Décembre 2015
Ce pavé de six cents pages, Grand Prix de Littérature Policière 2015, est absolument passionnant et captivant. Toutes les vagues de l'océan est le roman noir par excellence : tragique, brutal, parfois sordide, il met en scène, sur fond de critique pessimiste de l'humanité et de la société, des histoires d'ambitions, de haines, d'espionnage et de morts violentes, qui s'entremêlent à rythme soutenu dans une intrigue unique et complexe, ancrée dans un contexte historique authentique qui s'étend sur près de soixante-dix ans.
Barcelone, 2002. C'est là que tout commence et que tout se dénouera. Des meurtres dès les premières pages. Entrée en scène progressive des personnages. Lecteur, n'en perd pas un seul de vue, car tous comptent dans l'intrigue, chacun est une pièce importante du puzzle ; sollicite ta mémoire si tu peux, ou prend des notes (pour ma part, ma mémoire fonctionne bien et j'ai pris des notes).
L'un d'eux va rapidement s'imposer comme central, parce que comme toi, lecteur, c'est un candide qui ne sait rien et qui va vouloir comprendre : Gonzalo Gil est un avocat médiocre de quarante ans au physique insignifiant, un anti-héros. Sa vie familiale est au bord de l'implosion. Sa relation avec son épouse, la belle Lola, est gangrénée par des non-dits. Son fils Javier, adolescent, lui échappe désespérément. De graves divergences de vue l'opposent à son beau-père, un avocat riche, renommé et cynique. Eloigné de sa sœur Laura alors qu'ils avaient jadis été très proches, il ne découvre le combat explosif dans lequel elle s'est lancée qu'à la suite de circonstances tragiques. N'ayant gardé aucun souvenir concret de son père Elias Gil disparu quand il avait cinq ans, il vit sous le poids du mythe d'un héros d'anthologie, savamment entretenu par sa vieille mère.
Gonzalo ne sait rien parce qu'il n'a jamais voulu voir, parce qu'il a oublié ce qu'il a vu, ou parce qu'il l'a occulté. Mais désormais, il veut savoir, tout savoir,... ce qui risque de ne pas plaire à tout le monde, particulièrement à la Matriochka, une mafia russe !
Les événements de Barcelone sont liés au passé. Les années trente et quarante : goulag en Sibérie, guerre civile à Barcelone, camp de concentration à Argelès, seconde guerre mondiale sur le front de l'Est, rééditions récurrentes d'horreurs et de sauvageries inhumaines. Compte aussi un événement majeur survenu en 1967, dont les détails ne seront dévoilés qu'à la toute fin du livre. La lecture flue et reflue entre présent et passé, comme des vagues sur un océan constitué de millions de gouttes d'eau, de sang et de larmes (titre original du livre : un milliòn de gotas), des vagues qui déferlent, poussées par les haines exhalées par deux hommes qui n'auront cessé de se chercher, de se croiser, de se combattre. Sont-ils toujours de ce monde ? Quoi qu'il en soit, leur présence, physique ou spirituelle, entretenue par leurs rejetons, pèse sur les consciences.
Quand ces deux-là se rencontrent, en route vers le goulag, l'un est un déporté politique, l'autre est un prisonnier de droit commun. C'est tout ce qui fait définitivement leur différence. Ils sont tous deux d'une violence sans limite, débordant sur une sauvagerie bestiale. L'un assume de torturer et de tuer pour son intérêt personnel, l'autre prétend le faire au nom d'un idéal censé apporter le bonheur à l'humanité. Au fil de leurs péripéties, l'auteur ne manque pas d'interpeller sur le Bien et le Mal, sur le devoir, le sacrifice, l'orgueil, la trahison, le remords... Il explore les mécanismes psychologiques qui amènent certains à dénier leurs responsabilités, à occulter ce qu'ils ont vu, à se mentir à eux-mêmes avant de mentir aux autres.
Le roman est magistralement construit, dans une cohérence sans faille. On peine un peu dans la première partie. Normal, il faut le temps de prendre ses bases avant de se pénétrer de l'architecture de l'ouvrage et de sa subtilité en forme de puzzle qui ne se complète que dans les toutes dernières pages.
Enigmes, agencement en puzzle, Barcelone, le Mal qui prend racine dans le passé ?... Impossible de ne pas penser à Confiteor !... Mais sans le souffle épique et le travail sur l'écriture d'un Jaume Cabré. Dans l’ouvrage de Victor del Arbol, pas de grande ambition de style, quelques manques de finesse, même, – si je puis me permettre –, notamment lorsque des circonstances jusque-là habilement camouflées sont brutalement divulguées comme des aveux irrépressibles.
Il n'empêche ! Laissons Confiteor à sa place de chef d'œuvre d'exception. Toutes les vagues de l'océan est juste un excellent roman.
DIFFICILE ooooo J’AI AIME PASSIONNEMENT