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ça va mieux en l'écrivant !...

... ENCORE FAUT-IL LE LIRE AVANT !

Le Lambeau, de Philippe Lançon

Publié le 6 Janvier 2019 par Alain Schmoll in Littérature, critique littéraire, lecture, témoignage

Janvier 2019, 

Considéré comme le chef d’œuvre de l’année 2018, Le Lambeau est un livre inclassable, indépassable, incontournable. C’est le récit d’une aventure vécue ; ou mieux, d’un parcours personnel ; peut-être même d’une élévation.

 

Gravement blessé et surtout défiguré après qu’une balle lui eut arraché le bas du visage lors de l’attentat contre Charlie le 7 janvier 2015, Philippe Lançon raconte… Avant, pendant, après...

 

Le fait fondateur de l’ouvrage – et du Philippe Lançon d’aujourd’hui – est bien sûr l’attentat lui-même. « Pendant » ! Une narration oppressante. Le témoignage à contrechamp d’un homme immobilisé au sol. Blessé dès les premières secondes sans vraiment s'en rendre compte, il est presque ailleurs, son esprit désorienté percevant quelque chose de dramatique, mais sans en saisir complètement la nature. Dans son champ de vision, les jambes d’un tueur qui arpente les lieux pour donner le coup de grâce à ceux qui bougent encore, ponctuant chaque coup de feu d’un « Allah Akbar ! » fracassant. De quoi alimenter les cauchemars « après ».

 

Sans cet événement, qui se serait intéressé à la vie quotidienne de Philippe Lançon « avant » ? Peut-être même pas lui ! Dans les circonstances, j’ai aimé faire sa connaissance, celle de sa famille, de ses amis, de ses femmes, découvrir des images de son enfance, de ses expériences de reporter de guerre, puis de son activité de chroniqueur culturel à Libération et à Charlie Hebdo. Je ne connaissais pas son nom, bien qu’il me soit probablement arrivé de lire certaines de ses chroniques.

 

Au moment où il écrit, Philippe Lançon n’est plus l’homme qu’il était « avant ». Son regard est à la fois nostalgique et critique. Des recadrages sarcastiques parfois cinglants recèlent une part de mea-culpa, mais n’épargnent personne. La lucidité et l’honnêteté de l’auteur n’excluent pas l’humour et l’autodérision. On n’écrit pas dans Charlie par hasard.

 

« Après », dans les premières semaines, Philippe Lançon est un homme déconstruit, qui ne peut se consacrer qu’à sa souffrance et aux contingences organiques de ses blessures. Tel un enfant en bas âge, il est en dépendance fonctionnelle et affective de ceux qui l’entourent, ses proches, l’équipe hospitalière. Ne pouvant s’exprimer qu’en griffonnant quelques mots sur une tablette, il ne peut répondre aux attentes des autres, notamment à celles de la femme qu’il aime et qui l’aime. Est-il même encore capable de l’aimer ?

 

 « Après », ce sont aussi les heures et les jours interminables de soins d’urgence, puis les semaines et les mois interminables de reconstitution d’une bouche où la mâchoire et la lèvre inférieure avaient disparu. Un processus auquel le patient doit collaborer activement, car la guérison, ou plutôt dans le cas présent, la reconstruction est à ce prix. Ne pas se laisser abattre par la lassitude et la lenteur des progrès, accepter l’incertitude des tentatives chirurgicales, accepter les traitements douloureux, accepter la discipline des soins, travailler sans relâche à sa rééducation post-opératoire. Et supporter les effets secondaires, ce qu’il appelle les « jacqueries des organes ». Toujours l’humour…

 

L’abnégation de ses parents et de son frère est émouvante. Des passages leur rendent hommage, ainsi qu’à quelques ami(e)s et à l’ensemble des soignant(e)s, toutes spécialités confondues. L’auteur témoigne aussi sa reconnaissance et son admiration pour la chirurgienne maxillo-faciale qui l’a opéré à plusieurs reprises. Une femme remarquable avec laquelle il échange musique, peinture, littérature.

 

La musique, la peinture et la littérature jouent un rôle essentiel dans la reconstruction de cet homme de culture. Par la musique, il échappe à l’angoisse des interventions au bloc. La peinture, grâce à la grande exposition Velázquez de 2015, lui offre un premier retour à la vie professionnelle. La littérature, avec Proust, Kafka et Thomas Mann, lui donne les clés de ce qu’il ressent. Sans oublier Houellebecq et son roman Soumission, que Philippe Lançon avait lu et apprécié avant sa publication avortée du 7 janvier 2015. Un livre qui fait déjà polémique juste « avant », et qui continuera longtemps « après ».

 

Pour supporter son état, Philippe Lançon décide de s’extraire de sa condition de patient, et d’écrire. Il devient le reporter, le chroniqueur de son cas de patient. Sa démarche n’est pas l’introspection, mais l’observation minutieuse et empathique d’un patient par un narrateur. Les romanciers ne s’y prennent pas autrement. Philippe Lançon a monté une marche. Il est devenu écrivain.

 

Dans son récit qui suit globalement une logique chronologique, il intercale de nombreux retours en arrière et autant de projections dans le futur. Cette construction anime la narration et lui donne une densité. Elle permet à l’écrivain de ménager des effets, de susciter la curiosité du lecteur, de l’inciter à la patience. De le contraindre à la lenteur qui s’impose à lui, patient, dans son parcours « après ».

 

Un livre difficile, puissant et sublime, sur lequel j’aurais encore tant à méditer et à commenter.

 

DIFFICILE     ooooo   J’AI AIME PASSIONNEMENT

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