Janvier 2016,
Un récit fascinant, empoignant. Une fin un peu plan-plan, en point d'interrogation. Dans un premier temps, cela m'a surpris. Puis j'ai pris conscience du caractère fondamentalement autobiographique de l'œuvre ; au delà de la simple mise en forme de souvenirs, elle est l'expression de la recherche douloureuse et désespérante d'une vérité introuvable, une recherche que l'auteur nous fait partager.
Sorj Chalandon est coutumier des romans "choc", généralement des histoires de guerre civile inspirées de ses reportages d'envoyé spécial. Profession du père donne l'effet d'un coup de poing à l'estomac ! Je suis resté les muscles noués pendant tous les chapitres où Emile, le narrateur, raconte son enfance et son adolescence. Pas de scène de guerre, pourtant, même si le roman débute en 1961, en plein putsch d'Alger. L'action se situe dans une grande ville de métropole et les méfaits de l'OAS n'apparaissent qu'au travers des journaux et de la radio.
Un immeuble modeste, un appartement étriqué, de rares meubles bon marché. Le père, la mère et Emile, leur fils unique... Profession du père, demande-t-on ?... Un homme imposant, brutal, gueulard, mythomane... fou à lier ! Qui s'invente des relations éminentes, des talents improbables et un passé héroïque dont il s'emploie à convaincre son entourage ; qui appelle à la mort de de Gaulle et prétend plus tard en avoir été le bras droit ; qui hurle et cogne tous les jours sur Emile parce qu'il n'est pas assez ceci, pas assez cela ; qui passe ses journées reclus chez lui, la plupart du temps en pyjama ; qui... Profession du père ?...
Emile, douze ans, chétif, asthmatique ; un écolier médiocre, doué pour le dessin, mais pas pour la parodie d'éducation militaire qu'on lui impose à la maison. Soumis comme un petit chien battu à son maître, il est à la fois terrorisé et ébloui. Par délégation de son père, animé presque malgré lui par un mimétisme inattendu, il se pose en activiste de l'OAS et va mener une incroyable manipulation...
Et la mère ? Effacée, transparente, elle survit au milieu d'éléments déchainés qu'elle refuse de voir, ne voulant pas d'histoire, acceptant tout sans broncher ; tu connais ton père, excuse-t-elle chaque fois. Cinquante ans plus tard, elle demandera innocemment à son fils : tu étais malheureux quand tu étais enfant ?
Vers la fin du livre, la tension tombe. Les années ont passé. Emile s'est construit ; il a un métier, s'est marié ; un fils est né, tout va bien. Resté marqué par son enfance, il se tient à l'écart de ses parents, âgés, de plus en plus reclus et recroquevillés sur eux-mêmes. Il voudrait comprendre, pénétrer l'âme de ce père, découvrir son passé, sa vraie personnalité... L'auteur usera d'un artifice un peu éculé pour justifier de ne rien nous en dire. En fait, lui et Emile ne savent pas, ne sauront jamais. Tant pis pour eux et dommage pour le lecteur... Mais Sorj Chalandon reste un grand écrivain et sa sensibilité est bouleversante.
GLOBALEMENT SIMPLE oooo J’AI AIME BEAUCOUP