sans merci qui les oppose aux Républicains, qui détiennent alors le pouvoir.
Les premiers sont soutenus par les partis européens d’extrême droite, parmi lesquels les fascistes de Mussolini et les nazis de Hitler. Les seconds, inféodés à l’URSS et aux partis communistes, se sont ouverts un second front en cherchant à exterminer les trotskistes, les gauchistes et les anarchistes du POUM, dont Staline ne supporte pas les critiques. Dans chaque faction, les exactions sont épouvantables et contribuent à une escalade sans fin des haines et des désirs de vengeance.
Dans Sabotage – que l’on peut lire indépendamment des volumes précédents de la série –, Falcó est envoyé en mission à Paris, sous l’identité d’un riche amateur d’art, avec un double objectif. Le premier est de discréditer un intellectuel français renommé, ayant acquis une réputation de héros romantique après avoir combattu en Espagne au sein des forces républicaines. Le second objectif a trait à l’inauguration prochaine de l’Exposition Universelle de 1937, à Paris. Depuis Madrid, le gouvernement (républicain) a décidé d’orner le pavillon espagnol d’une immense toile que Picasso serait en train de peindre en mémoire du martyre de Guernica, une petite ville bombardée par l’armée nationaliste appuyée par les avions nazis et fascistes. Falcó devra faire échec à ce projet en détruisant le tableau…
La personnalité de Falcó ne laisse pas indifférent. Tel que l’auteur le dépeint, cet agent secret est un quasi-surhomme, stratège, implacable, très habile au combat à main nue, grand séducteur de femmes, dans la lignée, donc, d’un 007, d’un OSS 117 ou d’un SAS, ces héros de mon adolescence. Mais si James Bond, Hubert Bonnisseur de la Bath et Malko Linge étaient tous trois des tueurs, ils intervenaient en combattants du monde libre, dans sa guerre froide contre le bloc soviétique. Pérez-Reverte n’attribue pas à Falcó cette vertu de « défenseur du Bien ». Les idéologies véhiculées par les deux camps laissent cet homme pareillement indifférent et s’il travaille pour les Nationalistes, c’est par habitude et parce que ses missions lui permettent de vivre comme il l’entend. C’est un mercenaire sans convictions, n’éprouvant jamais de bienveillance et ne s’intéressant à rien au-delà de ses plaisirs personnels ou de son intense goût du risque. Un être dont l’auteur a poussé les traits à l’excès, à la caricature, avec l’intention de le rendre odieux par son cynisme et par sa morgue.
En ces années de montée des nationalismes et d’extrémismes de tous bords, la lecture de Sabotage nous promène agréablement dans Paris. La capitale française reste un espace de liberté où se croisent mondains, fêtards, intellectuels, artistes, espions et escrocs en tous genres. Certains personnages du livre sont directement inspirés de célébrités de l’époque : André Malraux, Lee Miller, Peggy Guggenheim, Ernest Hemingway. On a aussi droit à la participation exceptionnelle du maître Pablo Picasso et de la diva Marlene Dietrich. Un casting de caractère, donnant lieu à quelques scènes savoureuses !
Les romans d’Arturo Pérez-Reverte déçoivent rarement. Ils n’atteignent pas au génie, mais les intrigues sont solidement construites et s’appuient sur des faits méticuleusement documentés. Les effets d’incertitude et de surprise sont bien amenés. Les scènes d’action sonnent juste. Les textes et les dialogues manquent parfois de consistance, mais le livre se laisse lire comme un bon polar, tout en donnant l’impression de ne pas perdre de temps à des futilités.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP