Octobre 2018,
Comment réussir une biographie savoureuse ? J’y vois trois ingrédients clés : un personnage en valant la chandelle, un auteur maîtrisant l’écriture et la teneur du sujet, un angle de vue apportant un éclairage original. Pour La révolte, le cocktail est réussi.
Le personnage, c’est Aliénor d’Aquitaine, l’une des reines mythiques de l’Histoire de France. Sa beauté, son caractère et son parcours ont inspiré nombre de poètes, conteurs et biographes, à l’instar d’une Marie-Antoinette ou d’une Marguerite de Valois (la reine Margot). Aliénor a été reine de France, puis reine d’Angleterre, une destinée unique en son genre, qui n’a pas été le fruit du hasard ; elle a tracé elle-même son parcours, exploitant au mieux les armes limitées dont les femmes de son temps disposaient. Douée d’une vision politique, combattante déterminée et résiliente, stratège, séductrice et manipulatrice, elle a pesé sur l’histoire. Aliénor a aussi encouragé l’art des troubadours et donné naissance à deux rois d’Angleterre, le glorieux Richard Cœur-de-Lion et le sinistre Jean-sans-Terre.
L’auteur, Clara Dupont Monod, est une femme de lettres aux multiples talents. Journaliste, chroniqueuse culturelle, romancière, spécialiste du vieux-français et du monde médiéval, elle s’intéresse depuis longtemps à Aliénor. Un précédent roman racontait les tribulations du couple royal formé avec son premier mari, Louis VII de France ; son titre Le roi dit que je suis le diable, en disait long sur le tempérament du personnage. La révolte montre Aliénor unie à Henri Plantagenêt, roi d’Angleterre ; à défaut d’être le diable, elle s’efforce d’y manœuvrer en démiurge.
L’angle de vue est celui de l’un de leurs fils, Richard Cœur-de-Lion, qui devint à son tour roi d’Angleterre. Il est le narrateur de l’ouvrage, car même si, dans quelques chapitres, ce sont Aliénor ou le Plantagenêt qui s’expriment, je peux penser qu’il s’agit là de propos imaginés ou ressassés par leur fils. Voilà un personnage moins avenant que la noble figure évoquée dans les légendes d’Ivanhoé et de Robin des Bois. Sous la plume de Clara Dupont-Monod, Richard se révèle un homme indécis, subjugué par l’ambition de sa mère et inhibé par l’envergure de son père. Cela ne l’empêche pas de faire preuve d’une redoutable efficacité militaire, ni de se laisser aller à une barbarie bestiale, quand ça lui prend. Les carnages du Moyen-Age n’ont rien à envier aux génocides du vingtième siècle, et dans les ouvrages historiques, leurs descriptions ne sont pas les passages que je préfère.
Après un retour de croisade humiliant, Richard qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, ne finira pas dans la douceur angevine. Il sera tué bêtement, comme Achille, son semblable en férocité. Ils pourront ensemble, pour l’éternité, se lamenter de l’ennui à régner sur les morts.
Clara Dupont-Monod déclare avoir pris quelques libertés avec ce qu’on appelle la vérité historique, mais les faits racontés dans La révolte me paraissent très conformes aux évènements consignés dans les ouvrages encyclopédiques. CDM joue parfaitement son rôle de romancière en ajustant sur ces faits, selon son imagination, le profil psychologique des personnages.
Les phrases sont courtes, la syntaxe claire, le vocabulaire précis. Le texte est rythmé comme un reportage d’envoyé spécial, avec du coup, parfois, le sentiment d’un anachronisme entre des cascades de péripéties se répondant du tac au tac, et la lenteur des modes de communication au douzième siècle. N’empêche que l’ouvrage se lit agréablement…
… Et utilement, car il s’agit d’une époque de l’Histoire de France que je ne me rappelle pas avoir étudiée à l’école. En sixième, à dix ans, j’aurais d’ailleurs eu du mal à comprendre qu’à la tête d’un royaume aussi petit (à peine l’Ile-de-France actuelle), le roi de France ait eu autorité de suzerain sur son vassal Henri Plantagenêt, un seigneur bien plus puissant que lui, régnant sur l’Angleterre, l’Aquitaine, la Normandie, la Bretagne, l’Anjou et j’en passe.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP