Mars 2018,
Ce petit livre a reçu un prix littéraire et rencontré le succès en librairie. J’ai tardé à le lire, son titre, Article 353 du code pénal, m’en ayant longtemps dissuadé. Je reconnais finalement que c’est une œuvre brillante, dont l’intrigue est subtilement conçue et l’écriture finement ciselée.
Au large de Brest, le narrateur et personnage principal, Martial Kermeur, vient de balancer un type à la mer, volontairement et sans se cacher. Il se retrouve dans le cabinet d’un juge d’instruction, sommé de s’expliquer, ce qu’il fait dans un long monologue, à huis-clos. Le juge l’écoute. Nous, lectrices et lecteurs, le lisons.
Cela faisait des années que la malchance avait ébranlé le bon sens de cet homme modeste, infortuné au point de voir le numéro qu’il jouait toutes les semaines au Loto sortir la seule fois où il n’avait pas validé son billet. Son emploi d’ouvrier à l’Arsenal avait été supprimé. Sa femme avait fini par le quitter. Il ne lui restait comme actif, qu’un fils à finir d’élever, et un pécule rondelet à la banque. La somme, correspondant à l’indemnité versée par l’Arsenal, aurait dû lui permettre d’acheter un petit pavillon dans la région, ou un beau bateau à moteur, rêve de tout retraité breton.
Mais à la malchance s’ajoutera une décision hasardeuse, lorsqu’il aura croisé la route d’un homme flamboyant et inspirant, un promoteur immobilier aux manettes d’un projet résidentiel de grande ampleur sur la presqu’île. Un projet qui avortera et ruinera les quelques investisseurs locaux imprudents qui auront cru en lui.
L’auteur, Tanguy Viel, analyse avec pertinence l’humiliation d’un homme mené à la ruine du fait de ses propres erreurs, sa honte d’avoir péché par naïveté, et aussi par cupidité, à l’encontre de ses idéaux de vieux militant socialiste. Sa honte de montrer une piètre image à son fils et d’avoir gardé espoir pendant six ans en dépit des évidences. Un espoir partagé avec d’autres naïfs cupides, croyant être en sécurité en s’agrippant les uns aux autres, alors qu’en l’absence d’arrimage solide, ils allaient tous tomber ensemble en prenant conscience de l’irréversibilité des choses. Sa honte, enfin, de n’avoir pas osé répondre la vérité lorsque le promoteur véreux, toujours flamboyant après six années d’espérances en trompe-l’œil, lui aura lâché : « rassurez-moi, Kermeur, vous n’êtes pas sur la paille ? »
Car les escrocs ne disparaissent pas toujours après leur forfait. Certains restent sur place, forts de leur charisme, pour continuer à épater et à impressionner leurs victimes, afin que l’on continue à espérer en eux, avec eux.
Difficile de déceler dans les propos de Kermeur, le moment où il a décidé de tuer le responsable de sa déchéance. La veille, lors de l’invitation à la pêche ? Sur l’instant même, sous le coup d’une impulsion ? Toujours est-il que le meurtre, plutôt qu’une vengeance, sera pour lui le point de départ d’un parcours de rédemption en quête d’un honneur perdu, consacré par le long monologue empreint de lucidité, d’humilité et de sincérité, qui constitue l’intégralité du livre, et qui amènera le juge à chercher l’inspiration dans l’article 353 du code de procédure pénale.
L’ouvrage se lit aussi en chronique d’un territoire. Les événements prennent place dans les dernières années du vingtième siècle dans la rade de Brest, où comme dans de nombreuses villes de province, les activités industrielles traditionnelles ferment les unes après les autres, laissant des hommes sans qualification se résigner à ne plus travailler, à rester oisifs.
Le travail d’écriture du monologue est remarquable de justesse, de sensibilité, de minutie. Il m’a fait penser, en moins halluciné, à certains textes de Thomas Bernhard. Il n’en affiche pas moins les inconvénients du genre : l’homme qui s’exprime est fruste ; il traîne sur des détails, cherche les mots justes, et lorsqu’il ne les trouve pas, use de métaphores qui ralentissent la lecture, tandis que le développement de l’intrigue, intéressante, nous inciterait plutôt à la survoler.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP