Janvier 2019,
Rebecca, Daphné du Maurier. Un titre et un nom qui frappent, qui résonnent dans les mémoires. Tant de gens en parlent ! Tu l’as forcément lu, me dit-on. Je me suis interrogé. Ai-je lu Rebecca, ce best-seller qui date de 1938 ? Un jour peut-être, il y a longtemps... Mais non. En le lisant ces jours-ci, je me suis rendu compte que non, c’était la première fois. Je ne crois pas non plus avoir vu le film d’Hitchcock.
L’atmosphère fantasmagorique d’une demeure majestueuse, enserrée dans une flore furieusement luxuriante, et dans les principaux rôles, une orpheline pauvre et gentille, un prince charmant (ou presque) et une méchante sorcière… Ne serions-nous pas dans un conte féérique ? J’exagère un peu. Certains parlent d’un livre d’inspiration gothique. S’ils le disent !...
Toujours est-il que la narratrice du roman est une jeune femme naïve, mal attifée, à peine mignonnette, tellement insignifiante qu’on n’en connaîtra pas le prénom. Elle accepte la surprenante et expéditive demande en mariage de Maxim de Winter, un richissime lord anglais de vingt ans plus âgé, veuf depuis à peine un an, qu’elle a rencontré quelques jours plus tôt. Elle se retrouve ainsi châtelaine à Manderley, une propriété somptueuse sur la côte ouest de l’Angleterre.
Châtelaine ? Pas si vite. Notre Cendrillon est dépassée par l’ampleur somptuaire du train de maison de Manderley, d’autant plus que plane le souvenir de Rebecca, la précédente Madame de Winter, une femme à la personnalité éblouissante, que personne ne peut oublier, à commencer semble-t-il par son mari. Son fantôme omniprésent étouffe les velléités d’exister de la narratrice qui multiplie les maladresses, les fautes de goût et les erreurs de jugement. Il est vrai qu’elle est manipulée sournoisement par l’ancienne gouvernante de Rebecca, une femme à l’allure sépulcrale, indissolublement attachée à sa maîtresse décédée.
Lectrice, lecteur, la majeure partie du récit te fera vivre auprès des riches aristocrates de Manderley. Tu partageras leur oisiveté ponctuée d’événements cérémonieux insignifiants, tel le fameux five o’clock tea servi chaque jour à quatre heures et demi pile. Tu t’agaceras des niaiseries et des fantasmes de la jeune Madame de Winter, pétrifiée par les sautes d’humeur de son mari et par les manigances fielleuses de la gouvernante. Tu arpenteras l’immense domaine, t’émerveilleras des massifs de fleurs multicolores butinées par les abeilles, te berceras du clapotis des vagues mêlé au cri des oiseaux, t’enivreras des effluves de l’air marin et des senteurs végétales imprégnées de pluie ou de soleil.
A moins que tu n’aies une passion pour les romances, tu pourrais trouver que le récit traîne en longueur. Ne t’y trompe pas ! Daphné du Maurier maîtrisait parfaitement son sujet et le rythme de développement des intrigues. A l’instar des résidents de Manderley oppressés par une chaleur lourde de fin d’été, tu seras peu à peu envahi(e) par le sentiment diffus d’un malaise, de l’inéluctabilité d’un événement imprévu. Peut-être partageras-tu les angoisses de la narratrice : pourquoi l’a-t-il épousée ?
Soudain, alors que l’orage approche et que tombent les premières gouttes, une surprenante révélation fait basculer l’ouvrage dans un registre différent, celui du roman noir à suspens. Les énigmes, les coups de théâtre et les renversements improbables de situation ne cesseront pas jusqu’à la dernière page. Mais Daphné du Maurier se voulait maîtresse des horloges. Alors que tu attends frénétiquement des réponses, tu dois patienter le temps d’une conversation banale, d’une digression sur le sens de la vie ou d’une contemplation bucolique.
Tu apprécies les romances et les thrillers ? Alors Rebecca pourrait être un de tes livres fétiches. Ma faible sensibilité à l’angoisse romanesque me prive du plaisir que tu y trouves, mais la qualité de l’écriture est incontestable et je reconnais avoir été captivé par l’incertitude des dernières pages.
La cohérence du récit apparaît rétrospectivement. L’auteure a toutefois pris un malin plaisir à ne pas lever certaines ambiguïtés, ce qui laisse libre cours à toutes sortes d’interprétations et de supputations. De quoi donner à Rebecca son image mythique de livre étrange et équivoque.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP