Août 2017,
Je ne sais plus qui m’a conseillé ce livre publié en 2013 ; s’il me lit, qu’il sache que je lui rends grâce. Ce roman exceptionnel m’a embarqué pour un voyage inattendu et époustouflant dans le vingtième siècle, entre l’Amérique et l’Europe, sans oublier un court détour par l’Australie. Son titre en français, La mémoire est une chienne indocile, est à lui seul un sujet qui interpelle, d’autant plus qu’il n’a rien à voir avec le titre d’origine, The street sweeper, autrement dit, le balayeur.
L’auteur, Elliot Perlman, n’est pas un poète. Dans les six cent pages de son livre, nulle envolée lyrique, quasiment pas de représentation de paysage, de description de décor, ni de portrait – on ne sait même pas à quoi ressemblent les personnages ! Cet Australien, issu d’une famille juive d’Europe Centrale, est avocat de profession. Son livre, un roman-témoignage d’envergure magistrale, met en perspective racisme et antisémitisme, se déploie sur la lutte contre les droits civiques aux Etats-Unis, pour conduire à la Shoah en Pologne.
Deux histoires cheminent en même temps dans la même Histoire.
Dans un hôpital de New York où il est traité pour un cancer en phase terminale, un homme très âgé, juif, rescapé d’Auschwitz, Henry (Henryk) Mandelbrot, livre ses souvenirs à un Afro-américain du Bronx, Lamont Williams, un homme mis à l’épreuve dans un poste de balayeur (street sweeper !) à l’issue d’une lourde peine pénale pour… disons, naïveté et mauvaises fréquentations. Le traitement des Juifs par les nazis et sa gradation année après année est une découverte pour Lamont, qui en retiendra tous les détails : les ghettos, les camps de concentration, les camps de la mort, Auschwitz, le rôle de Mandelbrot au sein du sonderkommando, ce qu’il a pu voir à l’intérieur des chambres à gaz... Des images... terrifiantes, horrifiantes ? Aucun mot ne peut convenir, les hommes n’ayant pas prévu d’en concevoir un pour qualifier de telles choses.
Dans le même temps, un autre Juif ashkénaze, Adam Zignelik, professeur d’histoire à Columbia, très investi dans le Mouvement des droits civiques, est à la recherche d’éléments attestant l’engagement d’un bataillon de combattants afro-américains dans la libération du camp de concentration de Dachau. L’enquête bifurque et conduit Adam à approfondir les travaux d’un professeur de psychologie de Chicago nommé Border, qui s’était rendu en Europe dans l’immédiat après-guerre, et avait enregistré des témoignages de Juifs faisant partie de ce qu’on appelait alors des « personnes déplacées ».
Question : à une époque où l’on n’avait pas encore pris conscience de l’ampleur de la « solution finale » mise en œuvre par les Nazis, pourquoi le professeur Border avait-il choisi d’orienter son étude sur les seuls Juifs ? Et surtout, pourquoi, plus tard, avait-il tout fait pour dissimuler l’un des enregistrements ?
C’est là que le roman reprend ses droits. Au fil des chapitres, autour de Lamont, Adam, Mandelbrot et Border, chacun traversé par ses peines et ses remords, animé par ses convictions et ses projets, parfois saisi par des souvenirs inattendus – indocile mémoire ! –, viennent se greffer de nombreux personnages, des femmes et des hommes comptant ou ayant compté dans leur quotidien. L’ouvrage prend ainsi la consistance d’une vaste fresque romanesque étendue sur huit décennies.
Il m’est souvent arrivé d’avertir le lecteur que les romans aux ramifications les plus prolifiques exigent un minimum de patience, surtout au début, à un moment où l’on ne sait pas où l’auteur a l’intention de nous emmener. Dans La mémoire est une chienne indocile, une fois mis en place le contexte dans lequel évoluent les personnages principaux, la lecture devient aisée et attachante, les péripéties s’enchaînant en courtes séquences, sous la houlette d’un narrateur unique et universel.
Au final, les trajectoires convergent pour atteindre l’objectif primordial, l’exhortation répétée presque convulsivement par ceux qui allaient mourir : « Dites à tout le monde ce qui s’est passé ici ; dites à tout le monde ce qui s’est passé ici » ! Comme Mandelbrot l’y enjoignait, Lamont a tout retenu, tous les détails. Mémoire transmise au balayeur noir du Bronx.
Le dénouement de la fiction est très émouvant, mais je ne l’ai pas trouvé tout à fait à la hauteur des ambitions romanesques de l’ouvrage. Faut-il en conclure que l’imagination du romancier peut aussi se comporter en chienne indocile ?
DIFFICILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT
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