Janvier 2018,
Quoi de plus banal qu’un livre sur la guerre, me direz-vous ? Celui-ci est exceptionnel. Aucune glorification de fait d’armes, une exhortation implacable au pacifisme. A l’Ouest rien de nouveau est un livre sur la vie quotidienne d’un soldat de dix-huit ans, au front, pendant la première guerre mondiale. Côté allemand ! L’Ouest, pour les Allemands, c’est la frontière avec la France.
Succès mondial de librairie dès sa publication en 1928, le livre, inspiré par la propre expérience de son auteur, Erich Maria Remarque, lui valut d’être proposé deux fois pour le prix Nobel, une fois en littérature, une fois pour la paix, sans succès. L’ouvrage fut interdit par l’Allemagne nazie, E.M.Remarque déchu de sa nationalité. Plutôt une chance pour lui. Il vécut entre les États-Unis et la Suisse, où il mourut en 1970. Entretemps, il avait beaucoup écrit pour le cinéma et épousé Paulette Goddard, l’ex-égérie de Charlie Chaplin, la gamine des Temps modernes.
Paul, le narrateur, est allemand. Il aurait pu être français, anglais, américain, canadien... C’est un jeune homme attachant. Il est ouvert, sociable, serviable. Manipulés par un professeur, ses camarades et lui se sont engagés avec enthousiasme en 1916. Un enthousiasme vite douché par l’instruction militaire, qui gomme leurs personnalités, puis par la vie au front, qui les prive de leur humanité pour ne leur laisser qu’un instinct de survie animal. « Nous avions dix-huit ans et nous commencions à aimer le monde et l’existence ; il nous a fallu tirer un trait là-dessus. Le premier obus qui est tombé nous a frappés au cœur ».
Paul raconte son quotidien dans la tranchée, la boue, la pluie, le froid, les rats, la faim, la peur. Sans fausse pudeur, il évoque la camaraderie, la solidarité, les blagues, les combines, tout ce qui permet de supporter l’insupportable. Car il faut survivre aux horreurs provoquées par les bombes, les obus et les rafales de mitrailleuses. A la vision des corps déchiquetés, des membres arrachés, d’une tête en partie emportée, d’entrailles qui jaillissent d’un ventre ouvert à la baïonnette. Au sifflement et à l’explosion des projectiles, au hurlement de douleur du camarade touché, juste à côté, qui plus tard, bourré d’antalgiques, pleure en silence parce qu’il comprend qu’on ne peut rien pour lui, et qu’il va mourir là, dans quelques minutes, ou dans quelques heures, peut-être dans quelques jours, à dix-huit ans.
Pourquoi lui, pourquoi pas moi, se demande Paul ? Le hasard. C’est par hasard que l’on vit ou que l’on meurt. Il n’a aucun pouvoir sur la trajectoire des obus. Pas plus qu’il n’en a sur les événements. A titre personnel, il n’a aucun grief contre celui d’en face, tout près, à quelques mètres, français ou anglais, du même âge, dans une tranchée identique à la sienne, avec la même boue, les mêmes rats, la même peur, la même hantise de la blessure grave, de la mutilation. Et le même but : survivre. Quitte à « devenir soi-même meurtrier par angoisse, fureur et soif de vivre ».
Le livre fait penser à la première partie de Voyage au bout de la nuit, de Céline. Mais le ton n’est pas le même. Le personnage de Bardamu est révolté, hargneux, haineux, en rupture de ban. Il s’exprime avec insolence, brutalité, privilégiant l’apostrophe et l’invective. Rien de tel chez E.M. Remarque. Son narrateur est un jeune homme simple, attaché à sa ville natale, à sa famille, à ses amis. Son expression est faite de phrases courtes, précises, lumineuses. Il fait preuve d’une vraie empathie, cette disposition qui permet d’accompagner les autres dans leurs souffrances physiques ou morales. Touchant !
Une sorte de ressentiment, mais pas de haine, contre les va-t-en-guerre de l’arrière, et contre les sous-off’s médiocres et tyranniques. Paul constate avec amertume que l’expérience du front est indicible, car les civils sont enfermés dans des clichés de devoir patriotique et de faits d’armes héroïques. N’y a-t-il que la littérature pour transmettre ?
La dernière page du livre ne compte que quelques lignes. Elles sont en italique parce qu’elles n’entrent pas dans le récit de Paul. Octobre 2018. Quelques phrases tranquilles au contenu infiniment triste, rompant avec la brutalité du récit, le font glisser doucement vers le néant, comme certaines œuvres musicales qui s’éteignent paisiblement dans leur dernier mouvement. Mahler, Le Chant de la terre, la Neuvième Symphonie. Tchaikovsky, La Symphonie Pathétique...
Me vient à l’esprit, comme en surimpression, Le Dormeur du val, qu’écrivit Rimbaud lors de la guerre précédente, côté français. Je ne peux m’empêcher d’en extraire quelques vers :
Un soldat, jeune, bouche ouverte, tête nue,…
Dort ; il est allongé dans l’herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut….
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Quand un soldat de vingt ans tombe au combat pour une cause qu’on lui a imposée, c’est un peu notre enfant qui meurt.
GLOBALEMENT SIMPLE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT