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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Le fauteuil de l'officier SS, de Daniel Lee

Publié le 29 Mai 2021 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture

Mai 2021,

Le fauteuil de l’officier SS n’est pas un roman, contrairement à l’idée que je m’en étais faite lorsqu’on m’en avait parlé, ce qui m’avait incité à l’acheter et à le lire. L’auteur, Daniel Lee, est un jeune historien britannique, qui avait consacré plusieurs études à la vie des Juifs en France et en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale. En 2011, une rencontre privée fortuite l’amène à s’interroger sur des documents trouvés dissimulés dans l’assise d’un fauteuil donné à restaurer chez un tapissier. Des documents officiels ayant appartenu près de soixante-dix ans plus tôt à un officier SS, nommé Robert Griesinger. Comment, pourquoi et par qui ont-ils été placés là ?

Le livre présente les conclusions de l’enquête personnelle de Daniel Lee, parallèlement au récit des démarches qu’il a menées pendant cinq ans, pour retracer le parcours du fauteuil, puis celui de Griesinger, un fonctionnaire nazi de middle management. L’auteur s’est attaché à situer cet homme dans son intimité familiale et dans son univers professionnel, avant et pendant la guerre. Il s’est efforcé de rencontrer ses descendants, des personnes se livrant peu, semblant découvrir le passé nazi de leur parent. Des entretiens qui permettaient toutefois de compléter une recherche documentaire ingrate, de nombreuses archives ayant disparu sous les bombardements alliés ou ayant été détruites par les nazis eux-mêmes à la veille de leur défaite.

Autour de Hitler, on connaît le premier cercle, les Goering, Himmler et autres Heydrich. On a moins l’habitude d’entendre parler des nazis ordinaires. La SS ne se borne pas à un ensemble de structures militaires ou paramilitaires, dont les membres n’auraient été que des criminels psychopathes ou des idéologues fanatisés. En amont de ses bras armés, la SS était une véritable administration, disposant d’une base institutionnelle solide, constituée de règles et de procédures que des milliers de juristes et de bureaucrates répartis sur tout le Reich élaboraient et mettaient à jour en fonction des préoccupations locales : modalités d’appropriation des biens appartenant aux Juifs, fermetures d’usines non essentielles à l’effort de guerre, mutations de travailleurs vers les industries militaires allemandes, priorités dans les soins et rationnements, logistique des déportations, etc.

Robert Griesinger, docteur en droit, démarre sa carrière comme juriste à la Gestapo de Stuttgart. Après le déclenchement des hostilités, il est mobilisé en France, puis en Ukraine, avant d’être nommé en poste à Prague, au ministère de l’Economie et du Travail. Il est chargé de missions marquant sa proximité, sinon sa complicité, avec des crimes nazis, mais sa position est trop subalterne pour que son nom soit inscrit dans les registres officiels postérieurs. De quoi justifier le sous-titre du livre : sur les traces d’une vie oubliée.

Le nazisme nous ramène toujours à la même question : comment a-t-il pu exister ? L’auteur en a cherché les racines dans le contexte historique et l’environnement familial dans lequel Griesinger est né. De vieilles traditions nationalistes et antisémites, le traumatisme de la défaite de 1918, les angoissantes crises politiques et économiques des années vingt : tout cela conduisit de plus en plus d’Allemands à accepter de donner sa chance à un parti qui promettait de sortir le pays de son marasme et de lui restituer sa grandeur passée, même si certains – et notamment la famille très bourgeoise de Griesinger, viscéralement attachée aux traditions et à l’ordre – avaient tenu les premiers nazis pour une meute vulgaire et Hitler pour le porte-parole braillard de masses hystériques.

L’itinéraire personnel de Robert Griesinger a été inspiré par des motivations courantes dans la culture bureaucratique qui caractérise son époque et la nôtre : ambition, confort et sécurité d’un job, sentiment d’appartenance à une catégorie sociale gratifiante. Tout pourrait donc se reproduire. Ce qui est exceptionnel et remarquable dans la démonstration de Daniel Lee est justement qu’il n’y a rien d’exceptionnel ni de remarquable dans le parcours de son personnage central.

Le travail d’enquête minutieux effectué par l’auteur est impressionnant et son caractère forcément fastidieux apparaît par instant lors de la lecture. Le fauteuil de l’officier SS est un livre très intéressant, sur un sujet qui ne cesse de m’interpeller et que je ne regrette pas d’avoir intercalé entre deux romans.

DIFFICILE     oooo   J’AI AIME BEAUCOUP

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