Janvier 2020,
Ne me dites pas que vous n’en avez pas entendu parler ! La plupart des magazines consacrent au moins une page à Jean Echenoz et à son dernier roman, Vie de Gérard Fulmard. On crie au génie… Alors, véritable chef-d’œuvre ou coup de communication ?
Ecrivain atypique, ne recherchant pas spécialement l’exposition médiatique, Jean Echenoz est très apprécié dans une certaine élite littéraire. Au cours des vingt dernières années, ses œuvres ont été saluées par des prix éminents, mais relativement confidentiels. Le prix Goncourt lui avait été attribué en 1999 pour son roman Je m’en vais. En remontant plus loin dans le temps, on trouve aussi un prix Médicis (1983).
Son écriture est volontairement minimaliste. Les ellipses aménagées dans ses narrations confèrent à ses fictions une ambiance étrange, une absence apparente de sens, un je-ne-sais-quoi de surréel. Une particularité qui pourrait évoquer Patrick Modiano, chez qui l’essentiel d’un récit se situe aussi au-delà de l’histoire racontée. Mais chez Echenoz, et notamment dans Vie de Gérard Fulmard, pas d’introspection, pas de quête personnelle, pas d’interrogation spirituelle, juste le constat désinvolte de l’absurdité du monde, la démonstration ironique de la vacuité des choses humaines.
Une absurdité qui se retrouve dans l’incongruité des situations décrites tout au long du livre. Une vacuité partagée par tous les personnages : que des tocards, des losers, dont les projets ne peuvent qu’échouer, à commencer par Gérard Fulmard, le personnage principal ! Et les autres personnages, des politicards minables, membres d’un parti populiste, ne valent guère mieux. La médiocrité des personnages est un point commun avec Michel Houellebecq, mais alors que celui-ci prend un plaisir provocateur à en disséquer tous les aspects, Jean Echenoz reste au niveau de la suggestion floue. Avec le risque de se répéter et d’en affaiblir l’effet de dérision.
Peut-on parler d’intrigue dans Vie de Gérard Fulmard ? Au vu des nombreuses digressions qui se succèdent et qui m’ont à chaque fois embarqué, je me suis posé la question, même si l’auteur a l’habitude de déclarer que l’intrigue est un mal nécessaire du roman. Oui, il y a le fil d’une intrigue, un fil bien mince, une vague intrigue de roman policier dans la tradition des anciennes séries noires. Un polar, donc, à moins qu’il ne s’agisse d’un pastiche de polar. Mais peu importe.
L’écriture est exceptionnelle. Comme Houellebecq, Echenoz a une telle maîtrise de la langue, de la syntaxe et du vocabulaire qu’il est capable de s’abstraire des règles littéraires courantes et d’oser toutes les fantaisies, comme mêler dialogues et narration, ou changer de narrateur au beau milieu d’une phrase, ou encore insérer des mots rares dans une assertion d’une banalité affligeante.
Pourquoi Jean Echenoz écrit-il ? Pour le plaisir d’écrire, tout simplement. Et si on le lisait pour le plaisir de lire, tout simplement ? Car les deux cents et quelques pages du livre se lisent avec jubilation. C’est déjà ça. Pourquoi se priver du plaisir instantané d’une lecture sans arrière-pensées ? De là à parler de chef-d’œuvre…
Que me restera-t-il de Vie de Gérard Fulmard un mois après tourné la dernière page ? Juste que j’aurais pris beaucoup de plaisir à lire un roman dont je ne me souviendrai plus très bien de quoi il y était question.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP