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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Lake Success, de Gary Shteyngart

Publié le 6 Mai 2020 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture, romans

Mai 2020, 

Est-ce anormal quand on est quadragénaire et que tout va mal, d’avoir soudain la nostalgie d’un amour d’adolescence ? Et justement, pour Barry, ça va mal, ça va même tellement mal, qu’il s’est mis dans la tête de refaire, depuis New York, le trajet effectué vingt-quatre ans plus tôt pour rejoindre dans le Sud, où elle réside chez ses parents, Layla, sa camarade de fac et petite amie d'alors. Un périple de plusieurs jours en cars Greyhound, le mode de voyage le moins cher aux États-Unis. Un véritable raid en terre inconnue, quand on a l’habitude de se déplacer en jet privé.

 

Car Barry Cohen pourrait symboliser le rêve américain dans sa déclinaison actuelle de royaume de la Finance. Grand, athlétique, d’origine modeste, il est à la tête d’un fonds spéculatif très important et gagne des sommes inouïes. Immersion dans l’univers des très très riches : Barry déguste un whisky japonais rare à trente mille dollars la bouteille, bichonne sa collection de montres valant chacune plusieurs dizaines de milliers de dollars et son appartement occupe un étage entier dans une tour de Manhattan. Un endroit réservé non pas aux gagnants, mais « aux gagnants parmi les gagnants ».

 

Barry a même des lettres. Le nom de son fonds spéculatif, « L’envers du capital », est inspiré du titre d’un roman de Fitzgerald. A l’opposé des financiers casse-pieds obsédés par les chiffres et les graphiques, il séduit ses clients en leur racontant des histoires plaisantes qui leur font croire qu’ils sont intelligents. Barry est un type sympa, tellement sympa que les clients ne le quittent pas, bien que le fonds perde de l’argent depuis trois ans. Mais cela pourrait se gâter, parce que Barry est suspecté de délit d’initié et parce qu’un investissement malheureux dans un laboratoire pharmaceutique douteux pourrait faire de lui la risée de Wall Street.

 

Sur son nuage de candeur bienveillante, tout semblait simple et évident pour Barry. Tout a basculé quand on a diagnostiqué un autisme sévère à son fils de trois ans. Barry s’avère incapable de s’adapter pour entrer dans la sphère du petit garçon handicapé, ce qui choque et éloigne irrémédiablement de lui son épouse, Seema, la fille d’immigrés indiens, « la femme la plus belle et la plus intelligente du monde », dont il aurait voulu qu’elle soit aussi « sa meilleure amie ».

 

Lors de son périple en car Greyhound, pendant lequel, dans son fantasme de repartir de zéro, il a renoncé à son smartphone et à ses cartes de crédit, Barry est plongé dans l’Amérique d’en bas, ses quartiers déshérités, ses cités HLM. Il croise des femmes et des hommes de toutes diversités d’origine, de couleur de peau et de moyen de subsistance, partageant pauvreté, apathie ou colère, subissant l’inconfort de la promiscuité, des odeurs, des bruits. Quelques télescopages sont cocasses. Au milieu des Deschiens à l’américaine, Barry reste le gars sympa, incurablement positif. Il voudrait offrir à chacun le meilleur : sa passion obsessionnelle pour les montres, la possibilité d’une belle carrière dans un fonds spéculatif, la perspective d’une amitié ou d’un amour pour toujours…

 

Plus lucide, consciente des impairs et des insuffisances de son futur ex-mari, Seema cherche à rebâtir sa vie de son côté. Mais comment se passer du grand luxe auquel elle s’était habituée sans même s’en rendre compte ? Peut-être en renouant avec l’univers des intellectuels démocrates…

 

Car tout se passe en 2016. L’actualité, c’est « Trump vs Hillary ». Les petits Blancs du Sud croisés par Barry aspirent à la victoire de Trump. Les autres s’en moquent. A Manhattan, on en parle « en mode automatique » : on l’abomine, on n’y croit pas, mais on se consolera à l’idée de payer moins d’impôts.

 

Gary Shteyngart, un écrivain américain juif né en Union soviétique, est coutumier de l’analyse critique de la société américaine et de ses dérives actuelles. Dans les chapitres de Lake Success, alternativement consacrés à Barry et à Seema, la narration emmêle le passé au présent, ce qui en rend parfois la lecture confuse et pesante. Et sa tonalité sarcastique n’implique pas que le livre soit amusant.

 

La bar-mitsva atypique du dernier chapitre est plutôt touchante. Finalement, malgré sa collection de montres et ses millions de dollars, Barry ne voulait qu’une chose : être aimé par son fils.

 

DIFFICILE     ooo   J’AI AIME

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