Juin 2019,
Ecrire un roman, cela consiste pour un écrivain à imaginer des personnages fictifs et à les faire évoluer dans des situations ordonnées selon l’intrigue qu’il a conçue. Dans San Perdido, l’auteur ne déroge pas à cette définition et va encore plus loin. Sur un théâtre des événements lui-même fictif, il fait intervenir un être évanescent issu de légendes populaires.
La ville de San Perdido n’existe pas. L’auteur l’a imaginée en Amérique centrale, dans l’Etat de Panama, où les retombées économiques du canal éponyme et du statut de paradis fiscal ne profitent qu’à quelques-uns. Située sur la Côte des Caraïbes, San Perdido est dotée des particularités des capitales caribéennes dans les années cinquante, période sur laquelle le roman se déroule : inégalités sociales abyssales, prostitution, corruption, magouilles, tout cela sous le charme trompeur d’un ciel tropical et d’une végétation luxuriante. On pense au La Havane de Batista et au Saint-Domingue de Trujillo.
Il était donc une fois, à San Perdido, une population vivant misérablement dans les bidonvilles de la ville basse, tirant une maigre pitance des activités de son port et confrontée aux miasmes putrides d’une immense décharge publique à ciel ouvert. Sur les hauteurs, bien au-dessus de la multitude, s’étend le plateau Del Sol où les privilégiés habitent de superbes propriétés ombragées. Une maison luxueuse et discrète accueille les dignitaires et les hommes d’affaires voulant se divertir auprès de très jeunes femmes au corps sublime. Au sommet se dresse le somptueux palais du gouverneur.
Se refusant toute limite, l’auteur fait appel au merveilleux panaméen et à la légende des Cimarrons, des esclaves originaires d’Afrique, qui se rebellèrent au seizième siècle et menèrent la vie dure aux colons espagnols. Dans la ville basse, on veut croire que leurs descendants vivent cachés dans la jungle voisine, opaque et mystérieuse, et qu’ils disposent de pouvoirs magiques pour corriger les injustices et punir les méchants. C’est ainsi qu’apparait soudain la figure réelle ou mythique de Yerbo Kwinton, un Noir au regard bleu pâle, aux mains immenses, disposant de qualités humaines et physiques surréelles. Sa personnalité planera sur l’intrigue jusqu’à ce que…
Comme il se doit, les turpitudes financières et sexuelles du gouverneur et de son entourage sont le moteur des péripéties du roman.
Des personnages pittoresques, mais peu recommandables pour la plupart. Le gouverneur Lamberto est surnommé le Taureau, en référence à son appétit sexuel insatiable. Son conseiller Carlos Hierra évoque un certain vizir félon voulant devenir calife à la place du calife. L’aventurier américain Stomper est prêt à tout, vraiment à tout, pour s’enrichir. Une étrange Eurasienne qu’on appelle Madame dirige un établissement raffiné d’un genre spécial. L’efficace docteur Portillo-Lopez est plus porté sur l’humanisme que sur la sexualité. Deux jeunes femmes, Yumna et Hissa, doivent à leur plastique de rêve d’être montées de la ville basse à la ville haute... Dans la ville basse, les personnages, nombreux, n’ont pas grand-chose à espérer, à l’exception de Felicia, une vieille femme au cœur noble, et d’Augusto, qui deviendra chef d’entreprise sans se corrompre (ça existe !).
Consacrés à la ville basse et à son quotidien sordide à peine enchanté par l’apparition de « la Mano », les premiers chapitres sont un peu déroutants. L’agrément de lecture s’élève dès qu’on aborde les stratagèmes concoctés dans la ville haute. Vers la fin, l’intrigue s’enrichit de rebondissements savoureux, conférant au roman le ton captivant d’un thriller.
De l’auteur, David Zukerman, on ne sait pas grand-chose : il approche de la soixantaine, a exercé de nombreux métiers et à défaut d’être le premier roman qu’il ait écrit, San Perdido est le premier qu’il a adressé à un éditeur. Il a bien fait. Sa plume est fine et légère, son vocabulaire est précis et varié, l’utilisation du présent de l’indicatif donne à la narration une tonalité décalée, tantôt ironique, tantôt moralisatrice. Il s’est donné aussi du plaisir à écrire quelques passages lascifs émoustillants.
En fin de compte, San Perdido est un roman plaisant, dépaysant et très distrayant.
FACILE oooo J’AI AIME BEAUCOUP