Août 2018,
Entre deux romans, un bref arrêt sur Homère. Cet été, l’auteur mythique de l’Iliade et l’Odyssée est à l’honneur dans deux ouvrages. J’ai lu Un été avec Homère de Sylvain Tesson, puis Une odyssée de Daniel Mendelsohn. J’en publie mes critiques en même temps.
Après Montaigne, Proust et d’autres, Un été avec Homère s’inscrit dans une série annuelle d’émissions de radio, publiées ensuite en librairie. Le livre est la transcription d’émissions préparées et présentées pendant l’été 2017 par Sylvain Tesson. Pour relire et commenter l’Iliade et l’Odyssée, cet homme de défis, arpenteur de la planète, chantre impénitent de la nature et intellectuel inclassable, s’était cloîtré pendant plusieurs semaines dans une minuscule île grecque, afin, explique-t-il, de capter les couleurs, la musique et les vibrations de l’univers d’Homère – un nom qui recouvre lui-même un mystère.
L’Iliade et l’Odyssée s’intègrent parfaitement dans l’ordinaire de l’amateur de romans que je suis. L’histoire de la guerre de Troie, tout comme celle du retour d’Ulysse en ses terres, constituent de longues sagas littéraires on ne peut plus romanesques. Une difficulté, toutefois : ces œuvres se présentent sous la forme de poèmes totalisant à elles deux, près de trente mille vers ! En lire l’intégralité, même en français, reste inaccessible au lecteur moyen, même si des traductions en vers reproduisent fidèlement la poésie de l’original, même si je me suis délecté des nombreux vers insérés par Tesson pour émailler son propos. Je lui sais surtout infiniment gré de m’avoir rappelé clairement les péripéties de l’Iliade et de l’Odyssée
Je ne m’y étais plus vraiment intéressé depuis la classe de 6ème, mais j’avais gardé en mémoire les tenants et aboutissants de la guerre de Troie. J’avoue toutefois avoir oublié que l’Iliade ne portait que sur un court épisode de ce long et sanglant conflit ; un épisode consacré essentiellement à Achille, depuis la bouderie où il s’était enfermé, offensé par Agamemnon, jusqu’aux funérailles d’Hector, après le combat suprême dont il était sorti vainqueur... Ah, Achille !... Son brio, ses combats, ses victoires avaient ébloui mes dix ans, comme ceux de mes fils l’ont été par les exploits de Musclor et autres héros d’animation super-vitaminés de la télé du dimanche matin... J’avais moins accroché avec l’Odyssée. J’étais un trop grand garçon pour croire aux enchanteresses, aux monstres et aux déguisements. J’étais un trop petit garçon pour être émoustillé par les aventures féminines du héros. J’avais même été choqué par une illustration où Ulysse apparaissait nu devant Nausicaa. En fait, la seule partie de l’Odyssée qui m’avait plu était la scène finale de la révélation et de la vengeance.
Sylvain Tesson m’a fait découvrir l’Iliade et l’Odyssée dans toute leur profondeur, un monde manipulé par des dieux trop humains pour être respectables, un monde qui évolue entre réalisme et merveilleux. J’ai compris que le brio d’Achille n’est que folie meurtrière incontrôlée et suicidaire, alors que le problème d’Ulysse, cet homme tout en ruse et en maîtrise de soi, est qu’au fond de lui, il a bien du mal à choisir entre le frisson de l’aventure et la douceur du foyer familial…
Achille et Ulysse, deux hommes d’aujourd’hui, donc ! Et l’on en arrive à la thèse dont Tesson martèle l’argumentation. L’œuvre d’Homère serait prémonitoire de notre actualité. L’homme contemporain serait habité de la même violence et de la même médiocrité que son ancêtre grec. Son aspiration à la tranquillité n’aurait d’égal que sa soif inextinguible de conquêtes, à commencer par la guerre qu’il mène contre la planète au nom d’un progrès illusoire. Des idées éminemment respectables à défaut d’être nouvelles. Mais l’obstination du discours m’a donné l’impression de tourner en rond dans la seconde partie du livre, un peu comme un Ulysse qui voguerait éternellement d’île en île, sans jamais parvenir à son port de destination.
La preuve, une fois de plus, que les thèses développées trop longuement et de façon trop insistante dans le souci fébrile d’emporter une conviction, finissent par donner une impression comminatoire lassante. Pour une argumentation persuasive, quelques pages suffisent souvent.
N’empêche que les larges extraits traduits des poèmes d’origine sont magnifiques – je l’ai déjà dit, mais ça ne fait rien ! – et que l’écriture lyrique et flamboyante de Sylvain Tesson est la marque d’un talent poétique accompli.
DIFFICILE ooo J’AI AIME