Novembre 2017,
Me serais-je intéressé à La disparition de Joseph Mengele s’il n’avait pas obtenu le Renaudot ? Pas sûr et c’eût été dommage. Œuvre d’Olivier Guez, journaliste et écrivain, le livre mérite d’être lu, même s’il ne s’agit pas d’y trouver des vertus purement littéraires.
S’appuyant sur une bibliographie considérable, assemblage d’enquêtes (faits historiques), de notes personnelles (témoignages) et d’essais (analyses), Olivier Guez a reconstitué le cheminement et le vécu intime de Josef Mengele, depuis son départ d’Europe pour l’Amérique du Sud en 1949, jusqu’à sa mort – attestée – en 1979.
Mengele, c’est le mal personnifié, un monstre à gueule d’ange, le symbole peut-être le plus significatif de la barbarie sophistiquée des nazis. Pendant les deux années où il officia comme médecin à Auschwitz, se gratifiant du titre d’« ingénieur de la race », il vit passer plusieurs centaines de milliers de Juifs vers les chambres à gaz, en prélevant à chaque convoi quelques uns pour son laboratoire, afin de mener des expérimentations personnelles pseudo-scientifiques – injections, prélèvements, mutilations, greffes contre nature et autres élucubrations abominables – conduisant généralement ses cobayes à la mort dans d’horribles souffrances.
Un être – je ne puis écrire un homme ! – incroyablement dépourvu de toute sensibilité à l’autre. Un pervers narcissique et maniaque au dernier degré.
Tout au long de ses trente années de cavale, Mengele aura été soutenu moralement et financièrement par sa famille, des industriels allemands fortunés. Il aura bénéficié d’un vaste réseau d’entraide constitué en Amérique du Sud par les criminels de guerre en exil. Des nazis irréductibles, enfermés dans leur culte hitlérien, dans leurs fantasmes sur les Juifs, et dans un rêve de revanche à une défaite qu’ils interprètent à la manière du criminel de guerre brossé par Erri de Luca dans Le tort du soldat (lu et critiqué en février 2017).
La narration alterne le vécu quotidien du fugitif et l’environnement géopolitique dans lequel il se situe. Dans une première partie, le contexte accommodant du régime de Juan Perón en Argentine et un exil plutôt doux. En seconde partie, la traque par les chasseurs de nazis et la descente aux enfers d’un rat qui se terre au Brésil.
D’innombrables fausses informations, voire des légendes, ont circulé sur Mengele, qui eut la chance de toujours échapper, parfois de justesse, à ceux qui le recherchaient. Le parcours du criminel s’est achevé par sa mort en liberté, ce qui peut procurer un sentiment de malaise et d’injustice.
Mais qu’aurait pu apporter la justice des hommes ?... Un procès ? Pour entendre Mengele rabâcher sur un ton provocateur ses certitudes tordues de nazi indécrottable, comme il le fait tout au long du livre ! Ou pour le voir refuser de répondre aux questions et se murer dans le silence ! Ou pire encore, suprême hypocrisie, pour l’écouter prétendre à la repentance et prononcer d’impensables regrets !
Et quelle condamnation aurait été à la hauteur de ses crimes ?... La prison à perpétuité ? Une bien douce punition pour un détenu auquel il aurait fallu réserver un traitement spécial à l’isolement. La peine capitale ? Une mort rapide et bien propre...
Comme l’auteur, je m’en remets à la citation de Kierkegaard placée en épigraphe de la deuxième partie du livre : « Le châtiment correspond à la faute : être privé de vivre, être porté au plus haut degré de dégoût de la vie ». Ayant pu lire les journaux intimes du fuyard, Olivier Guez révèle un Mengele dont le corps et l’esprit ont été rongés par l’angoisse, la peur, la veulerie, les humiliations, les frustrations, les rancœurs, les privations. Un enfer intérieur dans lequel Mengele aura croupi pendant ses vingt dernières années. Qu’espérer d’autre, quand on n’a pas d’âme à vendre au Diable ?
Le livre est découpé en courts chapitres de quelques pages, ce qui rend la lecture facile. Mais sa fluidité est par moment mise à mal par l’utilisation quasi générale du présent de l’indicatif, ce qui altère la mise en perspective du vécu quotidien dans l’environnement historique.
J’ai toutefois lu le livre avec plaisir. Je ne cache pas que la lecture des souffrances et des tourments de Mengele y a contribué. J’imagine que l’auteur a ressenti le même plaisir en les décrivant. Les histoires où les méchants sont punis, ça fait toujours du bien.
FACILE ooo J’AI AIME