Juillet 2020,
« Le nouveau prodige du polar français », peut-on lire en travers de la couverture. C’est l’éditeur qui le dit et après tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. En tout cas, s’il y a bien une catégorie à laquelle ce livre n’appartient pas, c’est celle des ouvrages « feel good » qui semble tant prospérer de nos jours. De bonnes raisons de mourir est bien un polar, c’est même un thriller, où les pages nauséeuses ne manquent pas.
Rien n’est fait pour tirer vers le haut le moral du lecteur. Des cadavres atrocement mutilés, un tueur mystérieux et illuminé qui maîtrise la taxidermie, technique consistant à empailler les animaux morts… et pas que les animaux, si vous voyez ce que je veux dire. Beaucoup de morts, pas beaux à voir.
Le décor non plus ne fait rêver personne, sauf peut-être les collapsologues. Le tueur officie dans la zone de sécurité mise en place autour de Tchernobyl, la centrale nucléaire soviétique qui avait explosé en 1986. Le secteur, contaminé par les radiations, est à l’abandon et gardé par une police armée. L’auteur – qui n’y est jamais allé, j’en reparlerai – amène le lecteur à déambuler dans Prypiat, fantôme d’une ville de vingt mille habitants, créée quelques années avant la catastrophe selon un schéma d’urbanisme monotone à la soviétique ; des bâtiments géométriques tous identiques, abandonnés depuis par la population et envahis par une végétation foisonnante.
Ne résident officiellement sur place que quelques centaines de personnes, des ouvriers travaillant dans ce qui reste de la centrale. Officieusement, elles sont quatre fois plus nombreuses. On y croise des stalkers (du nom d’un film de science-fiction d’Andreï Tarkosvski) ; ce sont des trafiquants qui récupèrent des composants irradiés pour les recycler mine de rien. S’y trouvent aussi des malades contaminés venus se planquer pour mourir. Sans oublier des groupes de touristes en manque de sensations fortes. Les animaux domestiques sont redevenus sauvages, la végétation aussi. Vision dérangeante d’un monde post-apocalyptique.
Un thriller, donc. Un crime horrible, qu’on découvre lié à un autre, commis trente ans plus tôt, le jour même de l’explosion de la centrale nucléaire. Deux flics tourmentés mènent l’enquête. Un Ukrainien, originaire de Kiev, muté dans la zone à la suite d’un différend avec sa hiérarchie. Un Russe, né à Prypiat d’où il fut évacué, enfant, dans des conditions dramatiques, les jours qui avaient suivi la catastrophe ; il agit comme « privé » pour le compte d’un riche oligarque endeuillé lors des deux meurtres.
Le thriller est de construction classique et l’auteur prend plaisir à multiplier les fausses pistes. Pas sûr pour autant que le lecteur ne s’y laisse prendre aussi facilement. La vérité, ou plutôt les vérités finissent par apparaître. C’est un peu tarabiscoté, ce qui n’a pas tellement d’importance… Je parle pour moi. Les thrillers ne m’ont jamais conduit à me ronger les ongles ou empêché de dormir en attendant de connaître le coupable.
Le livre est surtout une passionnante visite de la zone de Tchernobyl, trente ans après la catastrophe. C’est aussi un formidable document sur la vie en Ukraine, vingt-cinq ans après le démantèlement de l’Union soviétique et l’indépendance des anciennes « Républiques socialistes ». L’action se passe en 2016, en pleine guerre du Donbass, un conflit armé entre la Russie et l’Ukraine, qui fait suite à ce que l’on a appelé la révolution de Maïdan. S’y expriment pêle-mêle des dissidences régionales, des aspirations européennes, des revendications ethniques, nationalistes, régionalistes, linguistiques, économiques, ainsi que des règlements de comptes mêlant rivalités politiques, privatisations sauvages, trafics mafieux et guerre de gangs. Une dizaine de milliers de morts, plus d’un million de personnes déplacées…
L’ouvrage démontre que les romans peuvent être une source d’enrichissement personnel aussi efficace et beaucoup plus agréable à lire qu’un essai ou un documentaire. Et pourtant, l’auteur, Morgan Audic, un prof d’histoire breton, déclare n’être jamais allé sur place et ne s’être documenté que sur pièces. Son travail mérite une bonne note.
DIFFICILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP