Mars 2018,
Pendant des années, j’ai été un lecteur fidèle des romans de Paul Auster. J’aimais particulièrement leur atmosphère, leurs intrigues et leurs personnages irréels, à moins qu’ils ne fussent surréels ou hyperréels. Avec 4 3 2 1, un pavé de mille pages écrites après plusieurs années de silence littéraire, il change de genre, publiant une œuvre très autobiographique, profondément ancrée dans l’Amérique des années soixante. Il ne faut pas pour autant s’attendre à un ouvrage de facture classique.
Toujours créatif et surprenant, Paul Auster s’interroge sur le mystère des destinées et sur leur dépendance aux contingences, qu’il s’agisse de hasards ou de choix intentionnels. Il aborde le sujet dès le début du livre. Il y est question d’une famille américaine qui répond au nom de Ferguson, alors qu’elle aurait pu s’appeler Rockefeller ! Nul doute que cela aurait tout changé. Mais voilà, c’est bien Ferguson, le nom du personnage principal, possible double de l’auteur. Son prénom pour les intimes : Archie (coïncidence, coïncidence !).
Quel destin attend donc le dénommé Archie Ferguson, fils de Stanley Ferguson, et dont le grand-père aurait pu s’appeler Rockefeller ? Son enfance subira le contrecoup d’un événement grave qui bousculera le parcours professionnel de Stanley, son père. A partir de cet événement, susceptible de se conclure de quatre manières différentes, Paul Auster va imaginer pour Archie, quatre parcours, dont on peut penser que l’un ressemble au sien propre, tandis que les trois autres auraient juste pu être le sien, si…
Selon les aléas de la vie, des circonstances,… des accidents, les quatre Ferguson vont chacun tracer leur chemin et construire leur identité de jeune garçon puis de jeune homme. En tronc commun, la même passion pour le baseball, la lecture, la création littéraire en général, avec selon les rencontres, une attirance particulière pour la poésie, le journalisme, le cinéma ou le roman. Sans oublier les filles, préoccupation majeure, même si le Ferguson numéro trois…
Après un chapitre d’ouverture numéroté 1.0, suivent les quatre premiers chapitres, numérotés 1.1, 1.2, 1.3 et 1.4, chacun consacré à l’un des avatars Ferguson. Dans les chapitres suivants, les épisodes de leur vie se succèdent toujours dans le même ordre, par tranche chronologique, jusqu’à l’achèvement de leurs études … pour ceux qui y arrivent ! Car le titre du livre, 4 3 2 1, a une signification. A un moment ou un autre, la virtualité doit en effet prendre fin. Pour pasticher Hugo, s’il n’en reste qu’un...
Ces narrations parallèles, qui font le charme et l’intérêt du livre, rendent la lecture difficile. Cela ne poserait pas de difficulté si, comme dans de nombreux romans, il s’agissait de quatre personnages différents, ayant chacun leur nom, leur famille, leur personnalité. Dans 4 3 2 1, on s’y perd un peu, parce que nos quatre personnages suivent des parcours différents mais très similaires, et qu’ils ont en commun le même fond de caractère, les mêmes parents, les mêmes proches, dans des contextes différents qu’il n’est pas aisé de garder en tête.
Le texte est exceptionnellement limpide, malgré des phrases à rallonges et de nombreuses digressions. Il est tonifié par l’intégration directe de pensées et de paroles des personnages s’exprimant en langage familier, voire cru. Ennuyeux, en revanche, sont les longs passages consacrés au baseball, passion des quatre Ferguson comme de l’auteur, sur lesquels il ne faut pas s’éterniser si l’on n’y connait rien, comme c’est mon cas.
J’ai apprécié la plongée dans l’Amérique des années soixante, que les Ferguson abordent à l’âge de treize ans – comme ce fut le cas pour l’auteur –, une décennie marquée par la violence des conflits sociétaux liés au mouvement des droits civiques et à la guerre du Vietnam, et jalonnée d’événements tragiques comme les assassinats du Président Kennedy, de Martin Luther King, et de Robert Kennedy. Malaise en découvrant qu’à Newark, banlieue de New York d’où sont originaires Paul Auster et ses Ferguson, les sanglantes émeutes de 1967 s’étaient cristallisées sur des griefs entre ses importantes communautés noires et juives.
Autre thème majeur du livre : la littérature, ou plus précisément l’apprentissage de l’art d’écrire. Comme Paul Auster, ses personnages s’initient à l’écriture par la traduction de poèmes français. J’imagine la difficulté de l’exercice, qui consiste à interpréter l’intention des poètes et à trouver les mots pour l’exprimer. Fascinant.
4 3 2 1, clap de fin ! Une lecture fatigante, mais passionnante.
DIFFICILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT